Retour sur les grands enjeux de l’évolution (2 nouveautés dans l’édition)

mardi 8 décembre 2009.
 

Les multiples découvertes et débats philosophiques suscités par les travaux de Darwin, dont on fête le bicentenaire de la naissance, sont l’occasion de publications de qualité.

Les Mondes darwiniens. L’évolution de l’évolution, sous la direction de 
Thomas Heams, 
Philippe Huneman, 
Guillaume Lecointre 
et Marc Silberstein. Éditions Syllepse, 2009, 
1 104 pages, 30 euros.



Guide critique de l’évolution,
sous la direction de 
Guillaume Lecointre. 
Éditions Belin, 2009, 
572 pages, 35 euros.

Le bicentenaire, en 2009, de la naissance du célèbre naturaliste Charles Darwin a été l’occasion d’une abondante floraison de livres sur sa vie et son œuvre, consacrée à l’évolution des espèces vivantes. Voici deux ouvrages parmi les meilleurs. Le premier est un ensemble d’une cinquantaine d’articles de biologistes, mais aussi de philosophes ou de linguistes, qui présente les aspects modernes du darwinisme dans tous les domaines de la biologie et au-delà. Il montre « la science de l’évolution à l’œuvre,… avec sa prodigieuse fécondité » (Gayon, p. 4) et s’adresse à un public averti. Le second, sous la direction de Guillaume Lecointre, est un effort didactique visant à rectifier la perception, souvent erronée, de l’évolution par le grand public. Merveilleusement illustré et d’une écriture limpide, il s’adresse à tous.

L’évolution des espèces comprend deux domaines principaux et liés entre eux  : le fait de l’évolution et les théories explicatives, deux domaines abondamment analysés dans les deux ouvrages. Le fait consiste dans la découverte que les espèces vivantes se transforment avec le temps pour produire, à l’occasion, des espèces nouvelles, pendant que d’autres disparaissent. En ce qui concerne l’espèce humaine, elle aboutit à reconnaître que nous avons un ancêtre commun avec les chimpanzés. Les innombrables résultats de la science, depuis l’étude des animaux fossiles jusqu’aux analyses physiologiques, biochimiques ou génétiques, ont étayé le fait de l’évolution des espèces, aujourd’hui admis par tous les penseurs sérieux. Et contesté seulement par quelques obscurantistes religieux, rares en Europe, partisans de ce qu’on appelle le créationnisme, une croyance qui maintient que les espèces vivantes ont été créées, par Dieu, telles que nous les connaissons aujourd’hui dans leur diversité, en général sans possibilité d’évolution (une thèse dite « fixiste », Guide, p. 26).

Les théories explicatives résultent de ce que l’on ne peut reproduire en laboratoire des millions d’années d’évolution et qu’on a donc recours à des hypothèses argumentées. Lamarck avait pensé que les caractères acquis par un individu pouvaient se transmettre à sa descendance. Cette hypothèse, partagée par Darwin, s’est révélée inexacte  : « Il n’y a pas d’hérédité des caractères physiques acquis » (Guide, p. 15). Darwin proposa, en outre, l’idée révolutionnaire de l’action de la sélection naturelle  : les individus les plus adaptés se reproduisent plus aisément et perpétuent ainsi leur descendance. La plupart des scientifiques d’aujourd’hui sont darwiniens, ou plutôt « néo-darwiniens » (Guide, p. 45), c’est-à-dire qu’ils défendent la sélection naturelle, sans adopter pour autant les idées lamarckiennes de Darwin lui-même. Divers courants traversent désormais les milieux scientifiques darwiniens, depuis ceux qui pensent que l’on peut tout expliquer par la sélection naturelle telle qu’elle a été formulée par Darwin, jusqu’à ceux qui pensent que « tout en restant dans le domaine de la logique darwinienne », comme le formule Gould (Guide, p. 45), le socle de base darwinien doit être largement modifié par des apports théoriques majeurs. De fait, de nombreux apports théoriques ont permis de considérablement affiner les mécanismes évolutifs probables  : lien avec le développement embryologique des organismes, discontinuités occasionnelles dans l’évolution dites « d’équilibres ponctués », étude des « cibles » de la sélection  : gènes, individus ou populations, insistance sur les facteurs environnementaux dits « épigénétiques », conséquences sur le déterminisme des comportements animaux…. Toutes ces discussions sont analysées en détail dans les deux ouvrages. Bien entendu, les controverses scientifiques sur les théories explicatives ne viennent en rien diminuer la solidité du fait même de l’évolution.

Comme toutes les grandes thèses scientifiques, l’évolution ouvre aussi sur des enjeux philosophiques et sociaux, et parfois sur des dérives. Le « darwinisme social », contraire à la pensée de Darwin, veut appliquer la sélection naturelle à l’intérieur des sociétés humaines, en y justifiant ainsi la « loi du plus fort », voire le racisme (voir l’article de Clavien, Mondes darwiniens, p. 883). Les mouvements créationnistes, explicites ou plus discrets (les thèses dites du « dessein intelligent » admettent une évolution des espèces, mais conçue par Dieu (voir Picq, Mondes darwiniens, p. 1063), sont certes rares en Europe. Mais ce n’est pas le cas partout dans le monde. Deux foyers idéologiques particulièrement préoccupants se réclament du créationnisme  : des groupes fondamentalistes protestants américains (qui ont été jusqu’à créer un musée du Créationnisme) et des groupes fondamentalistes musulmans, très actifs même dans des pays officiellement laïques comme la Turquie.

Des raisons supplémentaires de souligner la pertinence et l’actualité de ces deux ouvrages  !

Georges Chaputier, biologiste et philosophe


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