La fin annoncée de l’Autorité Palestinienne ? Bientôt, des Palestiniens luttant... pour l’égalité totale des droits, au sein d’un même Etat (article remarquable de Rue 89)

lundi 30 novembre 2009.
 

Les débats autour des déclarations de Mahmoud Abbas, qui menace de ne pas se représenter à la présidence de l’Autorité Palestinienne, se focalisent sur une question : a-t-on oui ou non affaire à un « coup de poker » du Président palestinien, destiné à mettre sous pression l’administration Obama afin que celle-ci relève son niveau d’exigence vis-à-vis d’Israël ?

Cette question, trop conjoncturelle, occulte l’essentiel : la décision de Mahmoud Abbas, quand bien même il la reconsidèrerait, révèle en réalité l’impasse stratégique dans laquelle se trouve la direction de l’Autorité palestinienne et, au-delà, annonce la fin du « processus de paix » ouvert en 1993.

L’« Autorité palestinienne d’auto-gouvernement intérimaire », créée par les Accords d’Oslo (1993-1994), a été conçue comme un proto-appareil d’Etat chargé d’administrer les « zones autonomes » palestiniennes, ces territoires palestiniens occupés depuis 1967 desquels l’armée israélienne s’est progressivement retirée à partir de 1994.

Pour étendre la superficie des territoires sous sa responsabilité, et pour avancer vers un « accord sur le statut final », l’Autorité palestinienne devait faire la démonstration de sa capacité à s’imposer comme pouvoir légitime et stable, capable de maintenir l’ordre dans « ses » zones, en prévenant tout acte d’hostilité à l’égard d’Israël, des installations militaires israéliennes et des colonies.

Un appareil d’Etat sans Etat

Depuis 1967 et la conquête militaire de l’ensemble de la Palestine, Israël était confronté à une difficulté majeure, révélée aux yeux du monde par l’Intifada de 1987 : l’Etat « juif et démocratique » administrait directement des territoires peuplés de plusieurs millions de non-juifs et devrait tôt ou tard choisir entre le caractère juif et le caractère démocratique de l’Etat.

La création de l’Autorité palestinienne devait répondre à cette problématique, en débarrassant Israël de la gestion des zones palestiniennes les plus densément peuplées tout en ne remettant pas en question son emprise sur plus de 90% de la Palestine historique.

L’Autorité palestinienne n’a jamais été, dans les faits, le futur gouvernement du futur Etat palestinien mais un appareil d’Etat sans Etat intégré aux structures de l’occupation et surfinancé par les pays donateurs. Sa tâche a été de décharger Israël des attributions qui échoient, selon le droit international, à toute puissance occupante (éducation, santé, services sociaux…).

Elle a également joué le rôle, via une coopération sécuritaire quotidienne avec les services israéliens, de sous-traitant des tâches de maintien de l’ordre dans les zones autonomes. Elle a enfin, par la signature d’accords économiques avec Israël, joué un rôle clef dans la normalisation des relations commerciales israélo-arabes.

Durant les « années Oslo », les territoires palestiniens ont été fragmentés en des dizaines d’entités aux statuts juridiques divers, isolées les unes des autres par les multiples points de contrôle israéliens et les routes réservées aux colons.

Le nombre de colons a doublé entre 1993 et 2000, tandis que la superficie des zones autonomes atteignait à peine 18% de la Cisjordanie et de Gaza. Dépourvue de souveraineté réelle, l’Autorité palestinienne a développé un système patrimonial, autoritaire et clientéliste, dans lequel seule une minorité de privilégiés a semblé bénéficier du « processus de paix ».

Le pari d’Israël est des Etats-Unis sur Abbas

Toutes les conditions étaient réunies pour un nouveau soulèvement, qui est survenu en septembre 2000, dirigé tout autant contre la politique israélienne que contre les impasses du processus négocié. Yasser Arafat a encouragé ce soulèvement sur lequel il espérait s’appuyer pour obtenir davantage dans les négociations, tout en favorisant sa militarisation pour ne pas perdre de terrain face au Hamas.

Israël a alors décidé d’isoler Arafat et de favoriser l’ascension de dirigeants plus enclins au compromis, au premier rang desquels Mahmoud Abbas. C’est ainsi qu’Abbas a été invité à un « sommet pour la paix » avec Georges Bush et Ariel Sharon en juin 2003, alors qu’Arafat était toujours enfermé dans son QG de Ramallah.

Abbas allait-il réussir là où Yasser Arafat avait échoué ? Tel a été le pari des Etats-Unis et d’Israël lorsqu’ils ont soutenu le candidat Abbas lors de l’élection présidentielle de 2005. Mais les législatives de 2006 ont révélé le caractère hasardeux du pari : victoire du Hamas et défaite de la plupart des dirigeants de l’Autorité palestinienne.

La population palestinienne a exprimé son rejet du système Oslo et de son personnel politique, en choisissant une organisation incarnant la poursuite de la résistance à l’occupation et le refus des compromissions. Ce sont les contradictions inhérentes au processus d’Oslo qui ont été mises à nu : aucun pouvoir autochtone ne sera légitime et stable s’il n’obtient pas la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens.

Refusant d’admettre l’échec de la logique d’Oslo, la « communauté internationale » n’a pas reconnu la victoire du Hamas. La direction historique de l’Autorité palestinienne a quant à elle tout fait, dans l’esprit d’Oslo, pour conserver sa légitimité internationale tout en se fragilisant encore un peu plus en interne : nomination d’un ancien haut fonctionnaire du FMI au poste de Premier ministre (Salam Fayyad), développement d’un régime policier et désarmement de la résistance en Cisjordanie, demande du report de l’examen du rapport Goldstone…

L’égalité des droits au sein d’un même Etat

Abbas a tout accepté. Pour rien. Le Mur et les colonies ont continué de s’étendre (500 000 colons aujourd’hui, soit 4 fois plus qu’en 1993), la judaïsation de Jérusalem s’est accélérée, les incursions israéliennes au cœur des zones « autonomes » sont quotidiennes…

Plus que de l’usure d’un homme, les menaces de Mahmoud Abbas sont révélatrices de l’usure d’un projet. Sous nos yeux, la parenthèse d’Oslo se referme : le « processus de paix » est une fiction, l’autonomie palestinienne une chimère, et le président de l’Autorité palestinienne n’est en réalité président de rien.

La décomposition du système mis en place par les Accords d’Oslo s’accélère et c’est l’idée même d’un Etat palestinien indépendant qui est en train de disparaître. L’Etat d’Israël sera alors confronté à une situation qu’il a toujours voulu éviter mais dans laquelle sa politique l’aura inexorablement conduit : des Palestiniens ne luttant pas pour une entité politique indépendante mais pour l’égalité totale des droits, au sein d’un même Etat.

SALINGUE Julien


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