Plan détaillé d’un exposé de formation présenté lors de l’université d’été de la LCR, les 23-25 août 2008, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la fondation de la Quatrième Internationale.
Les références au « Cahier d’Amsterdam » concernent : Daniel Bensaïd, « Les années de formation de la IVe Internationale », Cahiers d’études et de recherches n° 9, IIRF, Amsterdam 1988.
SAVOIR D’OU NOUS VENONS, SAVOIR QUI NOUS SOMMES, SURTOUT AU MOMENT OU NOUS ENTRONS DANS UNE NOUVELLE EXPERIENCE
1° Il y a soixante dix ans était fondée la IVe Internationale, en septembre 1938 dans la région parisienne.
Depuis la naissance du mouvement ouvrier, dans la moitié du 19e siècle, la question de l’Internationale a toujours été « le centre de gravité de la politique révolutionnaire ». « Prolétaires de tous les pays, unissez vous » était le cri de ralliement du manifeste communiste
a) La première Internationale (1864-1876) rassemblait toutes les formes d’organisation du mouvement ouvrier : partis, syndicats, mutuelles, sectes.Après l’écrasement de la Commune de Paris (1871), elle connut une crise ouverte, une fracture entre anarchistes et marxistes ; et se dissoudra.
b) La Deuxième Internationale, s’est constituée à la fin du 19e siècle. Elle a organisé le début du mouvement socialiste, social-démocrate, des partis et syndicats de masse autour de la social-démocratie allemande. Elle sombrera dans le réformisme et surtout dans la première guerre mondiale en 1914 ou chaque parti socialiste rejoindra dans l’union sacrée sa propre bourgeoisie. Elle continue à exister aujourd’hui, mais elle a arrêté son rôle progressiste en août 1914.
c) La Troisième Internationale s’est organisée sur la base de la révolution russe. L’internationale communiste commença jusqu’en 1924- 25 à organiser un immense mouvement « communiste » avec des courants et militants d’origine diverse –syndicalistes révolutionnaires, socialistes de gauche etc. – autour de la révolution russe. Elle deviendra après, à la fin des années 20, l’instrument de la bureaucratie stalinienne au pouvoir en Union soviétique pour défendre les intérêts de l’URSS. Elle a été dissoute en 1943, reconstituée en Kominform en 1948 et des relations de subordination conflictuelle entre l’URSS et les PCS ont existé de manière informelle- mais très forte- jusque dans les années 70…
2) Contre la stalinisation de l’URSS et de l’Internationale communiste va se construire une opposition de gauche !!!
La IV est fondée en 1938, mais c’est l’aboutissement d’un long processus qui commence dans les années 25-27, dans la lutte de l’opposition de gauche au stalinisme.
Notre origine est russe…Les premiers membres de l’opposition de gauche sont des militants communistes russes.
* Après la vague révolutionnaire de 17-23 en Russie, en Allemagne, Hongrie, Pologne, Italie, il y a un reflux de la révolution, en Russie où le mouvement révolutionnaire est saigné par la guerre civile, les cadres du parti sont décimés, la fatigue de la classe ouvrière est là. Il y a aussi un reflux international… Résultat : il y a une montée de la bureaucratie – des gens de l’ancien appareil d’Etat et du nouvel appareil d’Etat qui vont progressivement prendre le contrôle de l’appareil, étouffer la discussion politique et réprimer les oppositions politiques… pour se maintenir au pouvoir. Il y a des premières résistances dans le parti bolchevik contre la bureaucratisation, la nécessité du débat démocratique, de la démocratie dans le parti : C’est l’exigence d’un « cours Nouveau » contre la bureaucratisation..
* Sur le plan économique, le régime fait des zig-zag qui désorganisent le pays et conduisent à la répression : d’abord « l’enrichissement des koulaks et des gros paysans », puis la collectivisation forcée…L’opposition de gauche propose une série de mesures pour renforcer le poids de la classe ouvrière et construire une alliance : production d’outils pour les paysans : il y a ainsi augmentation de la production industrielle et en même temps socialisation progressive de la terre sur la base de l’outillage venant des villes, mais pas de mesures forcées…
* Enfin sur le plan de la révolution internationale, il y a un débat entre deux positions : « le socialisme dans un seul pays » c’est la position stalinienne. Et la position de Trotsky et de l’Opposition de gauche qui défend une combinaison du pouvoir en URSS et une extension à l’échelle internationale. Bien entendu, il fallait défendre le pouvoir révolutionnaire, mais jamais les révolutionnaires russes n’ont cru au socialisme dans un pays sous développé comme la Russie. Il fallait l’extension, en particulier en Allemagne.. Construire le socialisme dans un seul pays n’était pas possible – la Russie n’avait de base suffisamment importante sur le plan industriel (un océan paysan et quelques ilots ouvriers). Essayer de construire le socialisme dans un seul pays ne pouvait conduire qu’à des mesures autoritaires à l’intérieur et à l’abandon des tâches d’extension de la révolution à l’extérieur. Cela va conduire l’internationale communiste à des accords avec les bourgeoisies nationales (en Chine : subordination au Guomingdang) ou avec les appareils bureaucratiques (comité anglo-russe avec les dirigeant syndicaux britanniques qui s’opposeront à une grève générale en Angleterre).
Sur ces 3 questions : démocratie, économie, et politique internationale, il y avait 3 fractions ou groupes :
La droite de Boukharine qui était encore pour plus de concessions envers les paysans.
Ce que Léon Trotski appelait le centre bureaucratique (Staline), c’était le pouvoir et la répression.
Et l’0pposition de gauche qui sera défaite en 1927. Léon Trotski est expulsé en 1929 à Alma Ata puis à Prinkipo.
Dans cette catégorisation, on peut penser, avec le recul, que le plus dangereux ce n’était pas la droite mais le centre stalinien. D’aucuns revisitent l’histoire en regrettant qu’il n’y ait pas eu d’alliance Boukharine-Trotski contre Staline. Mais…
3) L ’Opposition de gauche pour redresser l’Internationale communiste…
Il y avait une lutte de fraction extrêmement violente et les oppositionnels étaient réprimés physiquement dans les camps, mais cette lutte s’insérait dans les partis communistes et d’abord dans le PC russe et dans l’internationale… Parce que Trotski pensait encore que sur la base de l’expérience et de la discussion on pouvait renverser les choses et qu’il fallait de grands événements historiques pour passer du redressement ou de la réforme de son parti à un autre parti. On ne change pas de parti comme de chemises… Trotski était (du milieu des années 20 à la moitié des années 30( pour la « réforme » !
Mais il annonçait, en 1932, qu’une catastrophe telle que la chute de l’Etat soviétique entraînerait sans aucun doute celle de la 3e Internationale. De même la victoire du fascisme en Allemagne et l’écrasement du prolétariat allemand permettraient difficilement au Komintern de survivre aux conséquences de sa politique désastreuse.
Quelle était cette politique : analyse catastrophiste, « 3e période », théorie du « social-fascisme », refus de front unique , politique active de division… cela mènera à la défaite le prolétariat allemand divisé ne pourra empêcher Hitler de prendre le pouvoir en mars 1933.
Il en tirera une conclusion : « Le prolétariat allemand se relèvera. Le parti communiste jamais ». Mais surtout il demandera aux oppositionnels de gauche allemands d’arrêter la politique de redressement du KPD et de construire une nouvelle organisation indépendante. Vous voyez, pour changer de politique organisationnelle, il faut des grands événements historiques et pas seulement des désaccords ou divergences importantes...
Et cela aura une suite logique, en URSS. Staline assumant toute la responsabilité de la politique allemande, la répression s’accélérant en Russie : collectivisation forcée, expulsion et emprisonnement des oppositionnels. Il faudra tirer aussi la conséquence logique de cette politique en Russie, mais construire un nouveau parti communiste de Russie – c’était penser que la révolution avait été liquidée, qu’il n’ y avait plus d’Etat ouvrier – et que le capitalisme avait été rétabli.
Ce n’était pas le cas, la bureaucratie était toujours là, toujours plus réactionnaire, mais il n’ y avait pas de capitalisme. Trotski essaie alors de résoudre cette contradiction en avançant la notion de « révolution politique » qui chasse la bureaucratie mais qui ne remettra pas en cause les rapports de propriété issus de la révolution d’Octobre. Cette révolution sera menée par ce nouveau parti communiste… Léon Trotski passait de la ligne de la réforme à la ligne d’une nouvelle révolution, c’est-à-dire au renversement de la bureaucratie, même si il parlait de « révolution politique » alors qu’avec le recul, une révolution politique dans ces années 30 avait nécessairement une dimension sociale…
Mais ce choix fut fondamental car – au delà des termes « révolution politique » ou « sociale », malgré les erreurs, les problèmes, les fautes des dirigeants bolcheviques, la lutte de Trotsky et de cette opposition de gauche permet aujourd’hui de distinguer la révolution et la continuité révolutionnaire russe et internationale de la dégénérescence stalinienne. Elle permet de faire la différence entre la révolution et la contre-révolution stalinienne alors que nombre d’idéologues ou d’historiens « bien intentionnés » confondent communisme et stalinisme.
Après la catastrophe allemande et la réaction stalinienne, il faut une nouvelle internationale, une nouvelle révolution en URSS.
4) La préparation d’une nouvelle Internationale 1933-1938
Il faut voir que cette période était le moment de bouleversements fantastiques : victoire de Hitler, Mussolini en Italie, révolution et contre-révolution en Chine, mouvement de libération nationale eau Vietnam, guerre en Ethiopie, Front populaire en France et en Espagne, répression en URSS avec les procès de Moscou, crise tchécoslovaque qui annonce la guerre…
* Ces grands évènements allaient définir les grandes délimitations programmatiques.
D ‘où une série de déclarations programmatiques telles que les « 11 points », les « 10 points », la « Déclaration des 4 » avec la LCI, le SAP, l’OSP et le RSP hollandais. Cela inclut : la lutte contre le réformisme, contre la politique des fronts populaires (alliance des partis ouvriers avec des partis bourgeois – le parti radical), l’indépendance de classe et du parti ouvrier vis-à-vis des coalitions de collaborations de classes, l’internationalisme prolétarien, contre le socialisme dans un seul pays, la démocratie socialiste, la lutte contre le stalinisme, des questions stratégiques comme la prise du pouvoir (destruction de l’Etat bourgeois, soviets, dictature du prolétariat), la défense de l’URSS contre l’impérialisme, la nécessité d’une Internationale…
• Voilà le fond, le programme. Sur le plan international, il fallait regrouper sur la base de ce programme, des trotskystes mais aussi des socialistes de gauche, l’ILP ; le SAP le RSP ou des courants issus du mouvement communiste, le PC suédois, le DNA norvégien, le KPDO Brandler, LeninBund, le BOC catalan puis le POUM • La double crise des PCS et PS vont libérer toute une série d’organisations et de courants que nous appelions à l’époque « centristes » : « oscillant entre la réforme et le révolution », oscillant entre l’Opposition de gauche et leurs anciens partis PS ou PC. Ce terme a été considéré pendant des années comme une insulte et c’est encore une insulte pour certains. Pour Trotski, c’est une caractérisation politique et il dit « l’important c’est la dynamique.. dans quel sens cela va de la droite vers la gauche et là on peut faire des compromis.. et de la gauche vers la droite et là c’est régressif »…On devait avancer par l’action, l’expérience et le débat.
Des trotskystes minoritaires : ils sont seulement quelques centaines…(cf. p. 11 du Cahier d’Amsterdam)
Le problème pour les trotskystes, dans toute cette période, n’est pas l’auto-proclamation de petits groupes mais la délimitation programmatique et le rassemblement. De nombreuses fois Trotski indique que nous sommes prêts à être en minorité dans une internationale révolutionnaire qui ne soit pas sur toutes les bases du trotskysme… à condition que celle-ci soit sur une base politique révolutionnaire… Le problème pour Trotski sera toujours d’essayer de se lier à des courants de radicalisations dans le mouvement ouvrier, même si des fois, c’est compliqué à comprendre et à faire et donc très problématique sur le plan organisationnel..
Je voudrais aborder le problème de l’entrisme, français, belge et américain – différent selon les pays et les conditions ; mais qui répondaient à une approche : montée du fascisme qui liquide les bases de la démocratie bourgeoise donc de la social démocratie –toutes les institutions parlementaires – donc radicalisation pour survivre, émergence de courants de gauche et donc nécessité de « féconder le front unique d’un contenu révolutionnaire ».
D’où entrisme … entrisme à drapeau déployé à une centaine en janvier 34 ; en juin 35 sur l’assemblée de la Seine : les trotskystes « groupe bolchevik léniniste » obtiennent 1037 voix contre 2370 à la bataille socialiste et 1570 en faveur de Blum et du front populaire… Ils font un travail de construction de la SFIO, notamment dans la jeunesse avec les « TPPS » véritable service d’ordre de la SFIO…
Mais dés qu’il y a un succès, et que l’accord entre la SFIO, le PCF et Moscou se fait... une des conditions, c’est l’expulsion des trotskystes.
Et le problème de l’entrisme… c’est la sortie… C’est une question historique. Ce sera une première et d’autres se lanceront dans des expériences entristes, mais cette expérience à drapeau déployé s’est faites dans des conditions bien spécifiques : la faiblesse des petits groupes, le type de SFIO (elle défend la dictature du prolétariat), des milliers de militants qui s’inspiraient de la révolution… Mais problème, faiblesse propre comme parti, le type de relations avec les courants autour u PCF…
Plus généralement que cela soit « opposition de gauche au stalinisme et dans les PCS, entrisme, cela nous situe trop en opposition interne au mouvement ouvrier ou en pression vis-à-vis des directions… et pas assez en direction alternative, en formation politique en rupture avec le mouvement ouvrier traditionnel, même si, le mouvement ouvrier traditionnel de ces années là (30-40... jusqu’en 60) n’était pas la gauche actuelle !!!
5) Le Congrès de Fondation de la IV
Apres maintes expériences de relations avec d’autres organisations révolutionnaires ou centristes, après les expériences entristes, il y a les expériences françaises et espagnoles de front populaire où Trotksi a une vue juste sur le plan global (pas d’alliances avec la bourgeoisie, front unique ouvrier pas de participation à des gouvernements bourgeoises, auto-organisation), mais avec une certaine raideur dans les relations avec les trotskystes français et surtout espagnols qui sont dans les expériences entristes dans la SFIO, PSOP de Marceau Pivert, Daniel Guérin et surtout le POUM en Espagne.. Trotski a des mots très durs contre Andres Nin en Espagne. Il fait le point sur la situation : crise du régime bourgeois, montée du fascisme, marche à la guerre, répression stalinienne, la catastrophe arrive… Il faut sauver ce qu’il y a à sauver : il faut fonder la IV sur une base programmatique solide.
Il y a en 1936 le mouvement pour la IV et en septembre 1938 le congres de fondation (p. 14)
La base de fondation c’est le programme de transition « L’agonie du capitalisme et les tâches de la IV e Internationale », un programme de revendications immédiates, sociales, démocratiques, anti-impérialistes et transitoires (contrôle ouvrier, échelle mobile des salaires et heures de travail, armement du prolétariat), qui doivent mener à une seule conclusion : la perspective d’un gouvernement ouvrier, d’une rupture avec le capitalisme. Il y a une politique sur chaque secteur de la révolution mondiale.
Il y a accord général sur le programme et sur la nécessité de la IV, mais il y a désaccord sur la décision de fondation, notamment des 3 polonais –dont Hersh Mendel Stokfish. Ils étaient en désaccord sur les conditions, le moment pour fonder la IV. « Nous sommes trop faibles, disent-ils, et les conditions historiques trop difficiles »… et c’est vrai. la 1er Internationale s’est fait après la montée de 1848, la 2e avec la poussée des partis de masses au début du siècle, la 3e avec la révolution russe… Mais là, la IV est proclamée avec la défaite prolétarienne face au fascisme et au nazisme.
Trotski dans certains textes prédit à la IV le développement de la 3 après la transformation de la Seconde Guerre mondiale en guerre inter-impérialiste et en effondrement de l’impérialisme et du stalinisme.. On sait qu’il n’en fut rien : le nazisme fut défait, le stalinisme différa les échéances de son déclin avec la victoire de Stalingrad – et la IV resta minoritaire.
Mais la IV, comme je l’ai dit, ce n’était pas un choix organisationnel découlant d’un pronostic, mais d’un programme au sens large. Il fallait un courant délimité du stalinisme et de la social-démocratie pour assurer la continuité du marxisme révolutionnaire. Il n’ y a eu que les trotskystes – ceux que l’histoire a appelé trotskystes – parce que nombre d’organisations et de courants se sont effondrés durant la guerre, mais l’objectif était le rassemblement des révolutionnaires anti-staliniens.
SABADO François
Mis en ligne le 4 septembre 2008
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