Il y a un siècle naissait Salvador Allende (26 juin 1908 - 11 septembre 1973) à Valparaiso, au Chili. Le centenaire de sa naissance est l’occasion de revenir sur le parcours du père du socialisme démocratique latino-américain. Entretien avec Pierre Singaravélou, qui enseigne l’histoire contemporaine à l’Université de Bordeaux.

Qui était Salvador Allende, quel a été son parcours ?

Salvador Allende est issu de la bourgeoisie libérale chilienne. Après des études de médecine, il participe à la fondation du Parti socialiste chilien, en 1933. Cinq ans plus tard, il devient ministre de la Santé, se présente aux élections présidentielles en 1952, 1958 et 1964, avant d’hériter de la présidence du Sénat entre 1966 et 1969. Fin 1969, il parvient à rassembler,sous l’étiquette de l’Unité populaire,« les forces de gauche » : les partis socialiste, radical et communiste, la centrale unique des travailleurs et le mouvement d’action populaire dénoncent la dépendance économique du Chili, par rapport aux États- Unis,et les privilèges de l’oligarchie foncière. Allende remporte les élections de septembre 1970:le Chili est le premier pays latino-américain à élire un président socialiste.

Quelle a été l’action d’Allende ? Pourquoi a-t-il été assassiné ?

À la tête du Chili, Salvador Allende met en oeuvre de nombreuses réformes. Il accorde le droit de vote aux analphabètes, augmente les salaires et accélère la réforme agraire mise en place en 1967 par Eduardo Frei, redistribue plus de 5 millions d’hectares de terres aux paysans et crée des conseils paysans. L’Unité populaire nationalise les grandes entreprises, les banques importantes, les gros gisementsminiers – le Chili est alors le premier producteur mondial de cuivre – appartenant jusque-là à des grandes sociétés états-uniennes. Cette politique audacieuse suscite l’opposition virulente des partis conservateurs, des grands propriétaires, de l’armée,des entreprises et du gouvernement des États-unis. La CIA soutient financièrement les opposants à Allende. En 1973, les opérations de déstabilisation du régime se multiplient, les infrastructures de communication sont sabotées et certains chefs d’entreprise organisent la pénurie des biens de consommation courante. Parallèlement, l’inflation explose, l’aide internationale chute et le mécontentement social s’accroît très rapidement. Une première tentative de coup d’État militaire échoue en juin. Augusto Pinochet, nommé général en chef des armées par Allende, renverse le gouvernement le 11 septembre. Le président refuse de se rendre et meurt au Palais de la Moneda, après avoir délivré son ultime message radiophonique : « L’histoire est à nous,c’est le peuple qui la fait. »

Allende et les socialistes français entretenaient-ils des relations particulières ?

Oui, et même des liens très étroits.En1970,l’arrivée au pouvoir d’Allende et la « voie chilienne vers le socialisme » interpellent les socialistes français. Allende démontre au monde entier que le socialisme démocratique peut mettre en pratique une politique sociale,tout en respectant la légalité constitutionnelle et les libertés publiques. En quête d’une nouvelle stratégie, François Mitterrand, nouveau Premier secrétaire du PS, rencontre Allende en novembre 1971 au Chili et s’inspire largement de l’Unité populaire chilienne pour élaborer l’Union de la gauche et son futur programme de nationalisation. Les socialistes, et les Français en général,ont été très émus par le coup d’État : ils condamnent fermement les putschistes et soutiennent les réfugiés politiques.

Quel est l’héritage politique d’Allende trente-cinq ans après sa disparition ?

Sous la dictature du général Pinochet, la mémoire d’Allende a été bafouée. Le 11septembre, jour anniversaire de sa disparition, était férié. Aujourd’hui, on assiste à une renaissance du socialisme chilien après l’élection, au sommet de l’État, de Michelle Bachelet. Fille du général Alberto Bachelet, fidèle d’Allende torturé et mort en prison en 1974, elle a elle aussi été arrêtée, torturée et exilée. Depuis janvier 2006 et son élection comme présidente de la République, elle fait vivre la mémoire du président Allende. Le Chili célèbre cette année le centenaire de sa naissance à travers un slogan qui le lie intimement au destin de son pays : « 100 ans pour Allende, 1000 rêves pour le Chili. »

Propos recueillis par Bruno Tranchant