19 avril 1943, début de la révolte du ghetto de Varsovie (par Maurice Rajsfus)

jeudi 20 avril 2023.
 

De l’antisémitisme aux causes de la Shoah (modestes remarques)

La Résistance juive face au fascisme

Il y a plus de soixante ans, le ghetto de Varsovie entrait en révolte contre l’occupant nazi. De nombreux ouvrages ont été écrits sur le sujet. Le meilleur parfois (note 1), le moins bon souvent. Selon certains auteurs, les insurgés luttaient pour sauver l’honneur du peuple juif. Pour d’autres, il y avait le futur État juif à l’horizon. Toujours est-il qu’il faut beaucoup chercher pour trouver les raisons de cette insurrection dans les enseignements des rabbins.

Soyons clairs, les religieux n’étaient pas vraiment présents parmi les révoltés, et pas davantage les sionistes purs et durs. La majorité des combattants et des dirigeants de la lutte des juifs du ghetto de Varsovie appartenaient au Bund, mouvement socialiste révolutionnaire juif de Pologne. Quant aux jeunes sionistes qui lutteront à leur côté, la plupart venait du mouvement Hashomer Hatzaïr, nettement situé dans la gauche révolutionnaire.

Au-delà, il faut quand même savoir que les hommes et les femmes qui, le 19 avril 1943, allaient créer une surprise, mêlée d’un début de panique dans les unités de SS, étaient minoritaires parmi les survivants du ghetto, déjà en voie de liquidation. Tous étaient voués à une mort inéluctable, et en tout cas programmée. Sur près de 500 000 juifs enfermés dans le ghetto depuis le mois d’octobre 1940, il ne restait plus guère que quelque 50 000 survivants à l’heure du soulèvement.

Cette guérilla du désespoir, cette volonté de survie, quelques jours, quelques semaines encore, n’était pas une révolution. Il ne pouvait y avoir d’autre objectif que de mourir debout. La révolte, à l’état pur, qui s’exprimait depuis ces maisons en ruines, d’où partaient sporadiquement des coups de feu, prenait peut-être ses racines dans le soulèvement de Spartacus - le refus de subir plus longtemps, et la certitude d’une mort horriblement préparée. Le 19 avril 1943, alors qu’éclate la révolte dans le ghetto de Varsovie, il y a déjà beau temps que la volonté génocidaire des nazis est connue des juifs de Pologne. L’alternative se situe entre la résignation obligée et le sursaut difficilement envisageable, tant est grand l’abattement des victimes désignées. A l’extérieur des murs du ghetto, la population est rien moins que solidaire...

Pourtant, depuis près de deux ans, quelques petits groupes de jeunes militants du Bund, très décidés, ne pouvaient se résoudre à cette mort promise aux parias. L’un des dirigeants de la révolte, Marek Edelman, rappelle, dans ses Mémoires du ghetto de Varsovie, que cette volonté de survie était accompagnée d’une autre forme de résistance, par la création d’universités clandestines, d’écoles souterraines, de journaux même au faible tirage et à la diffusion difficile. Le combat contre la barbarie n’avait donc pas qu’un caractère violent.

Comme l’explique fort bien Wladimir Rabi : « la décision de prendre les armes n’est née que quand (...), tout espoir de survie s’est trouvé dissipé... Du fond de l’abîme, la dignité humaine s’exprimait malgré tout, ne pouvant imaginer que la barbarie puisse rester sans réponse. »

C’est encore Marek Edelman, l’un des rares survivants parmi les combattants du ghetto de Varsovie qui, répondant à une interview dans Libération, le 18 avril 1988, expliquait : « Il n’y a jamais eu d’insurrection. Il y avait bien quelque chose mais ce n’était pas une insurrection. Une insurrection a un début, une fin et, surtout, un espoir de victoire. En avril 1943, il n’y avait pas de début et surtout il n’y avait aucun espoir ! »

Terrible réflexion, simple et tragique rappel à une histoire trop récupérée à des fins inavouables. Et Marek Edelman poursuivait : « Nous n’avions même pas choisi le jour. Les Allemands l’ont imposé en pénétrant dans le ghetto pour chercher les derniers juifs. Nous n’avions que le choix de la manière de mourir. »

Déjà, le Conseil juif du ghetto de Varsovie et sa police juive, mise en place par les nazis, devenus inutiles, avaient été dissous et ses dirigeants déportés. La seule question que les survivants pouvaient se poser était tragiquement simple : jusqu’à quand ?

La chronologie de cette révolte est nécessairement pathétique. Comment 250 hommes et femmes (chiffre fourni par Marek Edelman) peu armés, ont-ils pu s’opposer à la force brutale des SS, puissamment armés ?

Débutée le 19 avril 1943, la révolte se termine le 8 mai suivant par le suicide collectif de la majorité des survivants

et, parmi eux, leur « commandant » Mordechaï Anielewicz. Près de trois semaines d’une lutte plus qu’inégale, dans des caves, véritables trous à rats, avec la seule volonté de vivre une journée de plus...

Nos sociétés, et les pleureuses qui président aux grandes commémorations officielles, n’ont pas assez de vocabulaire pour magnifier les héros qui se sont dressés face à la soldatesque hitlérienne. Tout en oubliant les massacres de bien des minorités depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, dans la tranquillité morale des bons esprits.

Il convient de souligner que le drame du ghetto de Varsovie n’a guère ému les bonnes consciences dans les démocraties qui faisaient la guerre à l’Allemagne - et peut-être pas au nazisme - en cette année 1943. C’est ainsi qu’un représentant du Bund, qui avait réussi à passer en Angleterre, Samuel Zygielbojm, fit le tour des chancelleries pour attirer l’attention sur le sort des juifs de Pologne. En vain. Zygielbojm finit par se suicider, à Londres, le 12 mai 1943, pour protester contre l’indifférence des gouvernements alliés, après que l’information fut parvenue de l’anéantissement du ghetto de Varsovie. Il laissait un message, en guise de testament : « La responsabilité du crime d’extermination totale des populations juives de Pologne incombe en premier lieu aux fauteurs du massacre, mais elle pèse indirectement sur l’humanité entière, sur les peuples et les gouvernements des nations alliées qui n’ont, jusqu’ici, entrepris aucune action concrète pour arrêter ce crime... Par ma mort, je voudrais, pour la dernière fois, protester contre la passivité d’un monde qui assiste à l’extermination du peuple juif et l’admet. »

Les nationalistes israéliens et les rabbins voudraient nous faire oublier que la révolte du ghetto de Varsovie, et sa longue préparation, a surtout été l’oeuvre des jeunes militants du Bund. Ces jeunes révolutionnaires juifs, résolus à survivre le plus longtemps possible afin que leur combat puisse témoigner de la difficulté de la lutte contre le monstre nazi, ont été tragiquement oubliés. Il ne reste plus que le souvenir glorifié d’un nationalisme juif instrumentalisé par l’État sioniste et les synagogues. Comment entendre sans réagir cette prière prononcée le jour de la Pâque juive : « Le premier jour de la Pâque, les survivants du ghetto de Varsovie se dressèrent contre l’adversaire... Ils ont apporté la rédemption d’Israël à travers le monde entier... Et de la profondeur de leur affliction les martyrs élevèrent la voix en un chant de foi en la venue du Messie... » (S’il s’était trouvé un seul rabbin en compagnie des révoltés, les bonnes âmes se seraient chargés de nous le faire savoir.)

Dérisoire prière. Escroquerie morale. Il serait temps de faire justice de cette histoire. Cette brève lutte contre le fascisme en un temps où les intégristes religieux de tous bords prétendent montrer le droit chemin aux exclus...

Maurice Rajsfus

1 : Plus particulièrement, les Mémoires du ghetto de Varsovie de Marek Edelman, Éditions du Scribe, 1983, réédité par Liana Lévi, et L’Insurrection du ghetto de Varsovie, présentée par Michel Borwicz, Julliard, collection Archives, 1966, ainsi que le tome II de l’oeuvre de John Hersey, La Muraille, Gallimard, 1952.

En février 1989, me trouvant à Varsovie, j’ai cherché le lieu où se situait le bunker des derniers combats, où Anielewicz s’est donné la mort, entouré de ses derniers compagnons. Il faut imaginer ce coin de terre au bout du monde, devenu une immense esplanade bétonnée. Là-même où s’entremêlaient des dizaines de petites rues ; là où sur quelques hectares avaient été entassés environ 500 000 juifs. J’imaginais les murs entourant le ghetto, les SS incendiant les maisons déjà en ruine, avec leurs lance-flammes.

Déambulant sur cette dalle, sous laquelle dorment des dizaines de milliers de victimes, je ne pouvais oublier ce voyage en Pologne, avec ma mère et ma soeur, en août 1935. Il me restait même cette nuit passée dans l’une des maisons du quartier juif (le futur ghetto) où l’on pouvait encore voir les porteurs d’eau, des artisans travaillant à même le trottoir. Comment oublier cette rue Nalewki, grouillante d’enfants, et ces fiacres qui se frayaient difficilement le passage. Souvenir fugitif d’une vie de misère.

En relisant les Mémoires du ghetto de Varsovie, de Marek Edelman, j’ai retrouvé cet épisode d’un combat s’étant déroulé le 19 avril 1943, au carrefour des rues Nalewki et Gesia. Les SS étant momentanément mis en déroute. Du bunker d’Anielewicz, je m’étais rendu à l’Umschlaplatz, cette gare de triage où les juifs du ghetto de Varsovie étaient déportés vers Treblinka ou Auschwitz pour leur dernier voyage. Je tentais de ressusciter ces jours de combats inégaux. Cette détresse qui fait se redresser des hommes et des femmes ne pouvant se résoudre à mourir à genou et suppliants.

J’étais très seul dans le froid de l’hiver polonais, et mon circuit s’est terminé au cimetière juif de Varsovie. En quelques heures, j’avais fait le tour, lentement, de ce petit univers anéanti, tentant de retrouver l’emplacement de cette rue Nalewki, dans ce quartier des brossiers, dernier lieu de résistance connu.

Autre article sur notre site


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message