Pourquoi n’y a-t-il "aucune marge de manœuvre" économique ?

jeudi 21 août 2008.
 

Lorsque le chef du gouvernement (François Fillon, pour ceux qui l’auraient oublié) improvise en urgence une réunion des ministres en charge des dossiers économiques pour "analyser les causes de la dégradation de la conjoncture internationale" et lorsque l’un d’entre eux, Eric Woerth (Budget), explique qu’il faut garder "son sang froid", il y a de quoi avoir la frousse. C’est le signe que la conjoncture ne va pas bien du tout. Nicolas Sarkozy avait promis d’aller "chercher la croissance avec les dents s’il le faut", mais la plupart des économistes jugent qu’il n’a aucune marge de manœuvre. Ont-ils raison ? Le gouvernement doit débattre de la question jeudi, lors du conseil des ministres.

La France est-elle en récession ?

Selon la définition officielle, la France n’est pas encore en récession : un pays l’est lorsqu’il connaît un recul de son activité pendant deux trimestres consécutifs. L’activité française a reculé de 0,3% au deuxième trimestre après une hausse de 0,4% au premier trimestre.

C’est un résultat décevant par rapport aux prévisions officielles. Le budget 2008 a été bâti sur une hypothèse de plus de 1,7% de croissance, mais rares sont aujourd’hui les conjoncturistes qui jugent que la croissance dépassera 1,3%. La Banque de France prévoit une croissance de 0,1% pour le troisième trimestre, ce qui signifierait que la récession serait évitée. Mais bien d’autres experts tablent sur un nouveau trimestre négatif.

Les mauvaises nouvelles se sont enchaînées depuis plus d’un an, minant le pouvoir d’achat des ménages dans de nombreux pays :

* envolée des prix du pétrole (une hausse de dix dollars du baril, sur un an, réduit la croissance d’environ 0,3 point) et des produits alimentaires. L’accélération de l’inflation qui en résulte affecte le pouvoir d’achat et grippe le moteur de la consommation des ménages ;

* hausse de l’euro face au dollar, qui affecte la compétitivité des produits européens exportés ;

* chute de la construction immobilière (aux Etats-Unis et dans d’autres pays européens) liée à la crise américaine des « subprimes » ;

* crise prolongée des marchés financiers, qui incite les banques à brider le crédit ;

Dans cette conjoncture maussade, le chômage risque de remonter. Sa baisse était facilitée par la retraite des baby boomers : il peut reculer avec seulement 2% de croissance (contre plus de 3% dans les années 1990). Mais avec une croissance quasiment plate, il risque de repartir à la hausse.

La France est-elle logée à la même enseigne que les autres pays européens ?

Selon la Commission européenne, c’est toute la zone euro qui a connu un mauvais trimestre (-0,2% en moyenne, après +0,7% au premier trimestre). L’Allemagne a reculé de 0,5% (après une croissance de 1,3% au premier trimestre) et l’Italie de 0,3% selon Eurostat. Face à cette situation, les gouvernements suivent des stratégies bigarrées.

Outre-Rhin, selon Der Spiegel, un plan de relance (baisses d’impôts et investissements publics) aurait été préparé en cas de besoin pour l’automne. L’information a été démentie par Angela Merkel, dont le gouvernement a décidé lundi de maintenir ses prévisions officielles et de rejeter toute idée de plan de relance.

En revanche, en Espagne (+0,2% au premier trimestre et +0,1% au deuxième trimestre), le Premier ministre socialiste José Luis Zapatero a interrompu ses vacances et décidé d’injecter vingt milliards d’euros dans l’économie pour éviter que le pays n’entre en récession. Les principaux bénéficiaires de ce plan seront les PME et le secteur du logement social. L’Espagne, qui a connu une forte croissance ces dernières années, a reconstitué ses munitions budgétaires : elle peut creuser son déficit sans nuire à ses engagements européens.

Pourquoi dit-on qu’il n’y a "aucune marge de manœuvre" en France ?

La croissance a trois moteurs : la consommation, les investissements, les exportations. Pour ce qui est de l’évolution de ces dernières, ceux qui pilotent l’économie n’ont guère de prise sur leur évolution à court terme. Pour ce qui est des deux autres moteurs, ils disposent de deux leviers : la politique monétaire et la politique budgétaire. Aux Etats-Unis, lorsque le pays menace d’entrer en récession, les autorités appuient vigoureusement sur ces deux leviers : la Réserve fédérale (la banque centrale) baisse ses taux d’intérêt hardiment pour faciliter les emprunts (donc les investissements, l’esprit d’entreprise, le logement, etc.) ; de son côté, le gouvernement fédéral n’hésite pas à creuser le déficit (Reagan était allé jusqu’à 6% du PIB !) pour distribuer du pouvoir d’achat dans l’économie sous forme de dépenses publiques et/ou de réductions d’impôts.

En Europe, ces deux leviers traditionnels sont grippés :

* pas grand chose à espérer du côté de la politique monétaire, qui échappe aux dirigeants politiques depuis la fin des années 1990 : elle a été confiée à la Banque centrale européenne, qui est à la fois indépendante et ultrarigide. De par ses statuts, sa seule préoccupation doit être d’empêcher l’inflation. Elle n’a pas hésité à relever ses taux d’intérêt pour juguler celle-ci, alors que l’activité économique aurait besoin d’une baisse de ces taux ;

* le gouvernement Fillon ne peut pas faire grand chose, car le déficit français atteint déjà la limite autorisée (3% du PIB). Alors que la France préside l’Union européenne jusqu’à la fin de l’année, on le voit mal jouer les mauvais élèves.

Jusque-là, sans jamais prononcer le mot rigueur (qui fâche) le gouvernement Fillon se distingue plutôt par sa volonté de couper dans les dépenses publiques, notamment dans la santé ou l’éducation. Mais pourra-t-il, dans cette conjoncture morose, annoncer sans ciller un projet de budget 2009 prévoyant pour la première fois une baisse des crédits (hors inflation), comme il l’envisage ? Ce serait prendre le risque d’encourager le plongeon.

Faute de pouvoir jouer sur le budget, François Fillon doit donc jouer sur d’autres ressorts beaucoup moins efficaces : ce fut par exemple la loi sur la "modernisation" de l’économie, qui prévoit une augmentation des aides aux entrepreneurs, une libéralisation des règles concernant le commerce et quelques mesures pour attiser la concurrence. Le ministre du Budget, Eric Woerth, plaide ainsi :

"Notre plan de relance, c’est de privilégier les réformes de fond à une réponse court-termiste qui n’apporterait rien."

C’est aussi une façon d’avouer son impuissance sur la capacité à agir sur la situation présente. Les ministres n’ont plus que leurs mains pour prier, pour que les rares brises favorables que l’on perçoit actuellement s’amplifient dans les semaines qui viennent : la récente baisse du prix du pétrole, le récent recul de l’euro, la stabilisation des taux d’intérêt.

S’il était audacieux, le gouvernement pourrait décider de lancer un ambitieux projet de RSA (revenu de solidarité active) ou d’augmenter franchement l’allocation de rentrée scolaire, ou d’instaurer un chèque-transports généreux… Autant de mesures qui auraient un impact psychologique important. Mais pour les financer, le gouvernement ne pourrait compter sur le déficit : il lui faudrait trouver des financements ailleurs. Le moyen le plus efficace serait de taxer les revenus des ménages dont "la propension à consommer est faible" (comprendre : les riches qui, proportionnellement à leur revenu, épargnent beaucoup et consomment peu). Les socialistes suggèrent ainsi de revenir sur les cadeaux fiscaux faits par Nicolas Sarkozy à son arrivée au pouvoir. Mais pour ce dernier, ce serait reconnaître que le "paquet fiscal" était une bêtise.

Une solution européenne est-elle envisageable ?

C’est une solution dont rêvent de nombreux hommes politiques et économistes : un plan de relance général, fondé sur un emprunt public européen. Un tel plan aurait également l’avantage de constituer un signal fort, celui d’une Europe solidaire face aux mauvaises fortunes. Ancien ministre de l’Economie et des Finances, Laurent Fabius suggère ainsi à Nicolas Sarkozy de prendre l’initiative d’un "grand programme, en particulier énergétique, au niveau européen, pour éviter la récession".

Mais un tel projet, souvent caressé, jamais considéré sérieusement, donne des boutons aux grands argentiers orthodoxes qui, depuis des années, tiennent les rênes de la politique économique en Europe. Même si on peut le regretter, les chances de voir les Vingt-sept lancer un tel plan concerté cet automne sont minimes.

Par Pascal Riché


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