"Bayrou veut prendre notre place" (entretien avec Henri Emmanuelli dans Libération)

dimanche 13 septembre 2009.
 

L’ « offre publique de débat » formulée par François Bayrou en direction de la gauche, constitue-t-elle à vos yeux une avancée ?

« François Bayrou a dit dimanche la seule chose qu’il pouvait dire. Après avoir pratiqué un antisarkozysme musclé, la route à droite lui est coupée. Il ne lui reste donc plus qu’à essayer de siphonner l’opposition. Bayrou ne nous fait pas une offre, il emprunte la seule issue qu’il lui reste ! »

Tout rapprochement est donc inenvisageable ?

« Il faut rappeler que son objectif premier n’est pas de figurer avec nous dans une alliance politique, mais d’être à notre place au second tour de la présidentielle. Et si c’est pour prendre notre place, je t’aime beaucoup, François, mais je préfère les miens. C’est plus sûr ! »

Certains de vos camarades, comme Vincent Peillon, leader du courant Espoir à gauche, y voient pourtant une évolution ?

« On nous a expliqué qu’une alliance de Besancenot à Bayrou serait une avancée historique. En réalité, on fait semblant de croire que Besancenot et Bayrou vont se retrouver dans la même configuration, tout en sachant parfaitement que c’est totalement irréaliste. On retombe donc, en réalité, de facto, sur l’hypothèse d’une alliance entre le centre et la gauche, c’est-à-dire du vieux schéma de troisième force. Où sont l’originalité et la clarté là-dedans ? Au passage, je note que Vincent Peillon se présente comme un leader du courant de Ségolène Royal. Mais a-t-on demandé à Royal si Peillon était toujours le leader de son courant ou son Bernard l’ermite ?

Et l’argument de François Rebsamen, selon lequel le total gauche, au premier tour de la présidentelle, ne s’élevait qu’à 36% ?

« Et l’UMP, ça fait combien, tout seul, au premier tour (31%, ndlr) ? Ce n’est pas sérieux. Il s’agit juste de faire du vent avec la bouche pour être dans l’air du temps. Et comme le dit Kundera, être dans l’air du temps, c’est l’ambition des feuilles mortes. »

Autre sujet d’actualité au PS , les primaires ouvertes promises par Martine Aubry. Y êtes vous favorable ?

« Je rappelle qu’il y a eu une primaire fermée en 1995 entre Lionel Jospin et moi, et une autre plus ouverte en 2007, remportée par Ségolène Royal. Mais je n’ai pas remarqué qu’en faisant un pas en avant, on s’assurait d’une victoire électorale. En quoi les primaires, où l’on a fait voter des millions de personnes, ont-elles réglé le problème de la gauche italienne ? Aujourd’hui, celle-ci n’existe plus. »

L’évolution vers une désignation du candidat socialiste par les sympathisants semble néanmoins acquise...

« On nous avait expliqué, la dernière fois, que la primaire devait être publique. C’était une erreur, puisque nos candidats se sont déchirés. Et là, nous allons encore discutailler pendant deux ans pour savoir qui va y participer. Et pendant qu’on parle de cela, Nicolas Sarkozy se frise les moustaches. Je note par ailleurs que sur le terrain, personne ne parle de la primaire ni du Modem. Ce qui est dans les esprits, c’est le forfait hospitalier, le prix du lait, le chômage et la taxe carbonne »

Et l’argument de la légitimité que confèrerait un vote impliquant plusieurs millions de citoyens de gauche ?]]

« Désigner notre candidat de cette manière aura des conséquences irrémédiables sur la nature du parti. Ce sera un pas de plus vers un mouvement épisodique de supporters, comme le Parti démocrate américain, qui n’existe d’ailleurs qu’au moment des primaires.

Autre chantier promis par la première secrétaire, celui du non-cumul des mandats...

« Je ne comprends pas qu’on s’enferre dans ce type de sujet qui préoccupent davantage les socialistes que l’opinion publique, laquelle a malheureusement d’autres chats à fouetter. Si on dissocie élus de terrain et élus nationaux, ce sera, à terme, l’explosion.

Votre avis sur la rentrée du PS ?

« Martine Aubry a plutôt bien manoeuvré à La Rochelle et son discours du dimanche avait du fond. Mais pour combien de temps aura-t-elle un peu de tranquillité pour pouvoir travailler sérieusement ? J’observe que les agités de l’égo s’agitent à nouveau.

Propos recueillis par David Revault D’Allonnes.


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