VIE MEDIATIQUE ET VIE SOCIALE. Tragicomédie de la droite au Parlement européen pour défendre Berlusconi

jeudi 22 octobre 2009.
 

Jeudi matin dernier il y avait du sport au parlement européen à Bruxelles. L’orage s’accumulait depuis la veille. Au propre et au figuré. La nuit précédente nous avons eu un « vrai tonnerre de Brest avec des cris de putois », comme le chante Brassens. Mais auparavant dans l’enceinte du parlement il y avait déjà de l’électricité dans l’air. Mercredi, la droite a essayé de faire retirer de l’ordre du jour une motion sur la liberté de la presse en Italie. Mais c’est cette proposition qui a été battue. Les libéraux ont voté avec la gauche. Donc le lendemain matin le débat a eu lieu. J’avais cinq minutes de retard en séance mais je ne suis pas sur d’avoir manqué grand-chose. La commissaire européenne, que je connais bien pour l’avoir fréquentée quand elle s’occupait d’éducation, fait des gammes de bulles de savon sur le thème de la liberté de la presse en général et du droit des Nations à en disposer elles mêmes et selon leur législation. N’était le sujet, ça me ferait bien rire de voir tous ces donneurs de leçons, qui se sont répandus en injures contre Chavez pour le non renouvellement d’une licence de télé voyou, se draper dans leur indignation sélective pour défendre le monopole de Berlusconi. La vérité est quand même que leur abaissement moral me réjouit. Vérité ici, mensonge là. C’est si grossier ! Leurs turlupinades me renforcent dans mon implacable hostilité à leur système, leur comédie, leurs jérémiades sur les droits de l’homme bafoués partout ou leurs armées, leurs hommes d’affaires et leurs griots tendent les pattes impatientes.

BERLUSCONI EST BIEN DEFENDU

En attendant j’ai vu la droite de toute l’Europe, Français en tête, en rang serré autour du drapeau de Berlusconi. Une ligne argumentaire simple : le parlement européen n’a pas à s’exprimer sur un sujet qui concerne l’Italie et les Italiens. Facile. Mais on se demande alors pourquoi existe l’Europe si elle ne se mêle pas de ce que font ses membres, en ce qui concerne les droits fondamentaux avec lesquels elle se gargarise à longueur d’année. Et pourquoi l’Europe se mêlerait de la liberté de la presse dans des pays lointains si elle n’en dit rien sur son propre sol. De l’autre côté, depuis nos rangs et ceux des sociaux démocrates on plaide que des principes universels sont en cause. Et on en apprend de belles, au fil des interventions sur les méthodes de la bande à Berlusconi. Patrick Le Hyaric par exemple, a fait un point étendu sur les poursuites judiciaires engagées par Berlusconi contre les journaux et journalistes, en Italie et même ailleurs, jusqu’en France. On voit même les libéraux monter en ligne contre la concentration des médias et le système Berlusconi. L’un d’entre eux se fait aussitôt traiter de communiste par un orateur de droite. « Osez dire que vous n’êtes pas communiste » lui lance l’excité ! Tous protestent que la commission ne fait aucune proposition contre la concentration de la presse. La réplique de l’assemblée au néant de la Commission est que personne n’a écouté la réponse de madame la commissaire qui s’est égosillée dans une ambiance de marché aux puces. En fait, il y a des plats qu’on ne goûte pas deux fois. Mon fichu fil de casque de traduction crachouillait affreusement. J’ai donc manqué pas mal de subtilités de cette sorte, j’en suis certain. Mais, souvent, le son de la voix me suffisait. Sans oublier les gestes.

TRAGI COMEDIE

La grosse colère des élus de droite et d’extrême droite italienne avait une délicieuse apparence de tragi-comédie à la Fellini, cinéaste dont je suis très raffolé.. Côté droite, on a beaucoup raillé les indignations de la « gauche caviar ». Puis on a cité beaucoup le président de la République italienne comme un refrain. En effet celui-ci a affirmé que le parlement européen n’a pas de compétence sur le sujet. Et puis, comme c’est un ancien communiste, donc c’est censé nous faire mal. Mais on a aussi cité une interview de Cohn Bendit. Pour lui Berlusconi n’est pas un dictateur. Pour lui, c’est tout simplement le centre gauche qui a perdu les élections et rien d’autre. Wee ! Avec de tels amis plus besoin d’ennemis ! Mais ça sent quand même la citation truquée hors contexte. Les italiens sont très excités et crient beaucoup. Parfois on ne comprend pas l’allusion qui est faites par l’un ni pourquoi les autres italiens hurlent. L’un d’entre eux nous crie longuement des injures en répétant le mot cinq ou six fois. Il est tout rouge de colère et somme toute plutôt grassouillet et postillonnant. Sa cravate est radicalement nulle. Mais où diable veut-il ne venir ? Mon casque crachouille une bouillie sonore inaudible. Tant pis le visuel me renseigne suffisamment. Et en plus il siège avec les nationalistes anglais. A un autre moment, je vois que d’autres nationalités sur les bancs de droite s’associent aux hurlements et crient « honte à toi », quand une députée italienne évoque je ne sais quel « massacre » nié par les berlusconiens. Ces gens sont impayables. La violence de leurs réactions sur ce sujet et leur morne indifférence à propos du Honduras est un contraste si violent ! Je parle du Honduras parce que le parlement européen n’a toujours pas condamné le coup d’Etat. Le cardinal pontife suprême de la droite à la commission des affaires étrangères, l’espagnol Salafranca a estimé qu’on « verrait », à propos du coup d’état, le jour « où on parlerait aussi de Cuba ». Jeudi les Etats Unis ont déclaré qu’ils ne reconnaitront pas le résultat des élections au Honduras…Ca ne changera rien ici. Le parlement européen, et ses faces de pierre conservatrices, sont directement branchés sur le secteur des néo-conservateurs étatsuniens. Par conséquent, pour eux, le Honduras est un test de résistance à la vague démocratique en Amérique latine. Les caniches européens sont aux ordres. Et puis ils ont tant à faire ! Aujourd’hui, Salafranca est en train de bramer son opposition contre la persécution de Silvio Berlusconi. Je suis sur que cet énergumène doit se pâmer quand le Dalaï Lama vient faire ses sketchs de théocrate au parlement européen. Hé ! Hé ! Au moins, c’est clair, ici. Les moches n’ont pas peur de la lumière.

VIE MEDIATIQUE ET VIE SOCIALE

Ce débat au parlement européen a donc opposé les partisans du bien et ceux du mal à propos de liberté de la presse et tout ça. Il me parait cependant assez artificiel ! Certes, je partage les critiques sur la concentration des médias comme risque avéré pour la démocratie et la citoyenneté. Ca se comprend facilement. 80 % des informations dont disposent les citoyens viennent des télévisions. Qu’elles soient en même mains et les citoyens ne disposent plus d’aucun moyen de former leur conviction de façon autonome. Mais cette façon de voir est tout à fait formelle. La concentration n’est pas l’unique cause de l’uniformisation de la parole médiatique. Loin de là. Il suffit de voir comment les choses se passent en France pour en avoir idée. Le miracle quotidien qui voit les deux grandes chaines hiérarchiser exactement de la même manière exactement les mêmes sujets doit faire réfléchir. D’ailleurs les partisans de Berlusconi s’amusent de faire des statistiques accablantes pour les imprécateurs : il y a quarante deux chaines de télé et radios et plus de cent journaux en Italie. « Comment expliquez-vous alors qu’il n’y ait qu’une tonalité » raillent-ils. On comprend l’abus que cet argument comporte. Quelle commune mesure entre une chaine nationale et une télé de communauté ? Mais soyons honnête. Comment expliquons-nous l’homogénéisation de la forme et du fond dans nos propres médias ? Quel effet de système est à l’œuvre ? Ensuite, si on veut entrer dans le détail des situations, pourquoi faisons-nous comme si la responsabilité individuelle n’était jamais engagée ? Les journalistes sont-ils des êtres humains ou des créatures d’essence pure et parfaite en contact intime avec la vérité.

BIENTOT LES FAILLITES

On comprend le mécanisme assez rustique qui bloque ce débat. Un corporatisme de mules bloque toute approche sur ce terrain. Les intéressés eux-mêmes ne se sentent plus aucune limite. Ainsi ai-je été appelé au téléphone et fait l’objet de messages longuement injurieux de l’intéressée pour avoir mis en cause la façon dont était présentée comme « liste communiste » à Corbeil la liste du Front de Gauche. Comme si la liberté de parole critique d’un élu politique sur un blog public était par nature illégitime, en face des caractérisations manipulatoires, en tous cas jusqu’au point de mériter une intervention dans la sphère privée qu’est une messagerie téléphonique. Cet épisode conforte l’idée que je me fais de l’immense malaise social et de confusion intellectuelle qui règne dans ce secteur. A présent tout cela va s’aggraver par les défaillances d’entreprise de presse qui vont bientôt se manifester. Aux Etats unis, royaume du Bla Bla sur le pluralisme et la liberté d’être tous d’accord sur tout, plus de cent journaux ont du fermer leurs portes et je ne sais combien de radio. Le papier de Ramonet dans « le Monde diplomatique » décrit tout cela très bien, je crois. La vague passera bientôt sur la France. Ce fait extrême nous rappelle qu’il est absurde de faire comme si la production de l’information n’était pas aussi une activité menée par des personnes socialement déterminée par leur environnement. Et donc que le principe de la responsabilité individuelle est, dans ces conditions, engagé dans cette profession comme dans les autres. Mais avec des conséquences sur lesquelles il est légitime que la société demande des comptes puisque c’est son propre pouvoir d’intervention qui est conditionné par cette responsabilité des individus qui la rende ou non possible.

PERSONNEL ET COLLECTIF

Jeudi après midi j’ai pris l’avion depuis Bruxelles pour aller à Strasbourg. C’est stupide d’aller à Strasbourg depuis Bruxelles un jour où il n’y a pas de session, non ? Pourtant je le fais. Reprenons notre réflexion, mon cher, puisque tu es assez sot pour te faire embarquer dans un aller retour de plus en avion. Donc disais-je, à présent, tout se passe comme si, au contraire de n’importe quelle autre activité humaine, dans les métiers de médias, personne ne serait responsable de rien personnellement. C’est dommage de laisser ainsi bloquer la réflexion. Pourtant elle nous conduirait sur un terrain plus rationnel. Il vaudrait mieux que les généralités débitées pour une confrontation qui oppose des vaches sacrées antagoniques, collées au sol par leurs ruminations dogmatiques. D’un côté les purs et honnêtes journalistes, indépendants, éthiques, et ainsi de suite, de l’autre une dénonciation aveugle et absurdement globalisante au nom d’une improbable liberté de la presse, hors sol social et culturel. Pour moi, la dimension invisible de la vie médiatique est celle de la condition sociale des professionnels des médias d’une part et des conditions matérielles de l’exercice de leurs métiers d’autre part. Eux-mêmes sont le plus souvent incapables de le formuler. C’est bien sur d’abord le fait de l’idéologie dominante dans la profession et dans les écoles de journalistes. Ensuite de l’extrême compétition entre les personnes qui règne dans la profession, bloquant toute introspection raisonnée. Mais surtout, il faut donner leur rôle essentiel aux conditions matérielles de l’exercice de leur profession. Ce sont elles qui rendent impossible la mise à distance que cette réflexion suppose. Telle jeune journaliste qui m’interroge un samedi après midi, après m’avoir couru après dans Paris dans son véhicule qu’elle ne sait où garer, et qui en surgit avec en charge sur les bras la caméra, le micro et la fiche, qui sert à la fois à faire le réglage du blanc et noter les questions, n’est pas en état d’avoir un recul critique sur ce qu’elle accomplit. Surtout quand questions et réponses sont préformatées, surtout quand elle doit encore faire la course à trois autres personnes sur trois autres sujets, surtout quand ca dure depuis le début de la semaine sans pause ni temps de lecture, surtout quand son CDD lui interdit une attitude revendicative quelconque, même d’ordre professionnel.

A STRASBOURG, PETIT DEVIENDRA GRAND

Ce sujet là c’était le débat auquel j’ai participé à Strasbourg, à l’ENA. A l’arrivé mon accueil se demandait si j’allais prendre le taxi où le tram. Elle a opté pour le taxi et ça tombe très mal car j’ai horreur de la bagnole. Une fois sur place on tombe sur une petite rangée de bœufs du Front National qui distribue des tracts contre Frédéric Mitterrand. En fait ils l’attendaient lui mais c’était le jour de son passage sur le plateau de TF1. Donc il n’est pas venu. Dans les murs, devant la salle il y avait un groupe de jeunes qui tiraient vaguement la clope. C’était des apprentis journalistes. Plusieurs ont filmé ce qui se passait. Je pense qu’ils ont mis ça sous plastique et ensuite sur leur télé dans le salon. Ou va savoir quoi. Les gens ne s’expliquent même plus quand ils filment. On croirait que c’est naturel. J’ai chauffé des arguments avec eux avant de descendre au sous sol où se tenait la conférence. Je n’aime pas les sous sol, non plus. La bagnole plus les sous-sols plus le Front National ça commence à me chauffer comme séjour ! Mais sur le plateau, devant les jeunes apprentis journalistes, Clémentine Autain, Catherine Trautman, et Jean-Marie Cavada. On était les trois sur les mêmes thèmes, chacun dans son registre, bien sur. Le plus sévère finalement c’était Jean Marie Cavada, sur le fond, sur ce qui concerne l’exercice du métier. Je dois dire que j’étais assez heureux d’entendre une telle convergence de diagnostics. Je me sentais tout rabiscoulé. Comme dirait monsieur El kabbach, j’en avais marre de me dire que j’avais raison tout le temps. Tel quel. Il y avait un thème supplémentaire sur le plateau c’était le sexisme dans le métier de journaliste, dans leur rapport aux femmes politiques. Catherine Trautman et Clémentine Autain ont bien disséqué cet aspect de la réalité et j’avoue que j’écoutais à grand pavillon car je découvrais. Pour ma part j’ai évoqué d’autres dimensions invisibles. Par exemple la composition sociale de l’origine des jeunes journalistes. Donc leurs préjugés idéologiques. Hum ! Mais la salle était si typiquement composée que j’ai eu droit aux applaudissements qui montrent une forte concentration d’esprits frondeurs. Ca c’est bon signe, compte tenu du métier auquel ils se préparent…. Non ? Un peu d’optimisme. Sans doute que demain sera meilleur.


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