Les ambiguïtés de la république (par Denis Collin, site La Sociale)

jeudi 7 janvier 2010.
 

Pierre Delvaux a ouvert sur notre site un débat important et qui mérite d’être poursuivi (article disponible ci-dessous). Beaucoup de questions différentes sont abordées qui nécessiteraient que l’on entre dans les détails de chacune d’elles. Disons tout d’abord que la démarche adoptée par Pierre Delvaux me semble la bonne : partir des besoins du peuple, dans sa grande masse et non de clivages politiques très largement dépassés comme le clivage droite/gauche. À partir de là, chercher la voie du rassemblement le plus large – le PCF jadis utilisait la formule de « l’union du peuple de France », une formule qui, à la réflexion, me semble plutôt bonne et permettrait de contrer efficacement les manoeuvres glauques qui se trament autour de la prétendue « identité nationale ». Je voudrais néanmoins soulever deux points sur lesquels il y a à se creuser un peu les méninges.

Premier point : la république. Pierre Delvaux se prononce pour « gouvernement de restauration de l’unité républicaine ». J’avoue ne pas très bien saisir ce que pourrait être un gouvernement de restauration de l’unité républicaine. S’il s’agit de revenir sur toutes ces lois qui font que la loi n’est plus la même pour tous, il va de soi qu’on ne peut être que pour « l’unité républicaine ». Mais autrement je ne vois pas beaucoup de sens à cette formule. Car nous sommes confrontés à une question décisive : le lexique républicain est redevenu dominant dans le discours politique, mais le plus souvent il ne s’agit que d’un habillage de « la loi et l’ordre », c’est-à-dire le retour en force de l’autoritarisme bonapartiste paré des couleurs de la république. Un exemple : la société SFR (un de ces parasites qui vivent de la destruction du service public des télécommunications) attaque le syndicat SUD en mettant en cause sa représentativité au motif que SUD « ne reconnaît pas les valeurs républicaines » car SUD prône « la négation de l’employeur et de la liberté d’entreprendre » ! Or SFR fonde sa plainte contre le syndicat sur la loi de 2008 qui modifie les critères de représentativité. Les règles de représentativité syndicale doivent en effet respecter plusieurs critères dont le premier (loi du 30 août 2008) est désormais « le respect des valeurs républicaines ». Cette loi, résultat d’un accord entre Sarkozy, Thibault et Chérèque, n’a pas d’autre but que de liquider tous les syndicats qui ne voudraient pas systématiquement servir la soupe au pouvoir... On a déjà vu la mise en œuvre de ces principes à l‘éducation nationale : le ministre ne voulait recevoir que les syndicats signataires d’un préaccord sur le « constat partagé ». Autrement dit, les bons syndicats, vraiment républicains, sont ceux qui partagent les vues du pouvoir.

Bref dès qu’on avance un peu, on s’aperçoit que « la république », ça veut dire beaucoup de choses plutôt contradictoires. Pour les « républicains » de droite, du centre et pour une bonne partie de ceux du PS, la république inclut la libre entreprise et la propriété capitaliste. Mais pour les républicains de Force Ouvrière, par exemple, elle inclut « l’abolition du salariat et du patronat » qui figure dans la Charte d’Amiens qui reste le texte fondateur de cette confédération... Comment faire l’unité républicaine de ceux qui sont pour la libre entreprise et de ceux qui sont pour l’abolition du salariat et du patronat ?

On pourrait évoquer le précédent du Conseil National de la Résistance, où droite et gauche se sont entendues sur un programme républicain social. Mais c’était précisément une époque où même une partie de la droite (les gaullistes, les démocrates chrétiens) était convaincue que la restauration du pays nécessitait que soient portés des coups à la propriété capitaliste et que soit instauré un État social. C’est pourquoi d’ailleurs l’article I de la constitution française affirme encore que la république française est laïque, démocratique et sociale.

Donc si restauration de l’unité républicaine il y a, celle-ci doit être laïque, démocratique et sociale ! On ne peut, cependant, se contenter de ces formules. J’ai eu l’occasion de montrer, dans Revive la République (A. Colin, 2005), comment on pouvait faire le lien entre républicanisme et revendications sociales. Dans cet ouvrage je me proposais de « définir ce que nous pourrions appeler – en dépit des risques de confusion avec les querelles politiques en cours et des appellations historiques contrôlées – un nouveau consensus que l’on pourrait appeler radical-socialiste. Ses bases seraient celles d’un accord entre le républicanisme et le socialisme, un républicanisme reformulé à partir de l’expérience du siècle écoulé et des acquis de la philosophie politique – pensons en particulier au libéralisme politique de Rawls ou au républicanisme de Skinner et Pettit – et un socialisme raisonnable capable de tirer les leçons d’une histoire douloureuse, dans laquelle le bilan reste encore à faire, tant est-il qu’on a souvent jeté le bébé avec l’eau sale du bain. » Je ne peux que renvoyer aux propositions détaillées que j’avais faites dans cet ouvrage en vue de donner un contenu concret a cet accord républicaniste/socialiste.

Il ne s’agit pas de faire de « l’expropriation des expropriateurs » la condition d’un accord politique. Mais il me semble difficile de garantir les conditions de vie des « foyers français » sans mettre un grand coup sur la tête de la « liberté d’entreprendre ». Tu dis qu’il faut un vrai travail et un vrai salaire pour tous. C’est excellent. Mais cela suppose qu’on mette un coup d’arrêt aux délocalisations et qu’on protège le marché intérieur par des barrières douanières ou autres, toutes choses qui se heurtent violemment aux intérêts des « républicains » partisans de la libre entreprise. Et on peut continuer ainsi dans tous les domaines.

Donc, il faut garder en tête l’idée que la seule vraie république est la sociale ! C’est d’ailleurs l’intitulé de notre site et ce n’est pas par hasard. Et donc lié les revendications sociales concernant les salaires et les droits sociaux aux revendications républicaines. S’il y a un espoir de régénérescence républicaine dans ce pays, c’est des luttes sociales qu’il viendra et pas d’un accord entre partis.

Deuxième point : l’Europe. Pierre Delvaux affirme qu’il faut une rupture franche : « Il m’apparaît indispensable d’en finir totalement avec l’U.E. pour faire le pas historique de progrès auquel nous aspirons. Non seulement je crois que rien n’est à sauver de cet ensemble mais je crois aussi que toute persistance institutionnelle d’une de ses parties constituerait un obstacle à la mise en œuvre d’une véritable alternative. » Mais il ajoute, un peu plus loin : « il me paraît tout aussi évident que la rupture avec ce système ne se décrète pas dans son entièreté du jour au lendemain, surtout si, au départ, elle n’est le fait que d’un seul pays. Par parenthèse théorique, la philosophie qui en découle est que pour parvenir à un objectif révolutionnaire de fait par rapport au présent, la meilleure méthode est celle de la réforme, celle de l’exercice gouvernemental. » Moi aussi, je me suis souvent défini comme un réformiste en matière européenne et donc j’adhère assez volontiers à la deuxième partie des propositions de Pierre Delvaux. Mais du coup, je ne vois plus bien ce que signifier la première, pratiquement. Pierre Delvaux n’est pas d’accord avec Andréani en théorie mais en pratique il se peut qu’il ne dise quelque chose de différents des propositions d’Andréani.

Il me semble cependant nécessaire de fait l’état exact de la situation – l’analyse concrète de la situation concrète – faute de quoi nous pourrions bien nous retrouver avec des formules creuses demain. Par exemple, nous pouvons discuter à perte de vue pour savoir si on pourrait faire de l’euro une bonne chose ou si, au contraire, c’était un projet irrémédiablement mauvais. Chevènement, avant l’entrée dans l’euro, s’était prononcé pour une monnaie commune et contre une monnaie unique. J’avais fait campagne avec le MDC et le PCF à l’époque sur ce thème, et je crois que cela reste une bonne idée, même si le fait d’avoir deux monnaies en cours en même temps nous semble étrange, il faut rappeler que c’est la situation de beaucoup de pays et qu’historiquement ce genre d’arrangements dans la gestion de la monnaie a longtemps prévalu. Mais il est bien possible – tout dépendra de la situation économique – que cette question soit tranchée par l’histoire, par exemple si la Grèce était contrainte de sortir de la zone euro, auquel cas nous pourrions bien en venir à un double système, des monnaies nationales et une monnaie commune, le cours des monnaies nationales en euro étant révisable en cas de nécessité.

En ce qui concerne les questions plus générales, nous avons pu voir, et je l’ai souligné dans quelques articles, combien l’évolution de l’UE était aujourd’hui très chaotique. Derrière les grandes déclarations, chaque gouvernement joue son propre jeu. Plus que jamais les Allemands jouent « perso » et sont décidés à sauver leur place comme pays exportateur en faisant payer la note par leurs partenaires. Sarkozy n’est pas le dernier dans ce chacun pour soi – et on a vu comment l’Europe s’est trouvée aux abonnés absents à Copenhague. Berlusconi joue lui aussi sa propre carte – car il n’est pas seulement le clown qu’on nous présente complaisamment dans les médias français. Et ainsi de suite. L’Union Européenne ne fonctionne réellement que tant que les gouvernements sont d’accord. En cas de désaccord, elle n’existe plus et ses règlements se révèlent des chiffons de papier. On avait gravé dans le marbre maastrichtien la limitation des déficits publics à 3% et tout cela a volé en éclat dans les premières semaines de la crise. Il me semble que le problème principal n’est pas de mettre en cause le carcan de l’UE mais la soumission volontaire de notre gouvernement à des règles européennes qui n’existent que parce que NOTRE gouvernement les demande. En bon vieux léniniste – si j’ose dire ! – je m’en tiens au principe : « l’ennemi est dans notre pays ». L’ennemi principal n’est pas à Bruxelles mais à Paris. Bruxelles n’est qu’un épouvantail agité par les gouvernements français, allemands, anglais, etc., pour justifier la politique qu’ils mènent en toute conscience parce que c’est leur propre politique. La privatisation des services publics, c’est le gouvernement français qui en est le responsable, pas Bruxelles. La privatisation des autoroutes, celle de l’énergie, et l’entrée des mutuelles dans le système de la concurrence, c’est notre gouvernement qui en est responsable, et, en l’occurrence c’est le gouvernement de Jospin dans lequel siégeaient des ministres PCF et Mélenchon !

Nous sommes toujours aussi souverains d’avant les traités européens – car les traités eux-mêmes sont un acte de souveraineté. Le problème, c’est que le représentant du peuple souverain utilise le mandat qui lui a été confié pour asservir le peuple. Rêvons quelques minutes – comme c’est bientôt la nouvelle année, c’est le moment adéquat. Supposons qu’un gouvernement vraiment républicain et social arrive au pouvoir le 1er janvier 2010 au matin. Ce gouvernement pourrait immédiatement arrêter le processus de privatisation de la poste sans que Bruxelles, ni Merkel, ni Brown puissent y trouver à redire. Il ne serait nullement nécessaire de dire « nous dénonçons immédiatement le traité de Maastricht ». Il suffirait de dire : « nous gardons la poste comme service public et d’ailleurs nous reconstituons une ministère des PTT » et personne ne nous enverrait de troupes pour nous faire obéir aux « diktats » de Bruxelles. De même nous pourrions dire très simplement à nos amis européens : « soit on rétablit un tarif européen unique pour protéger l’Europe de la concurrence déloyale de la Chine, par exemple, et ce n’est que l’application d’une règle européenne, soit nous allons le faire nous-mêmes. À vous de choisir ! » Cela ouvrirait une crise. Mais l’Allemagne, dont le premier partenaire est la France, changerait assez vite de ton si elle avait en face d’elle un gouvernement décidé à mettre fin au double jeu de Mme Merkel, européiste enragée sur le dos des autres européens.

Donc, tout bien pesé, il me semble que le problème n’est pas l’UE en tant que telle, car elle n’est qu’un colosse de papier doté d’un budget ridicule dont la plus grande part va à l’agriculture – ce que les Anglais qui ont exterminé depuis longtemps leurs propres paysans lui reprochent assez. Le problème, c’est le gouvernement, et pour chaque pays d’Europe, c’est son gouvernement. Le président de l’UE, un personnage sans la moindre importance et dont tout le monde ignore le nom n’est qu’un fantoche. Sarkozy et Merkel incarnent des pouvoirs réels. Il me semble donc préférable de concentrer les objectifs politiques là et même des citoyens qui espèrent « une autre Europe » pourraient s’accorder avec le « souverainistes » sur les objectifs politiques nationaux et le type de relation avec les autres pays européens que nous proposons.

DC. 30/12/2009

1) Pour la défense des droits du peuple français. Par Pierre Delvaux

La réunion qu’avait organisé Devoir de Résistance - La Sociale le 3 octobre a débouché sur la décision de constituer un regroupement de réflexion et d’action politique pour œuvrer à une véritable alternative au cours actuel. Je soumets donc à votre réflexion ma vision de ce projet à l’éclairage des échanges que nous avons depuis déjà un certain temps sur La Sociale.

Quel objectif visons nous ? Pour moi, il s’agit d’œuvrer à réunir les conditions politiques pour constituer un gouvernement de restauration de l’unité républicaine et de la souveraineté du peuple français. Un tel gouvernement devra se fixer deux priorités : assurer à chaque foyer français un vrai travail avec un vrai salaire lui garantissant les droits sociaux afférents et assurer sur tout le territoire national l’exercice de la souveraineté populaire et des libertés citoyennes inscrits dans la constitution française.

Pour parvenir à un tel objectif, nous savons que des conditions précises doivent être réunies. En premier lieu, la France doit retrouver sa souveraineté nationale et, tout particulièrement, sa souveraineté économique et stratégique. De là, si on peut logiquement partager la revendication de « rupture avec l’union européenne », il ne suffit pas de la reprendre telle quelle. Il faut dire comment on compte s’y prendre précisément pour accomplir cette rupture. A ce titre, je partage l’idée générale proposée par Tony Andréani, celle d’un désengagement progressif de l’U.E. par une série de réformes. Cependant, il faut s’entendre sur deux points importants :

1 : Désengagement total ou partiel

2 : Définition et chronologie des réformes nécessaires.

Sur le premier point, de la plus haute importance, j’ai un point de vue différent de celui de Tony Andréani (et de la plupart des personnalités qui contestent l’U.E.). Il m’apparaît indispensable d’en finir totalement avec l’U.E. pour faire le pas historique de progrès auquel nous aspirons. Non seulement je crois que rien n’est à sauver de cet ensemble mais je crois aussi que toute persistance institutionnelle d’une de ses parties constituerait un obstacle à la mise en œuvre d’une véritable alternative.

La refondation d’une nouvelle politique de coopération et de véritable solidarité entre les Etats européens ne peut passer que par une revitalisation des souverainetés nationales. Cela n’a rien à voir avec du nationalisme tel qu’on l’entend généralement. Pour en finir avec l’arbitraire technocratique et supranational, n’est-ce pas pure logique que de redonner pleinement la parole aux peuples ? Comment faire une politique différente, une politique correspondant aux légitimes aspirations des peuples en conservant ne serait-ce qu’une partie d’un système dévolu aux oligarchies depuis ses origines ? (construit sur ce que Jacques Delors appelait « la théorie de l’engrenage » et impliquant un taux de chômage à maintenir idéalement à 10°/° pour garantir les meilleurs taux aux marchés).

Là se fait jour une nuance d’importance : il me paraît tout aussi évident que la rupture avec ce système ne se décrète pas dans son entièreté du jour au lendemain, surtout si, au départ, elle n’est le fait que d’un seul pays. Par parenthèse théorique, la philosophie qui en découle est que pour parvenir à un objectif révolutionnaire de fait par rapport au présent, la meilleure méthode est celle de la réforme, celle de l’exercice gouvernemental. Tout en sachant que la mise en œuvre d’une telle politique par un gouvernement entraînerait rapidement une situation de crise. Resterait alors au gouvernement en question d’avoir le courage et l’habileté d’assumer cette crise (ce que le gouvernement de François Mitterrand ne fit pas en 1982).

Sur le deuxième point, le contenu des réformes prioritaires ne constitue pas en soi le travail le plus compliqué. Pour beaucoup de nos concitoyens, il se dégage d’évidence de la situation qu’ils vivent actuellement. Et nous avons eu plus d’une fois l’occasion de proposer une liste de ces réformes sur La Sociale. C’est la chronologie de ces réformes qui soulève plus de questions, car elle constituerait la stratégie même d’un gouvernement de recouvrement de la souveraineté nationale. Elle porterait donc la crédibilité ou non de son projet politique. Il nous appartient donc, je le crois, de concentrer tout particulièrement nos efforts sur l’élaboration de ce plan de réformes stratégique.

Je conclurai là-dessus en précisant que l’urgence de la situation politique et la nécessité de rassembler largement impliquent de cibler quelques réformes essentielles d’ordre économique, social et stratégique et de ne pas nous perdre dans trop de détails d’application ou de considérations sociétales.

Pierre Delvaux , le 26 décembre 2009


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