Violences en milieu scolaire (dossier du Monde)

jeudi 20 décembre 2018.
 

1) "Il n’y a pas d’outil fiable pour mesurer les violences en milieu scolaire"

Pour Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, il n’y a pas de solution miracle pour lutter contre les violences dans les établissements scolaires.

Aba : Pourquoi aucun spécialiste ne peut dire si la violence scolaire diminue ou augmente ?

Sébastian Roché : Parce qu’en fait, les spécialistes ne tirent pas leurs qualités de leur état, mais de leur capacité à lire des instruments de mesure fiables et permanents dans le temps. Par exemple, en météorologie, on a un système universel et qui ne varie pas dans le temps qui permet de mesurer la pression atmosphérique. Or, on n’a pas d’outil comparable pour mesurer les violences en milieu scolaire.

Jean Luc : Quels types d’outils pourrait-on imaginer pour disposer d’une mesure fiable ?

Il serait souhaitable de développer un outil européen en matière de violence scolaire. Et pour deux raisons : tout d’abord, cela permettrait de comparer les différents pays entre eux ; d’autre part, cet outil échapperait au ministère de l’éducation nationale français. Celui-ci ne serait donc pas tenté de le modifier suivant les priorités politiques de court terme.

Syk : Il y a de moins en moins d’adultes dans les écoles, moins de surveillants, moins d’infirmières. Ils pourraient, par le dialogue, canaliser les pulsions violentes. Ne pourrait-on pas imaginer la présence permanente d’un psychologue dans les grands établissements scolaires ?

Les psychologues peuvent certainement être utiles après la survenue d’un incident violent pour aider les élèves. Mais je ne pense pas qu’ils puissent les prévenir, particulièrement les violences de groupe qui surgissent soudainement dans un établissement.

Tibo : Le ministre de l’éducation propose une table ronde sur la sécurité à l’école. Est-ce que c’est une façon de botter en touche pour ne pas parler des moyens que l’on refuse de mettre ?

Je pense que les ministres sont pris dans l’actualité, et qu’ils doivent agir. Ils se sentent obligés de proposer immédiatement quelque chose. Mais comme ils n’ont pas de solutions concrètes à formuler, et comme il n’y a plus beaucoup d’argent dans les caisses de l’Etat, ils ont tendance à annoncer une conférence... pour un peu plus tard. Se réunir et débattre n’est pas une mauvaise chose, mais verra-t-on émerger des solutions nouvelles auxquelles on n’a pas déjà pensé depuis vingt ans.

Vladi : Ces violences sont-elles spécifiques à l’école ou ne devrait-on pas simplement parler de violences qui s’exercent dans l’école ?

Je pense que les deux ne s’opposent pas. Une partie de la violence contre l’école vient du fait qu’elle est perçue comme un mécanisme de sélection sociale et professionnelle et aussi comme un lieu où l’on n’a pas sa place si l’on nest pas bon. Mais à côté de cela, il y a également un autre aspect : en France aujourd’hui, un établissement scolaire situé dans une zone pauvre et ethniquement mixte a plus de problèmes qu’un lycée ou un collège situés sans un quartier plus favorisé.

Michel B : La violence scolaire est-elle un phénomène propre à l’école publique ?

Je n’ai pas la réponse techniquement. Je sais que les écoles privées recrutent une partie de leurs élèves non pas sur la qualité des enseignants, mais sur celle du fonctionnement de l’établissement. C’est-à-dire sur le fait que les professeurs sont moins souvent absents et que le chef d’établissement veille plus scrupuleusement sur les présences et les absences des élèves.

Arthur : Est-ce que vous avez en tête l’exemple de pays qui ont des problèmes similaires mais qui s’en sortent mieux ?

Comme il n’existe pas de système de mesure français, il est difficile sinon impossible de faire des comparaisons. Cela dit, quels que soient les pays où ces problèmes peuvent se poser, les personnes qui réalisent des études sur la sécurité en milieu scolaire disent qu’il faut agir à trois niveaux : l’établissement, la classe, l’élève.

Malaguenas : Je suis certaine que l’arsenal sécuritaire n’est pas une solution. Au Royaume-Uni, pays bien dotés en caméras de surveillance, il y a aussi de la délinquance. Pour avoir fait du soutien scolaire en tant que bénévole, je place mes espoirs dans la lutte contre l’échec scolaire.

Il n’y a pas de solution miracle, sinon on l’aurait déjà utilisée. Concernant la vidéo-surveillance, je ne connais pas d’étude qui prouve qu’elle permet de limiter les violences en milieu scolaire. Probablement parce que les adolescents sont très impulsifs, particulièrement les garçons issus de familles défavorisées. Par conséquent, même s’ils sont filmés, cela ne les arrêtera pas. Par ailleurs, il existe des moyens très peu coûteux de contourner la vidéo-surveillance : une simple capuche ou une manche de pull-over avec deux trous pour les yeux suffisent.

Guest : Cette violence des jeunes n’est-elle pas aussi liée aux sombres perspectives qu’ils entrevoient pour leur avenir : ultra-matérialisme, pas de pitié pour les faibles, peu de sens dans le travail, le chômage, la précarité ?

D’abord le fait d’avoir des difficultés à l’école est en soi une sorte de violence, car il y a un sentiment de relégation. Ensuite, vient la question des perspectives après l’école : là, on voit bien que les multirécidivistes violents tout comme les jeunes placés par la justice sont très majoritairement issus du bas de l’échelle sociale.

Elena : La violence peut être prévenue en amont par des actions sociales ? Quels sont les domaines à cibler ?

Oui, il est possible de prévenir les comportements violents mais pas forcément tous. Et de plusieurs manières : d’abord, il faut être capable de diagnostiquer les problèmes de chaque enfant. Si il évolue dans une famille déstructurée, dans laquelle les parents ne peuvent pas exercer normalement leur fonction de surveillance, ou si la mère est seule et travaille le soir, il faut proposer une solution comme un système de garde. Autre exemple : si un adolescent a un problème de drogue, ce sont d’autres solutions qu’il faut mettre en œuvre. Il n’y a donc pas qu’une solution au problème de la violence. On ne peut agir avec des individus que sur la base d’un diagnostic individualisé.

Rebecca : J’enseigne au lycée français de madrid. De la maternelle à la terminale, il accueille plus de 3000 élèves. Les phénomènes de violence surgissent souvent pendant la récréation ou la pause de midi, lorsqu’il n’y a pas d’adulte pour les surveiller. Ils réclament des médiateurs pour les aider à gérer leurs conflits. Or personne n’est disponible pour cela : leurs professeurs sont débordés, les systèmes de sanctions s’avèrent inefficaces. Ne faudrait-il pas des personnes dédiées pour gérer ces conflits ou former les professeurs pour qu’ils puissent les résoudre ? Par exemple par le théâtre ?

Le fait d’utiliser des médiateurs peut se révéler efficace si ils sont bien formés et fonctionnent dans un projet plus global de sécurité à l’échelle de l’établissement. Si on se contente de mettre des personnes avec des blousons marqués "médiateur", ce n’est pas suffisant.

Got : On parle beaucoup de la violence dans les collèges et les lycées. L’école primaire propose des réponses intéressantes, notamment par l’intermédiaire des Centres de loisirs associés à l’école (CLAE). La mise en place de telles structures dans le secondaire est-elle imaginable ? Pensez-vous qu’elles pourraient être de réelles solutions ?

Le fait d’essayer de prévenir la violence par l’offre d’activités est quelque chose qui ne donne pas de résultats lorsque ces dispositifs font l’objet d’une évaluation systématique. Car les adolescents prennent les loisirs qu’on leur offre, mais cela ne change pas leur comportement en dehors de ces moments-là. Ce qui est plus efficace, c’est de développer des approches cognitives comportementales.

Delly : Y a t-il véritablement une perte de la notion d’autorité des adultes dans les familles ?

Il y a une transformation de la nature de l’autorité dans la société, et aussi dans les familles. L’autorité dans les sociétés comme la nôtre, passe beaucoup par la discussion et par la persuasion. Elle ne découle pas naturellement du statut : le fait d’être père ou mère n’en donne pas naturellement. Les familles où les enfants respectent les parents sont celles dans lesquelles il y a beaucoup de dialogue et où il est possible d’argumenter sur les raisons, par exemple, des interdictions. L’autorité s’oppose à l’autoritarisme, d’une certaine manière. Exemple : dans les les familles où on utilise des sanctions physiques de façon non cohérente les enfants ne respectent pas les injonctions données par les parents.

Gaulupeau : Ne pensez vous pas qu’une partie de la violence ordinaire dans les collèges s’explique par la présence d’élèves en échec depuis l’école primaire que l’on a fait passer automatiquement en classe supérieure faute de solutions ?

Les élèves qu’on a fait passer automatiquement en classe supérieure et qu’on n’a pas renvoyés ne sont pas les plus perturbateurs. La tendance est aujourd’hui à l’exclusion temporaire ou définitive si un élève est régulièrement perturbateur. Je ne pense donc pas que ce soit ce type d’échec scolaire qui soit le plus problématique. Le problème est plutôt celui d’un élève qui ne trouve pas sa place dans la classe.

Alba : Vos solutions sont intéressantes mais qui va les mettre en œuvre ?

Dans un système centralisé d’éducation, il n’y a que le ministère de l’éducation nationale qui puisse décider. C’est la limite d’un tel modèle. Pour qu’il innove, il faut que le changement soit général. Et c’est très difficile d’organiser cette évolution générale. Et c’est également très coûteux économiquement.

Nicolas : Certains enseignants réclament des "surveillants". Mais n’y a t-il pas erreur sur la nature du problème qui n’est en rien "pédagogique" mais plutôt d’ordre sécuritaire ? N’a t-on pas besoin de vigiles ? J’observe qu’on les compte par dizaines dans les grandes surfaces... Pourquoi l’école serait-elle immunisée contre la violence banale de notre société ?

L’école n’est pas un hypermarché rempli de choses à voler. Les vigiles sont efficaces parce qu’ils peuvent dissuader de prendre. Dans le système scolaire, le problème est plutôt d’encourager les élèves à s’approprier les connaissances. Cela dit, on peut imaginer que dans certains établissements on ait besoin d’une présence professionnelle d’adultes. On peut les appeler vigiles, on peut les appeler surveillants, c’est quand même de la même fonction qu’il va s’agir : assurer la tranquillité d’un espace.

Jonathan : Quelles seraient selon vous les trois priorités à mettre en œuvre pour diminuer la violence à l’école ?

La première, c’est de répartir de façon plus juste les moyens financiers et en personnels limités que possède aujourd’hui l’éducation nationale et donner la priorité aux zones qu’on appelle justement... prioritaires. La deuxième serait de développer des solutions dont on sait par l’évaluation scientifique qu’elles sont efficaces, donc s’appuyer sur la connaissance scientifique de la prévention. Et la dernière est de plus long terme : développer en France les moyens d’évaluation à la fois du problème, et également de l’efficacité des réponses. Et cette évaluation, à mon avis, doit être faite par un organisme indépendant du ministère, pour qu’il n’y ait pas de confusion des rôles. Le ministre dirige, l’évaluateur porte un jugement sur l’efficacité des décisions.

Marc Dupuis

2) Ecoles : feuilleton d’une violence ordinaire

Ambiance rentrée des classes, ce mercredi 17 février, au lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), après deux semaines d’une intense mobilisation liée à l’agression au couteau d’un jeune de 14 ans. Par grappes, sous une fine pluie, les lycéens regagnent leur établissement. Calmement.

A quelques kilomètres de là, toujours dans le Val-de-Marne, le lycée Guillaume-Apollinaire, 1 500 élèves, prend la relève de la contestation. Les enseignants font jouer leur droit de retrait, pour la deuxième journée consécutive, après l’agression au cutter d’un élève, lundi 15 février. Devant l’entrée principale, des lycéens brandissent des banderoles : "Les caméras ne nous protègent pas", ou encore "Faut-il mourir pour faire réagir ?" Pas de caméras, pas de micros, comme si la situation était normale. Classique.

L’académie de Créteil vit des jours difficiles. Les mêmes mots reviennent, les mêmes rengaines. Le même sentiment d’incompréhension, aussi. De rancoeur. La violence, encore, mouvante, palpable. Au lycée Apollinaire, les enseignants ont tous un mail en tête. C’était la semaine dernière, quand les faits de violences, de déprédations, semblaient s’intensifier. Et donc, ce courriel de la direction qui les enjoignait alors de ne pas renvoyer d’élèves de leur classe, "sauf danger imminent". Colère, sentiment de démission.

C’est lundi 15 février que la violence s’est vraiment invitée. Un lycéen de 17 ans est agressé au cutter par six personnes pendant un cours de sport, dans un gymnase attenant à l’établissement. Karim Abderrazak, en terminale technologique, est témoin de la scène. Grave, il raconte : "Il était 11 heures 50. Des mecs de la cité d’en face ont sauté par-dessus le grillage. Six au total, cagoulés, armés. Ils sont rentrés dans le gymnase avec leurs bombes lacrymogènes. Ils ont coursé leur cible qui s’enfuyait dans le jardin. A coups de matraques et de cutters, ils l’ont défoncée."

"Règlement de comptes"

Le grand gaillard est sous le choc. Mardi 16 février, il n’ira pas rejoindre ses camarades et professeurs de l’académie de Créteil, partis à la manifestation, à Paris, contre la "dégradation des conditions de travail" dans l’éducation nationale. Pour lui, l’incident est un "règlement de comptes" entre deux bandes rivales, celle de la cité Gabriel d’un côté du lycée, et celle de Grignon, de l’autre. Des rixes comme il s’en produit souvent, dans le voisinage. Mais d’habitude, c’est hors de l’enceinte du lycée.

Dans le cortège, les pancartes classiques des syndicats, CGT, FSU, SUD. Non à la réforme du lycée, non à la mastérisation. L’école asphyxiée. Les élèves crient "Rendez-nous nos profs", les profs hurlent "Rendez-nous nos postes". Parmi les 2 000 manifestants (selon les organisateurs), les quelque 20 professeurs du lycée Guillaume-Apollinaire se font discrets. Eux n’ont ni pancarte ni slogan. Ils n’ont qu’une demande, martelée par Marianne Boucheret, professeure d’histoire-géographie. On l’a désignée, le matin même, porte-parole des professeurs de l’établissement. Ils veulent "plus de moyens humains : des surveillants et des professeurs qualifiés !". Le lycée compte douze assistants d’éducation à mi-temps, soit un pour 300 élèves.

Pour Mme Boucheret, l’agression de lundi "n’était pas imprévisible, elle est arrivée après un cortège de signes avant-coureurs", tels les insultes, menaces, bombes lacrymogènes, bagarres entre bandes, cambriolages, dégradations matérielles... Toute cette violence ordinaire qui empoisonne la vie, certes, mais dont on finit par s’accommoder tant bien que mal.

Et puis, début janvier, un professeur est agressé au tournevis devant l’établissement par trois jeunes, dont un élève du lycée. Début février, des élèves saccagent la salle 205. "Ils ont même été jusqu’à déclouer le bureau !", s’étonne encore Danielle Torres, professeure d’anglais. Cette même semaine, des murs de l’établissement sont tagués. Le système électronique, - portail, caméras de surveillance -, est arraché.

"Un traumatisme pour les élèves"

L’agression d’un élève par une bande armée, en revanche, ça reste une première. "C’est un traumatisme pour les élèves, rapporte Guillaume Denizo, professeur d’histoire-géographie. On ne s’imaginait pas que l’on puisse en arriver là." Margot Miossec, en terminale littéraire, ne s’en remet pas. "Dans le lycée, on se sentait en sécurité, comme dans un cocon. Ce qui vient de se produire est monumental !" Cette intrusion dans un espace dévolu aux savoirs, elle ne l’accepte pas. Avec quarante de ses camarades, elle a filé à la manifestation pour réclamer, comme ses professeurs, "plus de surveillants".

Les "états généraux de la sécurité à l’école", annoncés sur France 2 par Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, le matin même, ne semblent guère remonter le moral. Les enseignants du lycée Guillaume-Apollinaire n’en attendent rien. Pas plus que des équipes mobiles de sécurité, mesure phare du "plan de sécurisation des établissements scolaires" en cours.

"On ne résout pas les problèmes de violence en amont, s’énerve Laurent Gilbert, professeur de mathématiques. On donne aux élèves une impression d’impunité totale jusqu’à ce qu’une sanction pénale tombe. C’est une catastrophe éducative !" A Guillaume-Apollinaire, on voudrait pouvoir enseigner, certes, mais aussi éduquer. Trouver cette difficile alchimie qui permette de travailler sans basculer dans le sécuritaire.

Du haut de ses 17 ans, Margot Miossec affiche une ferme opposition à l’intervention de la police en milieu scolaire. "Leur présence ne ferait qu’aggraver un peu plus les tensions. Les élèves se sentiraient fliqués, harcelés." Face à cette violence qui monte chez eux, les enseignants se sentent tellement seuls, alors, pour exorciser ce malaise, ils racontent. Ils racontent, le mail qui les a tant énervés, et aussi l’hésitation du proviseur à porter plainte, après l’agression au tournevis. "Nous n’avons aucun soutien du chef d’établissement. La communication est rompue", conclut M. Denizo. Jeudi 18 février, il ira manifester, à Paris. Pour réclamer plus de personnels d’encadrement. Et un peu d’écoute.

Aurélie Collas (avec Yann Bouchez)

3) Violence à l’école : depuis vingt ans, une dizaine de plans de prévention pour peu de résultats

Arrivé à trois mètres d’Antony, un élève de terminale qui lui tourne le dos, Frédéric pointe son arme et tire froidement. Atteint dans la région lombaire, Antony s’écroule. Par miracle, il s’en tirera, sans lésions irrémédiables, après une longue hospitalisation." C’était un matin de mars, au lycée Magendie de Bordeaux. Le 6mars 1984, indique l’article du Monde qui, en 1987, rend compte du procès de l’agresseur. L’année précédente avait été marquée par la mort du proviseur du lycée Jean-Bart de Grenoble, poignardé par un élève de 17 ans qui n’avait pas supporté son renvoi.

En matière de violence à l’école, une amnésie collective semble accompagner chaque événement grave. Une incursion dans la documentation du Monde procure à cet égard un recul saisissant. "Après le viol d’une élève dans les locaux d’un lycée de Saint-Ouen, le 27 septembre, la série d’actes de violence se poursuit dans des établissements de la région parisienne", apprend-on en octobre 1990.

Le 17, devant l’Assemblée nationale, Lionel Jospin, ministre de l’éducation, souligne que les écoles doivent rester des lieux "où les jeunes soient le plus possible préservés des convulsions du monde extérieur". Insuffisant pour enrayer un mouvement de protestation qui rassemble des centaines de milliers de lycéens… et se termine par une séquence « casseurs ». C’était il y a vingt ans. Passer directement à l’actualité récente, c’est occulter un nombre indéterminé de drames, comme le décès de Djamel Essaghir, élève de première, poignardé à mort le 10novembre 1992 à Saint-Etienne, au cours d’une bagarre devant le lycée d’Alembert.

AFFICHAGE TONITRUANT

En mai de la même année, Jack Lang, ministre de l’éducation, avait lancé le premier d’une longue série de plans (on en est désormais à une dizaine) contre la violence à l’école. On sait, avec la distance, qu’aucune annonce politique ne s’est durablement traduite par une diminution de cette violence. La formule même du "grand-plan violence" n’est pas pertinente.

Les politiques veulent du rendement rapide, de l’affichage tonitruant pour les prochaines élections. La prévention de la violence réclame au contraire du suivi, du local, du sur-mesure, de la patience et de l’humilité. Ce décalage est involontairement illustré le 22mai 1993 par François Bayrou, ministre de l’éducation, annonçant sa volonté de protéger ce "sanctuaire" que doit rester l’école. Les mots, hélas !, ne sont pas magiques. Le 17 septembre, un lycéen de 16 ans et demi était tué par un camarade d’un coup de feu en plein cœur, à la sortie d’un lycée de Brest.

C’était seize ans avant l’annonce, en mai 2009 par Xavier Darcos et Nicolas Sarkozy, après plusieurs agressions d’enseignants, d’un plan de "sanctuarisation" des établissements scolaires. Et le 22 mai 1997, il y a treize ans, 1 500 enseignants de Seine-Saint-Denis – déjà ! – manifestaient à Paris suite à des "agressions répétées" dans plusieurs établissements.

CAS EXCEPTIONNELS

Mais, récemment, la violence à l’école n’aurait-elle pas augmenté ? S’il s’agit des faits graves comme ceux qui focalisent l’attention ces derniers jours, ils restent exceptionnels et peuvent toucher n’importe quel établissement. Après l’agression au couteau d’une enseignante à Fenouillet (Haute-Garonne), le ministère de l’éducation avait indiqué, en mai 2009 qu’il n’y avait "pas de montée significative" de ce type de violence.

Et globalement, toutes catégories confondues, constate-t-on une hausse des violences à l’école ? "Personne ne le sait", répond le spécialiste français le plus réputé, Eric Debarbieux, directeur de l’Observatoire international de la violence à l’école. Faute, notamment, d’un instrument de mesure fiable et stable.

L’éducation nationale a cassé le thermomètre en passant d’un système de mesure à un autre. Jusqu’en 2007, le logiciel Signa recensait les actes violents signalés par chaque établissement. L’exploitation de ces chiffres par l’hebdomadaire Le Point pour établir un "palmarès" a conduit les chefs d’établissement à le boycotter.

Un nouveau système, Sivis, fondé sur un panel d’établissements anonymes, l’a remplacé. Les dernières données Signa, celles de 2005-2006, faisaient état d’une augmentation de 7 % en un an des incidents touchant les enseignants, et de 25 % depuis 2003 des incidents touchant les personnels de surveillance et les conseillers principaux d’éducation.

En revanche, selon Sivis, le nombre moyen d’incidents graves pour 1 000 élèves a diminué entre 2007-2008 et 2008-2009, passant de 11,6 % à 10,5 %. Les "atteintes aux personnes", qui représentaient 80,9 % de ces incidents la première année, sont passées à 80,6 % l’année suivante. Mais parmi celles-ci, la proportion des "violences physiques" a légèrement augmenté, passant de 36,4 % à 38,8 %.

Ces chiffres ne permettent ni de conclure à une explosion ni de contredire les enseignants lorsqu’ils perçoivent une aggravation. Ces dernières années, 50 % des faits de violence se concentrent sur les 10 % d’établissements les plus difficiles où, rappelle M. Debarbieux, se multiplient les incidents qui "empoisonnent la vie quotidienne".

Luc Cédelle


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