Ces accords présentent un intérêt pour Pie XI comme pour Mussolini :
* Pour le premier, ils marquent la restauration de l’Italie à Dieu, et de Dieu à l’Italie. Il y gagne la reconnaissance du Vatican comme un Etat dont le pape est souverain. Cette Cité indépendante constitue dorénavant la personnification juridique de l’Eglise ; elle permet au Saint-Siège d’être représenté dans les institutions internationales.
* Le second en retire le soutien de l’Eglise italienne et le prestige d’excellentes relations entre fascisme et catholicisme (plus la reconnaissance de Rome comme capitale de l’Italie).
1) L’Eglise catholique engrange par les Accords du Latran, les fruits de son soutien indéfectible au fascisme depuis 1921, 1922
Le fascisme naît en Italie comme agent du patronat et de la droite libérale
En octobre 1922, les chemises noires marchent sur Rome. Le 30 octobre, le roi nomme Mussolini à la tête du gouvernement. L’Eglise pavoise : elle reprend place officiellement dans tout l’enseignement ; les crucifix peuvent à nouveau être apposés dans toute salle de classe.
De 1921 à 1925, les squadristes (hommes de main du fascisme) :
* multiplient les expéditions punitives contre des militants de gauche, syndicalistes et démocrates
* assassinent impunément
12 octobre 1922 Assassinat de Giuseppe Valenti par les fascistes
* envahissent la Bourse du travail de Milan et intimident le mouvement ouvrier
* arrêtent de nombreux politiques et journalistes
* truquent complètement les élections
6 avril 1924 Comment la droite italienne (fascistes et libéraux) gagne les élections
* dévastent des locaux de journaux, détruisent des sièges de partis, tabassent des militants, sabotent complètement des meetings...
* affirment leur valeur fondamentale : la force
Le pouvoir interdit le Parti Communiste, le Parti Socialiste Unitaire et la franc-maçonnerie.
L’Eglise, elle, négocie sa place dans le nouveau système politique et social italien.
Ces discussions aboutissent aux Accords du Latran qui comprennent un traité politique, une convention financière, un concordat religieux.
2) Le pape Pie XI présente très tôt Mussolini comme un envoyé, un protégé de la divine Providence
Voici par exemple pour la Noël 1926 le message du pape (après l’échec d’une tentative d’attentat sur Mussolini) :
" L’Italie elle-même, que la nature et la religion Nous rendent si chère à tant de titres, n’a pas échappé aux orages. Nous disons aux orages, ce n’est pas sans intention. Tout d’abord elle fut secouée d’horreur et d’indignation pa un fol attentat contre cet homme qui, avec une énergie et une vigueur si rares, tient les rênes du gouvernement ; et l’on tremble à bon droit pour le salut de l’Etat toutes les fois que sa vie, don de la Providence, est menacée. Mais par une assistance des plus efficaces et et presque visible de la divine Providence, ce premier mouvement d’horreur et de colère a pu faire place aux joyeuses acclamations de tout un peuple, aux félicitations, aux actions de grâce ; et l’on a publiquement remercié le Dieu Sauveur d’avoir arraché à la mort sans même qu’il soit blessé, cet homme sur le point de périr. Nous aussi, informé de l’évènement parmi les premiers, Nous fûmes parmi les premiers à offrir de justes actions de grâce à Dieu".
Dans son livre "L’Eglise catholique face au fascisme et au nazisme", Henri Fabre note que ce type d’exultation n’est pas seulement diplomatique puisqu’on trouve la même attitude, les mêmes sentiments vis à vis du régime mussolinien dans les notes adressées par le pape à son secrétaire général, le cardinal Gasparri :
" Etat catholique", dit-on et répète-t-on, mais "Etat fasciste". Nous en prenons acte sans spéciales difficultés, volontiers même, car cela veut dire sans aucun doute que l’Etat fasciste, tant dans l’ordre des idées et des doctrines que dans l’ordre de l’action pratique, ne veut rien admettre qui ne s’accorde avec la doctrine et la pratique catholique, faute de quoi il n’y aurait pas et il ne pourrait pas y avoir d’Etat catholique".
3) Les Accords du Latran, un traité politique
Ils reconnaissent la souveraineté papale sur l’État du Vatican. Celui-ci est constitué de la cité même du Vatican ( place Saint-Pierre, basilique, palais du Vatican et jardins attenants), du palais de Castel Gandolfo, des trois basiliques patriarcales de Saint-Jean-de-Latran, Sainte-Marie-Majeure et Saint-Paul-hors-les-Murs (bénéficiant d’un statut d’extraterritorialité). L’Etat italien s’engage à assurer les communications extérieures du Vatican, sa protection (y compris policière en cas par exemple d’incident sur la Place saint Pierre), la tenue des conclaves.
Ils reconnaissent aussi au nouvel État des services publics : le Vatican aura une gare, des services postaux, une monnaie (la lire vaticane), une presse, une radio et une télévision avec le droit d’émettre, etc. Le Vatican devient une personne de droit international. Le préambule du pacte stipule ainsi :
« Étant donné que, pour assurer au Saint-Siège l’indépendance absolue et visible, il faut lui garantir une souveraineté indiscutable, même dans le domaine international, on s’est rendu compte qu’il était nécessaire de constituer, avec des modalités particulières, la Cité du Vatican, reconnaissant au Saint-Siège, sur cette même Cité, la pleine propriété, la puissance exclusive et absolue et la juridiction souveraine. »
4) Les Accords du Latran , une convention financière
En 1871, la papauté a refusé d’accepter les 2 milliards de livres offerts par l’Etat en compensation des pertes territoriales pontificales lors de la création de l’Italie, comme nation. De 1871 à 1929, les papes ont continué à refuser cet accord, se considérant prisonniers du Vatican.
Or, en 1929, Pie IX accepte pour une somme. Il s’agit donc pour la papauté d’un choix en faveur de Mussolini par rapport aux gouvernements et régimes précédents. L’Italie verse immédiatement 750 millions de lires au Vatican ; s’y ajoutent un milliard de lires en rente consolidée à 5%.
5) Les Accords du Latran, un concordat religieux
Ses conséquences concrètes sont très importantes :
* le catholicisme est déclaré "seule religion de l’Etat" ;
* l’enseignement religieux catholique devient obligatoire dans toutes les écoles primaires et secondaires ;
* la nomination des évêques reste du seul ressort du pape, mais ceux-ci doivent prêter serment de fidélité devant le souverain allié de Mussolini ;
* les congrégations religieuses sont dotées d’une personnalité juridique leur permettant d’acquérir des biens ;
* le droit canonique a valeur de droit civil (interdiction du divorce, prêtres exemptés du service militaire...). Les mariages catholiques et les jugements de l’Église en matière matrimoniale prennent effet civil. Les juridictions ecclésiastiques sont reconnues en matière spirituelle et disciplinaire, un prêtre apostat pouvant ainsi se voir refuser un emploi public.
6) L’impact des Accords du Latran sur le catholicisme mondial dans le sens d’une valorisation du fascisme
La publicité donnée par le Vatican au traité passé avec Mussolini va avoir un impact important sur les milieux de la droite catholique. Elle va influer sur le glissement de nombreux acteurs de celle-ci vers le fascisme et la collaboration.
Voici par exemple le bilan des Accords du Latran dressé par le bulletin numéro 7 (mars avril 1929) de la Ligue des Catholiques du Rouergue édité par l’évêché :
" Un chef éminent a surgi des entrailles mêmes du peuple italien... M. Mussolini a enfin atteint l’objectif de ses généreux, patients et courageux efforts au service de la pacification religieuse et du mieux être de son pays. Honneur à lui !
7) La postérité des Accords du Latran
Remarquons d’abord l’ignominie de nombreux gouvernements qui s’empressent de féliciter le Vatican dès ces accords signés. C’est en particulier le cas d’Aristide Briand pour la France.
De 1929 à 1945, pour l’essentiel, les relations resteront bonnes entre le Vatican et l’Etat fasciste italien.
Quant aux Accords du Latran, ils sont pour l’essentiel encore en vigueur.
Jacques Serieys
Fascisme de 1918 à 1945 : causes, caractéristiques, réalité par pays, définition
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