3 mars 1977 PCF, PCI et PCE promeuvent l’eurocommunisme

lundi 4 mars 2024.
 

A) PCF, PCI, PCE, années 1970, il était une fois l’eurocommunisme (L’Humanité)

En mars 1977, à Madrid, se rencontrent les dirigeants des partis communistes italien, espagnol et français. Ce qui les unit : la volonté de sortir du capitalisme en crise par la voie démocratique. Pour cela, l’indépendance de ces organisations vis-à-vis de l’URSS est indispensable.

Le 3 juin 1976, Enrico Berlinguer et Georges Marchais tiennent un meeting commun porte de Pantin. C’est la concrétisation d’un rapprochement qui a donné naissance à l’eurocommunisme.

Un astre lumineux dans la recherche des communistes d’Europe occidentale d’une voie autonome au socialisme. Né des réflexions du PCF et du PCI, son émergence est ponctuée de rencontres bi ou multilatérales auxquelles se joignent les communistes espagnols, et d’autres partis de pays capitalistes en sont aussi, comme les partis communistes de Belgique, de Grande-Bretagne, de Finlande, du Mexique, du Japon…

En Italie et en France, les puissants partis communistes de ces pays s’interrogent depuis le début des années 1970 sur le processus révolutionnaire dans le contexte d’un capitalisme moderne. Cette réflexion s’accompagne d’une critique de plus en plus explicite du manque de démocratie en URSS. En Italie, Berlinguer propose en 1973 d’aller vers un compromis historique avec la démocratie chrétienne pour s’assurer d’un changement majoritaire qui éviterait une situation à la chilienne, où les forces progressistes furent à la merci d’un coup d’État militaire. En France, en 1972, le PCF signe le programme commun de gouvernement et soutient dans la logique des institutions de la Ve République la candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1974. Ce foisonnement stratégique cherche sa formalisation théorique et surtout une dimension internationaliste qui ne peut plus se réduire à un soutien à l’URSS.

L’eurocommunisme atteint son apogée en mars 1977, lors de la rencontre de Madrid entre le PCF, le PCI et le PCE. Quelles sont les idées qui font converger ces trois partis  ? Le capitalisme est en crise et conduit à des régressions sociales et démocratiques sans précédent, le socialisme ne peut se construire que par et dans la liberté, la voie démocratique nécessite des alliances larges et, enfin, l’indépendance des partis communistes, en général et vis-à-vis de l’URSS en particulier, est indispensable.

Ces réflexions et initiatives suscitent d’abord des interrogations – le terme a été inventé par des journalistes – puis l’engouement militant.

Mais elles font aussi naître la peur, aussi bien en URSS qu’aux… États-Unis. Côté soviétique, les critiques des atteintes aux droits de l’homme et la remise en cause d’un modèle universel de socialisme ne passent pas. Les dirigeants soviétiques font donc tout pour gêner la démarche eurocommuniste et s’immiscent dans les affaires intérieures des partis frères. Ils soutiennent, y compris financièrement, les secteurs prosoviétiques du PCF, du PCI et du PCE. Le gouvernement américain est obsédé par les évolutions du PCF et du PCI. Kissinger n’avait-il pas déclaré  : « Je ne crois pas en l’existence de communistes modérés. Les communistes modérés sont plus dangereux que les communistes non modérés »  ? Et la CIA de passer à l’action pour déstabiliser le PCI ou pour surveiller le PCF, notamment dans une fumeuse opération d’espionnage de son siège – l’opération « Aquarium » ou « Poissons rouges » – ou pour s’assurer de l’atlantisme de François Mitterrand. De fortes divergences sur le Marché commun et les institutions européennes

Mais, plus profondément, ce qui conduit à l’échec l’eurocommunisme, c’est la prégnance des logiques nationales du champ politique. Ces logiques ont conduit les Italiens à soutenir la construction et l’intégration européenne comme alternative à la défaillance de leur État. En France, la souveraineté nationale est vue comme l’espace indépassable de la souveraineté populaire. D’où de fortes divergences sur le Marché commun et les institutions européennes.

Par ailleurs, le PCI s’engage dans un soutien au gouvernement démocrate-chrétien, qui conduit une politique d’austérité, sans espérer, depuis l’assassinat d’Aldo Moro, obtenir des ministères et véritablement peser dans un sens progressiste. Berlinguer rompt plus tard avec cette politique, renoue avec le mouvement social, mais il est foudroyé par une mort tragique en 1984.

En France, la rupture de l’union de la gauche conduit le PCF à regarder de nouveau vers l’URSS pour limiter son isolement, puis à participer au gouvernement socialiste avant d’en mesurer l’impasse et d’en appeler à nouveau aux luttes. Les deux chevilles ouvrières de l’eurocommunisme ont repris des chemins différents. Ils auraient pu à nouveau se croiser, mais ces chemins conduiront l’un à se dissoudre et l’autre à s’affaiblir.

L’eurocommunisme nous parle d’un autre monde, d’un monde ancien et d’une tentative désespérée. Alors, un astre mort  ? Peut-être pas car de nouvelles forces s’en réclament explicitement, comme Syriza et certains secteurs de Podemos. Enfin, le Parti de la gauche européenne en est sans doute un héritier.

Repères

Novembre 1975 Rencontre entre Georges Marchais (PCF) et Enrico Berlinguer (PCI) débouchant sur une analyse commune et un calendrier d’initiatives de masse.

3 juin 1976 Enrico Berlinguer et Georges Marchais tiennent un meeting commun à la porte de Pantin à Paris.

3 mars 1977 Rencontre à Madrid des trois secrétaires généraux des partis communistes espagnol, italien et français.

Une construction fragile

Le dirigeant communiste espagnol Santiago Carrillo rédige, en 1977, l’Eurocommunisme et l’État. On trouve dans les archives de Jean Kanapa, chargé des relations internationales au PCF, une note qui rend compte à son propos des différences entre partis  : « (…) Convergences totales ou pratiquement totales sur tout ce qui a trait (…) à la crise (…), à la démocratie (…), à la nécessité des alliances (…) et au contenu de l’eurocommunisme, et notamment au fait qu’il n’a rien à voir avec un quelconque avatar de la social-démocratie, au rôle décisif (…) de la révolution d’Octobre. Différences sur le contenu et les formes de l’alliance (…). Divergence sur le jugement porté sur l’Union soviétique (…). Même si les problèmes posés par Carrillo sont réels,il faut bien dire qu’assez souvent il mord le trait. »


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