La catastrophe économique n’est-elle qu’une dérive du système capitaliste ?

mercredi 14 octobre 2009.
 

Les mots sont une arme et le choix de ceux-ci est une bataille qu’ont déjà perdue ceux qui n’ont pas vu qu’elle avait déjà commencé. Lorsque des historiens débattent afin de savoir si la terreur est, ou pas, un « accident » de la Révolution, quel est l’enjeu ? Ni plus ni moins que l’idée que l’on se fait de la Révolution française et, de façon à peine subliminale, du concept même de révolution. Dire, comme le faisait, il y a quelques années, l’historien François Furet, que la terreur n’était pas un « accident » de la révolution, mais bien une conséquence inexorable de celle-ci, permettait de porter un autre regard (discutable) sur cet événement fondateur de notre société : la logique de la terreur était inscrite dans la logique révolutionnaire. De là à penser que toute révolution porte en elle logiquement une phase de terreur…

L’actuelle crise est, nous dit-on, une scandaleuse « dérive » du système capitaliste. Mais il semble bien que le concept de « dérive » est à l’économie ce que le concept d’« accident » est à l’histoire !

Dire d’un événement historique qu’il est un « détail » ou bien un « accident », c’est un peu la même chose que de parler d’« excès » ou de « dysfonctionnement » d’un système économique. La notion d’« accident », par définition, ne se comprend que par rapport à une norme. Tout comme une « dérive » ne s’explique qu’en référence à une rive dont on s’écarte. Dans les deux cas ce qui aurait pu donner tort au système ou à la philosophie de l’histoire est baptisé comme une exception, et, on le sait, l’exception est ce qui confirme la règle. Il s’agit alors simplement de minorer ce qui pourrait donner tort et de sauver une règle grammaticale, un système économique, une logique historique, une rive, bref, un chemin dont l’orientation n’est donc pas remise en cause.

Comment démonter la supercherie ? Comment démontrer que derrière la bataille des mots se joue une bataille idéologique ?

En soulignant le lien logique et donc fort entre le principe même du capitalisme et ce qui s’est produit (l’encouragement à avoir plutôt qu’à être). En montrant comment, depuis des années, le libéralisme mettait en place patiemment, mais inexorablement, les conditions d’une telle crise (dérégulations…). Mais en pointant également comment les supposés remèdes proposés à présent par nos libéraux ne traitent que de la surface des choses en se gardant de toucher au coeur du système, aux causes profondes de la crise (ainsi, par exemple, la recapitalisation de banques avec de l’argent public doublée d’un refus forcément idéologique de prendre le contrôle des banques que l’État vient de sauver et donc la conséquence logique qui est que, à peine sauvée de la faillite, les banques recommencent à spéculer et à provisionner de faramineuses sommes pour servir les taux de profit des actionnaires et les bonus de leurs fameux traders ).

Ce n’est pas une « dérive », dans un système fondé sur la notion de profit, de tenter d’augmenter son profit. Tous ceux qui, aujourd’hui, jouent les redresseurs de torts sont ceux-là même qui ont appris à lire dans Adam Smith et ont, depuis qu’ils font de la politique, toujours parié qu’une « main invisible » harmoniserait les égoïsmes individuels qu’ils rebaptisaient : « liberté d’entreprendre » (encore une question de mots).

Le système économique dans lequel a surgi la crise est celui qui considérait (en accord avec Smith et ses copains libéraux) que lorsque plusieurs individus tirent chacun de leur côté sur une couverture, celle-ci ne se déchire pas, mais va s’agrandir.

Comment considérer que ceux qui ont spéculé plus que les autres, risqué davantage pour accroître leur profit, ont « dérivé » ? Comment considérer que ce qui s’est passé est un « dysfonctionnement » lorsque le président de la République française légitime le G20 en disant que ceux qui vont tenter de sauver le système pèsent 85 % de la production mondiale, alors qu’il faudrait, au contraire, s’interroger sur la légitimité d’un système où 85 % de la production de richesse est dans les mains de seulement vingt des cent quatre vingt treize pays que compte l’ONU ? Finalement, clamer dans les médias que l’actuelle crise est une « dérive » du système capitaliste, c’est un peu comme soutenir que les camps d’extermination étaient une dérive du nazisme.

On objectera que j’ai tort, car… Patrick Devedjian existe ! Le sous-ministre chargé de la relance de la machine est là pour veiller à ce que l’argent public soit bien utilisé et ne serve pas, par exemple, à ce que les banques spéculent plutôt que de prêter de l’argent aux entreprises. On attend avec impatience la prochaine bataille de mots qui devra expliquer à la fin de l’année que la crise se solde par des profits record pour les banques et un record de déficit pour l’État. Nul doute qu’après les « patrons voyous », madame Parisot nous fera le coup des « banquiers cupides ». Une « dérive », en somme…

Par Michel Sparagano, professeur de philosophie (Tribune dans L’Humanité)


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