Nelson Mandela : 27 ans de prison dans des conditions ignobles

mardi 13 février 2024.
 

27 avril 1994 : De l’apartheid aux premières élections multiraciales en Afrique du Sud

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de l’hommage rendu à M. Nelson Mandela à l’occasion de sa visite en France le 6 juin 1990

Afrique du Sud : d’une colonisation mouvementée et sanglante à l’emprisonnement à vie de Mandela

Le 11 février 1990, Nelson Mandela, le leader du Congrès national africain (ANC), symbole de la lutte contre le pouvoir ségrégationniste blanc, était enfin libre au terme de 27 années de prison. Retour sur l’une des figures les plus marquantes du XXe siècle

Le 15 octobre 1989, sept compagnons de Nelson Mandela emprisonnés avec lui dans le sinistre bagne de Robben Islands, au large de la ville du Cap, sont libérés par le pouvoir de l’apartheid. « Je savais que je n’aurai plus longtemps à attendre », écrit Mandela dans son autobiographie, Un long chemin vers la liberté. De fait, le 11 février 2010, il y a vingt ans jour pour jour, le leader du Congrès national africain (ANC), symbole de la lutte contre le pouvoir ségrégationniste blanc, sort de sa prison. Une libération fêtée dans le monde entier par tous ceux qui se sont mobilisés depuis des années parce que c’est la première grande victoire contre ce régime honni, soutenu presque jusqu’au bout par les « démocraties occidentales ».

Lui dont on ne connaissait que quelques photos réalisées dans les années cinquante, alors qu’il n’avait que la quarantaine, stupéfait le monde entier, ému, avec sa chevelure grisonnante. Mais avec le recul, ce qui a sans doute le plus surpris lorsqu’on l’a vu avec, à ses côtés, celle qui était encore son épouse, Winnie, c’est la dignité de cet homme que le pouvoir blanc ne voulait pas seulement faire plier : il voulait le briser. Il n’y parviendra pas. En avril 1964, déjà emprisonné (il a été arrêté le 5 août 1962), devant ses juges qui le condamneront à la perpétuité, Mandela déclare : « J’ai combattu la domination blanche, j’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idée d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et atteindre. Mais s’il en était besoin, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. »

« J’ai chéri l’idée d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie ». Nelson Mandela.

Mandela va rejoindre sa cellule dans le bagne de Robben Island, une île au large de la ville du Cap. Il devient le prisonnier matricule 466-64. Il ne recouvrira la liberté que vingt-sept ans plus tard. « La prison ne vous vole pas seulement votre liberté, elle essaie aussi de vous déposséder de votre identité », écrit-il. « C’est par définition un État purement autoritaire qui ne tolère ni indépendance ni individualité. » Au combat politique s’ajoutait donc celui pour la dignité du prisonnier. « Toute demande de livre qui contenait le mot “rouge”, même s’il s’agissait du Petit Chaperon rouge, était rejetée par les censeurs », se souvient-il.

Lors de son premier discours, prononcé depuis le balcon de l’hôtel de ville du Cap, il dit : « Je suis là devant vous non pas comme un prophète mais comme un humble serviteur du peuple. Ce sont vos inlassables et héroïques sacrifices qui m’ont permis d’être là aujourd’hui. Je remets entre vos mains les dernières années qui me restent à vivre. » Surtout, au grand dam des dirigeants de l’apartheid et de ceux des pays occidentaux (notamment Margaret Thatcher, alors premier ministre britannique), il exprime sa profonde gratitude à l’ANC, au Parti communiste sud-africain et aux combattants de l’Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC, plus connue sous le nom de MK. Bien que libre, à ce moment-là, Mandela, comme tous les Noirs d’Afrique du Sud, ne possède toujours pas le droit de vote et l’apartheid est toujours en place. « Je suis un membre loyal et discipliné de l’ANC, en accord total avec sa stratégie et sa lutte sur tous les fronts, lance-t-il devant une foule émue. Nous n’avons pas d’autres choix que de continuer la lutte armée. » Il demande également le maintien des sanctions économiques contre l’Afrique du Sud.

« Nos sentiments de respect et de solidarité, de notre engagement à apporter à votre combat et à celui de votre peuple ». Georges Marchais

Politiquement, les années qui suivent sa libération sont éprouvantes. Les négociations, commencées le 2 mai 1990, traînent en longueur. Il apparaît que le président blanc Frederik De Klerk, soutenu par les Occidentaux, cherche avant tout à conserver le pouvoir et à diviser l’ANC et le Parti communiste. Pendant qu’il discute, sa police poursuit d’ailleurs sa répression. Certains tentent, aujourd’hui d’oublier les manœuvres de De Klerk, voyant en lui un visionnaire et un homme de paix. C’est oublier que la lutte de l’ANC et de ses alliés et le soutien des progressistes et des démocrates dans le monde entier ont contraint ce régime à desserrer l’étau.

En France, les grands médias mettront de nombreuses années avant d’évoquer le sort de celui qui était alors le plus vieux prisonnier politique du monde et n’ouvriront guère leurs colonnes ou leurs antennes à ceux qui, ici, soutenaient ce combat : les Rencontres nationales contre l’apartheid, le Mouvement anti-apartheid, et encore moins au Parti communiste français (PCF), seul parti à s’être résolument et totalement engagé dans cette lutte. Notre journal prendra toute sa place dans cet engagement.

Le combat des communistes en faveur de la libération de Nelson Mandela, de ses compagnons et pour la fin de l’apartheid est un combat du premier jour. Dès le procès de Rivonia (1963-1964), qui devait envoyer au bagne le leader de l’ANC, c’est à la tribune de l’Assemblée nationale qu’intervient la député communiste, Marie-Claude Vaillant-Couturier en faveur des inculpés. Les manifestations vont se succéder, que ce soit à l’occasion de la terrible répression du mouvement noir, particulièrement des massacres de Soweto, ou pour dénoncer la complicité des autorités françaises qui arment l’apartheid et lui fournissent des centrales nucléaires. Des actions seront menées pour empêcher l’importation de marchandises en provenance d’Afrique du Sud, tel le charbon.

Le combat n’a jamais cessé de prendre de l’ampleur. La Fête de l’Humanité 1985 en porte la marque. Un immense concert, réunissant Max Roach, Eddy Louis, Salif Keita, Bernard Lubat et Manu Dibango, est donné. Une délégation élue par les centaines de milliers de participants, conduite par le directeur du journal, Roland Leroy, est chargée de se rendre à Matignon pour exiger que la France boycotte à 100 % le régime de l’apartheid.

En juillet 1988, Mandela fête ses soixante-dix ans en prison. Georges Marchais, alors secrétaire général du PCF, lui adresse un message l’assurant, de la part des communistes français, de « nos sentiments de respect et de solidarité, de notre engagement à apporter à votre combat et à celui de votre peuple la contribution croissante qu’ils appellent ». Il ajoute : « Nous combattons et combattrons toutes les complicités, d’où qu’elles viennent, à l’égard d’un pouvoir qui a montré à l’opinion française jusqu’où il pouvait aller en faisant assassiner sur notre sol notre camarade Dulcie September (assassiné à Paris par l’apartheid en 1988 — ndlr). » Le successeur de Dulcie, Solly Smith, se verra remettre, le 20 juillet, dans les locaux de l’Humanité, plus de 3 000 messages de soutien adressés par les lecteurs. « Le Nobel pour Mandela » : la proposition faite par Georges Marchais est approuvée par les participants au meeting de la Fête de l’Humanité 1988. Cette campagne va crescendo. Le 9 décembre, sous un chapiteau dressé au Champ-de-Mars, 20 000 personnes participent à une soirée ou se succèdent musique et témoignages. Joëlle Kauffmann, Valérie Kaprisky, Roger Hanin s’associent à cette campagne. Le 31 janvier, le Comité de défense des libertés et des droits de l’homme en France et dans le monde, que préside Georges Marchais, se rend à Oslo. Il rencontre le directeur du comité Nobel, Jacob Sverdrup. Á La Courneuve, la Fête de l’Humanité se met aux couleurs de l’ANC. Le portrait de Nelson Mandela est partout, popularisant encore plus le combat contre l’apartheid et pour la libération du dirigeant de l’ANC.

Lorsque Nelson Mandela vote pour la première fois de sa vie, il a soixante-quinze ans. C’est en avril 1994.

Le 11 février 1990, Nelson Mandela est libéré. Quelques semaines plus tard il se rend à Paris. Au sortir des rendez-vous officiels, il rencontre, au siège du PCF, place du Colonel-Fabien, Georges Marchais qu’il appelle « mon camarade » dans une interview à l’Humanité. En 1993, il reçoit le prix Nobel de la paix, consécration de son combat et de celui de ces millions de personnes qui ont manifesté pendant des années alors que les gouvernements d’Europe de l’Ouest et des États-Unis soutenaient le régime d’apartheid.

Les artistes se mobilisent également contre l’apartheid et pour la libération de Nelson Mandela. En 1974, humainement et politiquement ému par cette situation, le plasticien d’origine niçoise Ernest Pignon-Ernest recouvre les murs de Nice (que la mairie de droite a jumelé avec celle du Cap malgré la ségrégation) de ces terribles sérigraphies ou l’on voit une famille africaine derrière des grillages. Un engagement qui se poursuivra avec les artistes contre l’apartheid que Pignon-Ernest animera avec le peintre Antonio Saura. Un musée itinérant comprenant des dizaines d’œuvres des plus grands artistes sillonne la planète avec une promesse : l’ensemble sera remis au premier gouvernement démocratique. En 1996, deux ans après l’élection de Nelson Mandela comme président de la République sud-africaine, Ernest Pignon-Ernest lui remettra personnellement les « clés » de ce musée pas comme les autres, dans les locaux du Parlement, au Cap.

Lorsque Nelson Mandela vote pour la première fois de sa vie, il a soixante-quinze ans. C’est en avril 1994, à l’issue d’une campagne électorale si épuisante qu’on se demande comment un homme de son âge a pu la supporter ! Certainement grâce à cet enthousiasme qu’il avait chevillé au corps et qui lui faisait dire pendant les meetings électoraux : « Je voudrais tous vous mettre dans ma poche. J’ai soixante-quinze ans et avec vous j’ai l’impression d’en avoir seize. Vous êtes ceux qui m’inspirez à chaque jour de ma vie. » Élu président, il se met tout entier au service de cette cause : bâtir une nouvelle nation, une nation débarrassée de l’apartheid ou le mot « race » n’a plus aucune signification. En ce sens, la création de la Commission vérité et réconciliation (TRC) a permis d’ouvrir un chemin original, « entre amnistie et amnésie », parce que, comme le répétait Mandela, « nous pouvons pardonner mais nous ne pouvons pas oublier ».

Pierre Barbancey

Source : http://www.humanite.fr/Mandela-le-l...


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