Créationnisme, évolutionnisme : que nous disent les …ismes ?

lundi 2 mars 2009.
 

Le langage n’est pas neutre. Il est souvent porteur de sens explicites, mais tout aussi souvent de sens sous-jacents, implicites, mal compris. Voici donc une petite réflexion sur la question des noms en isme, la signification des termes créationnisme et évolutionnisme, et la valeur de ces mots dans le débat qui se poursuit depuis deux siècles et qui reprend aujourd’hui une tournure alarmante.

Il y a en effet un problème sémantique à parler d’évolutionnisme et de créationnisme. La terminaison en isme invite à penser que, dans les deux cas, il s’agirait d’idéologies (cela est proposé au début de l’article « Créationnisme : Back to basics » publié par Pierrick dans les colonnes de Plume !) ou de partis pris selon des considérations du même ordre. Il s’agit certes de se positionner face à la question que nous posent la biodiversité et de nombreuses constatations relevant de la biologie s.l. et de la géologie (pour partie : paléontologie, dérive des plaques), quant à l’origine des espèces et l’histoire de la vie. Mais ces deux positionnements ne sont pas du même ordre car, bien qu’il visent à répondre à la même question, ils ne résultent pas du même mode de pensée et ne sont pas sous-tendus par la même méthode.

Quelques ismes pour inviter au sens critique

Esclavagisme, abolitionnisme, marxisme, libéralisme, keynesianisme, socialisme, nationalisme, christianisme, islamisme, bouddhisme, rousseauisme, spinozisme, miterrandisme, chiraquisme, ségolénisme, sarkozisme, extrêmisme, dogmatisme, relativisme, scepticisme, stoïcisme, fatalisme (aquoibonnisme ?), etc.

Quels points communs, quelles différences, quelles nuances ?

Les noms en isme expriment pour la plupart quelque chose qui se rapporte à un point de vue, une opinion, un positionnement, une idéologie. On voit déjà poindre des différences.

Le langage n’est pas neutre Une opinion peut-être formulée de façon superficielle, intuitive, instinctive, impulsive… ou après mûre réflexion, de façon argumentée. Il s’agit d’opiner, voilà tout. On peut emporter l’opinion de quelqu’un en le séduisant par une belle rhétorique (déjà pratiquée dans l’antiquité grecque et à laquelle se sont opposés Socrate et Platon), par des stratégies de communication efficaces et bien connues des publicistes.

La notion de point de vue se réfère à un paysage (de faits, de pensées) et à l’angle social, méthodologique, philosophique, selon lequel on l’aborde. Cet angle peut être choisi, de façon plus ou moins libre (problème du libre-arbitre), ou plus ou moins contrainte (par la tradition, la culture).

Le positionnement renvoie, lui, à la place choisie par celui qui se positionne, a priori de façon libre et volontaire (problème du libre-arbitre encore).

Quant à l’idéologie, elle en appelle au fait de tenir pour vraie et belle telle idée plutôt que telle autre et, de ce fait, la défendre. Idéologies et idéologues supportent aujourd’hui une connotation plus ou moins négative qui sous-entend que l’adhésion à l’idée en question n’est souvent pas passée au crible de la réalité.

Par ailleurs, les mots en isme sont parfois construits sur le fait ou sur l’idée défendue (esclavagisme, patriotisme, relativisme, structuralisme…), d’autres fois sur le nom d’un personnage fondateur (marxisme, bouddhisme, zoroastrisme, fordisme…).

Certains sont associés à des positions radicales, d’autres à des positions plus nuancées. Ne serait-ce que sur le plan des religions, le mot « christianisme » ne comporte pas (aujourd’hui et ici) de sous-entendu extrêmistes. C’est le nom d’une religion dont les adeptes sont les chrétiens (et non les christianistes !). Tandis que les adeptes de l’islam (sans isme) sont appelés musulmans et que ceux que l’on qualifie d’islamistes sont censés être, eux, des extrêmistes de l’islam (l’extrêmisme correspondant étant appelé islamisme). Le bouddhisme est, lui, une religion.

Enfin, certains noms en …isme sont dénués de toute référence à une prise de position : syllogisme, aphorisme, néologisme…

On le voit, l’usage de noms en isme dans un débat peut laisser planer bien des présupposés qui ne sont finalement fondés que sur l’usage social du mot en question.

Créationnisme, évolutionnisme… : un usage à réfléchir

Pour revenir, sans panurgisme, à nos moutons : qu’en est-il des termes « créationnisme », « évolutionnisme », « darwinisme » (et son descendant : « néodarwinisme »), etc ? Connaître le contexte de leur apparition apporte des éléments de réflexion intéressants. Nous ne nous y attarderons cependant pas plus longtemps pour mieux nous consacrer au présent.

Il faudrait interroger linguistes ou lexicologues, historiens des sciences et épistémologues sur la place des mots en …ismes dans l’évolution de la pensée scientifique mais, aujourd’hui, l’usage de tels mots n’est-il pas un archaïsme ? L’activité scientifique ne devrait-elle pas s’affranchir de cet usage ? Certes, ils ont tous une signification qui leur est propre et ils expriment des nuances utiles mais ne serait-il pas judicieux d’éviter, au moins, d’opposer le terme d’évolutionnisme à celui de créationnisme ?

On le voit, l’usage de noms en isme dans un débat peut laisser planer bien des présupposés

Ne serait-il pas utile d’inventer un terme moins sujet à caution –un néologisme- en …logie, par exemple, afin d’extraire un peu la théorie de l’évolution du débat passionnel dont elle est l’objet, en la plaçant par le langage et de façon implicite, dans son véritable domaine de définition : celui des sciences ? Exelixèlogie ou exelixiologie (du grec exelixè, évolution) serait un terme approprié mais il n’est pas très heureux. Evolutiologie « sonne » moins scientifique, parce que fondé sur un mot du langage courant (bien que son étymologie soit latine). En revanche, il présente l’avantage d’être compris de tous. L’expression « science de l’évolution » est, elle, largement utilisée, et c’est peut-être la plus adéquate. Mais elle est longue et ne marque pas le pas, dans le langage scientifique, sur les autres mots, et notamment sur évolutionnisme.

Il peut être difficile ou délicat de chercher à remplacer les termes évolutionnisme, darwinisme, néodarwinisme, etc., consacrés par l’usage, mais une réflexion sur leur emploi reste fertile. Elle interroge les différences entre le créationnisme et les sciences de l’évolution…To be continued.

Publié par Jean-Pierre V.


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