Communisme et vie publique locale  : une mine d’enseignements

mardi 8 décembre 2009.
 

L’historien Emmanuel Bellanger et le sociologue Julian Mischi coorganisent, à partir de demain, à l’université Panthéon-Sorbonne, deux journées d’études interdisciplinaires sur l’action communiste à l’échelle locale. Ils nous expliquent les enjeux de cette rencontre (*).

En quoi l’action locale du PCF 
offre-t-elle un cas d’étude particulièrement intéressant à celles et ceux qui travaillent sur la gestion publique et la vie politique locales  ?

Emmanuel Bellanger.

La longévité de l’implantation communiste, en certains lieux (la banlieue rouge parisienne, lyonnaise, grenobloise, l’Allier, la Corrèze), incite les chercheurs à observer ce qu’a été le « communisme municipal » et ce qu’il reste de cet enracinement politique. Nous avons été surpris par le nombre de communications proposées par de jeunes chercheurs, sociologues, politistes, urbanistes, historiens, plus d’une trentaine, qui renouvellent les approches du communisme qui a marqué l’histoire du XXe siècle. Les études actuelles sur le personnel politique, les politiques publiques et les formes de sociabilité militantes attestent qu’il constitue toujours un terrain d’observation prisé dont les enseignements critiques peuvent intéresser les nouvelles générations d’élus.

Julian Mischi.

S’intéresser à l’action locale du PCF dans une perspective historique, c’est aussi revenir sur la question de la participation des classes populaires à la vie politique. En effet, on ne peut pas comprendre le succès passé du PCF dans les agglomérations industrielles et les territoires ruraux sans prendre en compte la mobilisation d’ouvriers et de paysans au sein de syndicats et d’associations, mobilisations qui ont permis une lutte efficace contre les notabilités locales et leur accession au pouvoir municipal. Le déclin du PCF dans la période récente peut ainsi prendre la forme d’une marginalisation des catégories populaires dans la vie politique locale au profit d’une élite sociale (membres des professions libérales, entrepreneurs, cadres…).

L’expression de « communisme municipal » apparaît dans les intitulés de plusieurs contributions aux deux journées d’études. 
Que recouvre exactement cette expression aujourd’hui  ? Comment fonctionne 
un « communisme municipal »  ?

Emmanuel Bellanger.

Le « communisme municipal » est une expression récente. L’appareil politique a toujours manifesté une certaine défiance à l’égard de ses élus. Dans la pratique, le communisme municipal s’apparente à un réformisme inavoué confronté à des contradictions entre les compromis que supposent la gestion des territoires, la ligne officielle et l’engagement militant.

Julian Mischi.

Par rapport aux périodes passées, les réseaux municipaux du PCF d’aujourd’hui sont relativement autonomes et déconnectés de l’appareil militant. Les élus locaux se voient de plus en plus comme des gestionnaires au service de la population, ils rendent moins de compte au Parti proprement dit. Autre évolution fondamentale  : les élus communistes sont de moins en moins issus des milieux populaires. Plus que leur origine sociale, ce qui prime dans leur trajectoire vers les postes électifs, ce sont les compétences techniques qu’ils ont acquises par leur formation scolaire ou leur emploi dans les collectivités locales. Le rôle de la formation militante tend à devenir secondaire.

Quelle place occupe dans vos démarches
la réflexion sur les politiques concrètes menées par les municipalités communistes  ?
Ces politiques ne sont-elles pas le principal facteur explicatif du relativement bon maintien des communistes au niveau local  ?

Emmanuel Bellanger.

Ces journées confirmeront ou infirmeront, peut-être, la spécificité de l’action publique locale communiste dans le domaine du logement, des politiques sociales, culturelles, de la gestion du personnel communal, dans le choix de ses maires. Ces « facteurs explicatifs » ont également pu se retourner contre les municipalités communistes.

Julian Mischi.

On peut aussi estimer que le maintien relatif des réseaux communistes locaux s’effectue dans des conditions qui remettent en question ce qui a fait la singularité du PCF sur la scène politique française des années 1920 aux années 1970  : la soumission des élus aux cadres militants. Comme pour la plupart des autres partis (le PS par exemple), les élus jouent désormais un rôle de plus en plus important dans la définition de la stratégie militante et électorale. D’accord pour parler de « maintien » dans certains cas, mais il faut alors se demander ce qui se maintient  : les élus ou les militants, les scores électoraux ou un discours communiste identifiable  ?

Entretien réalisé par Laurent Etre

(*) Emmanuel Bellanger, chargé de recherche au CNRS 
au Centre d’histoire sociale du XXe siècle 
(CHS-université Paris-I), a codirigé, avec Jacques Girault, 
l’ouvrage Villes de banlieues, personnel communal, 
élus locaux et politiques urbaines (Créaphis 2008).


Julian Mischi, chargé de recherche en sociologie 
à l’Institut national de recherches agronomiques (INRA), est l’auteur de Servir la classe ouvrière. 
Sociabilités militantes au PCF (Presses universitaires 
de Rennes, à paraître en janvier 2010).


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