Regardez-le, ce petit garçon. C’est Roger Godfrin et il est né en 1936, dans un village qu’on appelait Charly. Oui, je vois bien que ça a l’air d’une blague, et pourtant non. Ça se trouve au nord de Metz.
En 40, comme plein d’autres gamins de son âge, il quitte la Moselle avec sa famille, pour filer dans la « France de l’Intérieur », comme on dit de tout ce qui n’est ni mosellan, ni alsacien. Il va passer là le temps de la barbarie, à l’abri, bien au calme, pendant que les nazis s’occupent de sa province. Bien au calme, bien au chaud. Pendant trois ans et demi. Il va à l’école, il s’amuse avec les copains, il doit bien un peu se faire chambrer, rapport à son accent, mais en gros, la guerre, il la voit de très très loin.
En 1944, ça y est, les alliés (et aussi des Français, on l’oublie un peu souvent ces temps-ci, non ?) débarquent. Pour les soldats allemands, c’est la retraite, la débandade. C’est moche, une armée en déroute, c’est triste, et ça peut aussi être cruel. Comme ce jour-là, où, dans le petit patelin où jouait Roger, la déroute s’est déguisée en horreur. Tout y est passé, femmes, enfants, hommes, maisons, granges, le lance-flammes ne fait pas dans la dentelle, en général.
Roger, il s’est planqué. Son père lui avait dit un jour, si tu vois un uniforme allemand, tu cours, tu te caches. Il s’est planqué, Roger, et ça lui a sauvé la vie. Son père, sa mère, ses sœurs, tous, ils y sont restés. Avec les 642 autres.
Et puis, il est revenu en Lorraine. Il a raconté, il a témoigné. Il s’est battu pour que son village lorrain change de nom. Son village qui s’appelle maintenant Charly-Oradour, comme ce bel endroit où les parents de Roger l’avaient emmené, pour échapper à la barbarie.
Si vous venez en Moselle, poussez donc jusque là. Moi, c’est mon super prof de quand j’étais petite qui m’a raconté cette histoire, lui aussi était évacué dans ces coins-là, juste assez loin pour n’avoir vu que la fumée d’Oradour qui montait… C’était il y a exactement 67 ans le 10 juin 1944...
brigitte blang pg57
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