L’impérialisme américain vu par le général de Gaulle (22 août 1945)

samedi 3 novembre 2018.
 

Dans le troisième tome de ses Mémoires de guerre (1959), l’auteur rapporte ses entretiens avec le président Truman, à Washington, les 22, 23 et 25 août 1945.

Le nouveau Président avait renoncé au plan d’une harmonie mondiale et admis que la rivalité du monde libre et du monde soviétique dominait tout, désormais. L’essentiel consistait donc à éviter les querelles entre États et les secousses révolutionnaires, afin que tout ce qui n’était pas communiste ne fût pas conduit à le devenir.

Quant aux problèmes compliqués de notre antique univers, ils n’intimidaient point Truman qui les considérait sous l’angle d’une optique simplifiée. Pour qu’un peuple fût satisfait, il suffisait qu’il pratiquât la démocratie à la manière du Nouveau Monde. Pour mettre fin aux antagonismes qui opposaient des nations voisines, par exemple Français et Allemands, il n’était que d’instituer une fédération des rivaux, comme avaient su le faire entre eux les États d’Amérique du Nord. Pour que les pays sous-développés penchent vers l’Occident, il existait une recette infaillible : l’indépendance ; à preuve l’Amérique elle-même qui, une fois affranchie de ses anciens possesseurs, était devenue un pilier de la civilisation. Enfin, devant la menace, le monde libre n’avait rien de mieux à faire, ni rien d’autre, que d’adopter le « leadership » de Washington.

Le président Truman était, en effet, convaincu que la mission de servir de guide revenait au peuple américain, exempt des entraves extérieures et des contradictions internes dont étaient encombrés les autres. D’ailleurs, à quelle puissance, à quelle richesse, pouvaient se comparer les siennes ? Je dois dire qu’en cette fin de l’été 1945 on était, dès le premier contact avec les États-Unis, saisi par l’impression qu’une activité dévorante et un intense optimisme emportaient toutes les catégories. Parmi les belligérants, ce pays était le seul intact. Son économie, bâtie sur des ressources en apparence illimitées, se hâtait de sortir du régime du temps de guerre pour produire des quantités énormes de biens de consommation. L’avidité de la clientèle et, au dehors, les besoins de l’univers ravagé garantissaient aux entreprises les plus vastes débouchés, aux travailleurs le plein emploi. Ainsi, les États-Unis se sentaient assurés d’être longtemps les plus prospères. Et puis, ils étaient les plus forts ! Quelques jours avant ma visite à Washington, les bombes atomiques avaient réduit le Japon à la capitulation.

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome III, Le Salut, Paris, Plon, 1959, pp. 209-210.


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