Fin septembre 1790 paraît publiquement le journal La Feuille villageoise qui arrivera chaque dimanche dans chaque village de France. Son succès (16 500 abonnés en 1790) justifie d’y prêter attention.
Le texte a été numérisé sur Gallica et peut donc être consulté sur le web.
Voici quelques citations extraites d’éditoriaux :
« Lorsque dans un Etat, la servitude politique est abolie, on y retrouve encore deux servitudes naturelles et terribles, la pauvreté et l’ignorance. Un peuple misérable et au premier yran qui l’achète ; un peuple idiot est au premier fourbe qui le flatte. Ne pouvant semer la richesses dans les hameaux, nous essayons du moins d’y porter la vérité et l’instruction. »
« C’est pour vous que nous écrivons, paisibles habitants des campagnes, il est temps que l’instruction parvienne jusqu’à vous... Nous avons vu le temps où l’on n’avait pas honte d’assurer que l’ignorance devait être votre partage : c’est que l’ignorance de ceux qui sont gouvernés semble faire la sûreté de ceux qui gouvernent : c’est que des puissants qui abusent craignent toujours d’être observés. Ce temps d’obscurité n’est plus. Un nouveau gouvernement va succéder à celui qui, d’abus en abus, avait accumulé les maux sur tous les rangs et toutes les conditions. Il se soutenait par les préjugés qui entretiennent l’ignorance, ou par l’autorité qui impose silence aux réclamations et aux plaintes. Celui auquel vous allez être soumis ne peut se soutenir que par les lumières ; il se fortifie par l’instruction ; il se nourrit, dans chacune de ses parties, par l’émulation et par les connaissances que chacun y apporte ; il se remonte par la surveillance de tous ceux qui l’étudient et qui l’observent : il périrait, s’il n’était éclairé... »
« Persuadé enfin que les lumières naissent des lumières, et que l’esprit s’éclaire en proportion de ce qu’il est éclairé, nous vous présenterons, habitants des campagnes, toutes les découvertes utiles qui pourront rendre votre sort meilleur, enrichir vos retraites, faciliter vos travaux, et vous instruire des arts et métiers qui peuvent vous ouvrir de nouvelles sources d’abondance. Recevez donc les lumières ; qu’elles se répandent dans votre esprit comme la joie se répand dans le cœur, et n’oubliez jamais que, si la liberté se conquiert par la force, elle ne se conserve que par l’instruction. »
Joseph-Antoine Cerutti est à la fois le fondateur et le rédacteur en chef du journal jusqu’à son décès le 3 février 1792. Né près de Turin en 1738 puis venu en France, il a rédigé dès le milieu du 18ème siècle une dissertation sur les républiques anciennes et modernes particulièrement remarqué (prix de l’Académie de Toulouse) et attribué alors à Jean-jacques Rousseau. Il publie en 1788 un Mémoire pour le peuple français qui reçoit un excellent accueil du public. Non élu à l’Assemblée constituante, il se rend utile comme rédacteur de discours de Mirabeau en 1789. Nommé administrateur du département de la Seine puis élu député de la Seine à l’Assemblée législative, il décède à l’âge de 53 ans le 3 février 1792.
Après le décès de Cerrutti, Grouvelle et Ginguené prennent la responsabilité du journal.
Philippe-Antoine Grouvelle, salarié du prince de Condé et écrivain (poèmes, opéra, pièce de théâtre...). En 1789, il quitte son emploi auprès des princes pour s’engager dans la révolution. Le 10 août 1792, après la prise des Tuileries, la suspension de Louis XVI et le renvoi de ses ministres, l’Assemblée nationale législative nomme un gouvernement provisoire nommé Conseil exécutif provisoire ; Grouvelle en est le secrétaire. C’est à ce titre qu’il portera à Louis XVI sa condamnation à la mort.
16 et 19 janvier 1793 La Convention nationale vote la mort de Louis XVI
21 janvier 1793 Louis XVI guillotiné
Pierre-Louis Ginguené est d’une famille bretonne noble sans revenu. Connu comme écrivain avant 1789, il va participer à la Révolution sur des positions généralement modérées, collaborant à la Feuille villageoise, au Moniteur universel puis à la Décade philosophique. Attaché à Jean-Jacques Rousseau et à ses idées, il rédigea, en août 1791, une pétition demandant le transfert des cendres de Jean-Jacques Rousseau au Panthéon.
Parmi les autres rédacteurs importants, signalons le pasteur Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne, personnalité éminente de la Révolution.
Notre lecteur peut se reporter au bon article de wikipedia sur le sujet.
Encyclopédie à l’usage des masses laborieuses, la Feuille villageoise était un vaste magasin renfermant toute sorte d’instructions, d’explications, d’exemples, de questions et de réponses sur un très grand nombre de sujets utiles à posséder. Chaque volume, composé de 26 numéros, ou semaines, chacun de 20 pages, contenait une table alphabétique très détaillée qui ne comprend guère moins de cinq cents indications d’objets, dont il y est question : car Cerutti et ses collaborateurs ont parlé de tout ce qui pouvait intéresser les habitants des campagnes, et leur ont donné des notions sur tout.
Dans cette première série, composée de 52 numéros, ou semaines, les rédacteurs s’occupent d’abord de faire connaître à leurs souscripteurs la géographie universelle, puis celle de la France dans sa nouvelle division par départements. Chaque numéro commence par un fragment de ce traité. On y enseigne non seulement la géographie proprement dite, mais encore l’histoire des peuples et celle des villes. Ces leçons réunies forment un cours aussi instructif qu’attachant ; aussi l’article géographie de la Feuille villageoise est-il le plus suivi, le plus complet et le plus volumineux de ce recueil. Les rédacteurs exposent ensuite la situation de la France, par rapport à l’ancien et au nouveau régime : c’est une sorte de résumé de l’histoire de la Révolution jusqu’à la fin de 1790, dont la suite se trouve racontée dans chaque numéro. Plus loin, ils donnent un aperçu de la situation de la France à l’égard des autres puissances.
Un catéchisme de la constitution française et une table synoptique des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen se trouvent aussi dans les premiers numéros, avec des explications sur les difficultés que peut présenter l’exercice des droits du citoyen. D’excellents articles en forme d’instructions sur les tribunaux, sur les justices de paix, sur la juridiction de police exercée par les municipalités, sont disséminés dans ce recueil à côté d’explications sur les formes de la procédure nouvelle. On y trouve encore, à ce sujet, des articles destinés à faire comprendre l’institution des jurés, un aperçu du nouveau code pénal, sous le rapport des peines nouvelles substituées aux anciennes, et une appréciation des lois rurales.
Un article complet traitant des droits féodaux abolis, suspendus ou rachetés, initie le lecteur à ce dédale dans lequel s’engloutissait le fruit du travail des habitants de la campagne.
Comme les curés jouaient un grand rôle dans la Feuille villageoise, on y trouve une foule de lettres de ces pasteurs sur des sujets religieux ou moraux. Dans quelques-unes, on y examine la constitution civile du clergé ; les autres traitent des moyens d’instruire les paysans. Aux lettres des curés succèdent celles des maires, des fermiers, des maîtres d’école, etc. qui adressent aux rédacteurs de la feuille à laquelle ils se sont abonnés avec empressement beaucoup de questions, dont les réponses sont presque toujours imprimées dans le même numéro. On y relève une lettre de l’évêque d’Autun aux pasteurs de son diocèse, et l’exorde de l’abbé Grégoire sur son serment civique. On y trouve encore des aperçus sur la nouvelle division des diocèses ; un excellent traité des sectes religieuses, par Clavière ; des articles fort curieux sur les prêtres et sur le fanatisme. La réfutation de la bulle du pape contre les décrets de l’Assemblée constituante, et un dialogue entre un curé et un fermier, s’y font également remarquer...
Le journal connaît après le décès de Cerruti des convulsions importantes dues aux tensions politiques considérables de la France entre 1792 et 1795.
L’imprimeur essaie d’éliminer dès 1792 Grouvelle et Ginguené de la direction.
De nouveaux rédacteurs s’adjoignent au groupe.
Il s’agit :
de journalistes évoluant au fil des évènements comme Nicolas de Bonneville appelé à leur côté par Grouvelle et Ginguené
parfois de modérés comme , de François de Neufchateau, député à la Législative ou de Lanthenas, député girondin à la Convention
parfois d’acteurs révolutionnaires du courant radical des Montagnards comme Joseph Lequinio, député du Morbihan à la législative et à la Convention (engagé dans la guerre civile contre les chouans).
Même avec une équipe rédactionnelle globalement modérée, la Feuille villageoise ne peut que constater la volonté claire de la hiérarchie catholique et de ses relais de combattre les avancées de la Révolution comme la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (votée le 26 août 1789)
Elle ne peut que constater également la symbiose entre le catholicisme rural resté lié à la hiérarchie catholique et la contre-révolution poussant à la guerre civile.
« On nous a reproché, écrit la Feuille villageoise, d’avoir nous-mêmes montré un peu d’intolérance contre le papisme. On nous a reproché de n’avoir pas toujours épargné l’arbre immortel de la foi. Mais que l’on considère de près cet arbre inviolable, et l’on verra que le fanatisme est tellement entrelacé dans toutes ses branches qu’on ne peut frapper sur l’une sans paraître frapper sur l’autre. »
Journal lié à la progression de la Révolution depuis 1790, le dernier numéro de La feuille villageoise date du 2 août 1795, conclusion logique car la révolution n’a plus de force propulsive à ce moment là, particulièrement dans les milieux ruraux.
Concernant le bilan de ce journal, je voudrais ajouter à la partie C ci-dessus, son intérêt comme expérience de presse. En effet, ses rédacteurs ont refusé les aides financières du ministère, ont refusé l’aide des réseaux de club pour pouvoir rester libres ; "nous voulions être indépendants de tout pouvoir" affirme le comité de rédaction en 1791.
Jacques Serieys
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