Débat sur la violence psychologique au sein du couple

mardi 8 mai 2012.
 

Le geste est suffisamment rare pour être souligné : dans une belle unanimité, le PS, l’UMP et le gouvernement proposent de créer une nouvelle incrimination pour lutter contre les violences faites aux femmes. Certains l’ont baptisé le "harcèlement conjugal", d’autres préfèrent évoquer les "violences psychologiques au sein du couple", mais tous sont d’accord sur le principe : il ne suffit pas, disent-ils, de pénaliser les coups, il faut s’en prendre aux comportements de domination qui les accompagnent.

La création de ce nouveau délit figure dans une proposition de loi qui sera examinée, jeudi 25 février 2010, par l’Assemblée nationale. Présenté par les députés Danielle Bousquet (PS) et Guy Geoffroy (UMP), ce texte est le fruit d’une réflexion menée en 2008-2009 par la mission parlementaire sur les violences faites aux femmes. "Il est important de nommer et de punir ces violences pour que leurs auteurs et victimes prennent conscience de leur caractère inacceptable", affirme Mme Bousquet.

Les députés s’appuient sur les travaux de la psychiatre Marie-France Hirigoyen qui estime que, dans un couple, les coups sont toujours précédés d’humiliations et de comportements vexatoires. "Il n’y a jamais de violence physique s’il n’y a pas eu auparavant de violence psychologique", affirme-t-elle. Ils espèrent en outre que ce nouveau délit permettra à ces femmes de prendre conscience de leur statut de victime. "Il les aidera à nommer ce qu’elles vivent", résume l’avocate Yael Mellul.

Nul ne conteste que les violences psychologiques existent, mais leur pénalisation est difficile : le droit pénal, qui est d’interprétation stricte, exige des définitions claires et des preuves solides. Comment dessiner les contours juridiques de ces comportements qui ne laissent aucune trace physique et qui relèvent souvent de l’appréciation subjective de chacun ? Comment réunir, devant des juges, des éléments de preuve sur des faits qui se déroulent souvent dans le huis clos conjugal ?

DES PEINES SÉVÈRES

Au terme de plusieurs mois de réflexion, les députés ont choisi de s’inspirer de la définition du harcèlement moral, un délit créé en 2002, qui ne s’applique qu’au monde du travail. Seront donc considérées comme des violences psychologiques au sein du couple les "agissements ou les paroles répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’entraîner une altération de sa santé physique ou mentale".

Les peines prévues par la proposition de loi sont sévères : ces violences seront punies de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. "Cette nouvelle incrimination est nécessaire, estime la secrétaire d’Etat à la famille, Nadine Morano. Sur les 80 000 appels reçus tous les ans par le numéro d’écoute sur les violences conjugales (le 3919), 84 % concernent des violences psychologiques. J’ai rencontré des femmes dont les conjoints ne cessaient de les rabaisser, de les humilier. Elles sont psychologiquement détruites."

Beaucoup de juristes restent cependant perplexes. Comment distinguer les violences psychologiques des altercations ou des tensions qui constituent souvent le lot des couples ? "Il s’agit, une fois encore, d’une loi d’affichage et de communication, affirme Christophe Vivet, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats (USM) et procureur adjoint à Grenoble. Etre désagréable de manière répétée, critiquer sans cesse sa compagne, est-ce une violence psychologique au sens pénal ? Il y a un vrai risque d’arbitraire dans ce texte qui va autoriser la justice à s’immiscer dans la vie privée des couples."

INTERVENIR AVANT QUE LES COUPS PLEUVENT

Les adversaires du texte invoquent le précédent du harcèlement moral : le mot est entré dans les mœurs mais les condamnations restent rares – la chancellerie en recense 97 en 2008, 99 en 2007, 84 en 2006. "Ce n’est pas très étonnant, poursuit Christophe Vivet. Le délit de harcèlement moral présente les mêmes inconvénients que les violences psychologiques : sa définition est très floue. Dans une entreprise, le même comportement peut être ainsi vécu comme une méthode un peu vigoureuse par un salarié ou comme une véritable agression par un autre."

Pour le gouvernement, ces accusations d’arbitraire ne sont pas fondées. "Il ne s’agit pas de pénaliser les tensions au sein d’un couple mais de sanctionner de véritables violences qui ont causé un préjudice à la victime, précise le porte-parole du ministère de la justice, Guillaume Didier. Pour cela, les magistrats pourront s’appuyer sur tout élément de preuve : des certificats médicaux, des témoignages de proches, des expertises, des lettres, des messages enregistrés sur un répondeur, des SMS ou des relevés d’appels téléphoniques qui révèlent un véritable harcèlement."

Les associations de femmes qui luttent contre ces violences défendent cette incrimination qui permettra, selon elles, d’intervenir au sein du couple avant même que les coups pleuvent. Certaines craignent toutefois que les hommes violents se défendent en accusant désormais leurs compagnes de violences psychologiques. "Ce délit serait alors une arme à double tranchant que les auteurs de violence risquent de retourner contre les victimes", expliquait aux députés, en janvier, Annie Guilberteau, qui dirige le Centre national d’information et de documentation des femmes et des familles.

Anne Chemin

Témoignages

Alors que l’Assemblée nationale examine, à partir du jeudi 25 février, une proposition de loi sur les violences faites aux femmes, les internautes du Monde.fr ont été nombreux à témoigner de leur quotidien fait de brimades, d’agressions physiques et morales, de menaces, d’humiliations, et de leur sentiment d’impuissance et de culpabilité. Avec, pour certains, la possibilité de s’en sortir en témoignant.

* Violences psychologiques, physiques et séquestration, par Marianne

J’ai été victime de violences conjugales de la part d’un mari pathologiquement jaloux. Ces violences physiques étaient épisodiques, mais la violence psychologique a commencé bien avant, par un isolement de mes proches et une séquestration. Mon mari m’a aussi fait signer une reconnaissance de dettes sous menace et devant notaire, que je n’ai ensuite pas pu remettre en question, sous prétexte que j’avais été étudiante pendant les deux premières années de notre mariage et qu’il m’avait entretenue. Chaque fois que je réussissais un concours qui me faisait gagner en indépendance, la violence physique réapparaissait.

L’angoisse des enfants m’a déterminée à déposer plainte après avoir fait constater les violences à l’hôpital. Aucune réaction des policiers, qui ont simplement enregistré ma plainte. J’ai profité d’une absence de mon mari pour m’évader avec les enfants et me réfugier chez mes parents qui m’ont toujours soutenue. Pendant trois mois, mon ex-mari a alors enchaîné mes meubles pour m’empêcher de les récupérer. J’ai finalement obtenu le divorce aux torts de mon mari cinq ans plus tard, après une enquête sociale qu’il a demandée contre moi et un appel devant le tribunal, de sa part, contre la première décision de divorce. Je n’ai reçu aucune aide de la police, malgré de constantes tentatives de m’agresser de sa part.

* Sauvée par des fractures et des ecchymoses, par Nathalie

Je me suis retrouvée dans l’étau d’un mariage devenant chaque jour plus destructeur. J’ai d’abord été profondément fragilisée par de constantes contraintes puis d’incessants reproches. Ensuite, les menaces se sont faites chaque jour plus fortes, entre les cris, les dénigrements, les injures et les violences physiques, pas très apparentes. Il est difficile de décrire ce quotidien. C’est un cauchemar duquel l’on ne parvient pas à s’échapper, dépossédé de ses moyens. Devant les autres, le compagnon est très doux et sous-entend : "La pauvre, elle est fragile, elle invente des choses."

Un exemple de ces pressions : à force d’entendre dire tous les matins que je ne savais pas conduire, j’ai eu huit accidents de voiture. En trente ans de permis, c’est la seule période où j’ai eu des accidents. Personne ne me croyait. Pis, je sentais des sous-entendus qui me rendaient coupable. Je voulais divorcer, mais il me menaçait. Puis il y a eu ce jour béni où il a failli me tuer. J’ai réussi à sortir dans la rue, avec fractures et ecchymoses. Enfin, un constat a pu être établi, et il a été obligé d’accepter le divorce. Je suis partie avec mon fils. Mais mon ancien mari a recommencé à être violent, avec mon fils pendant les visites. Malheureusement pour mon fils, il n’a jamais eu de marques sur le corps. Personne ne le croyait. Aujourd’hui, mon fils a l’âge de rejeter son père.

* Un fusil chargé sous le lit, par Claudine

J’ai subi à la fois des violences psychologiques et physiques. Je me suis mariée jeune, eu des enfants très jeune aussi, deux à 20 ans. Mon père, qui aurait peut-être pu m’aider, est décédé lorsque j’avais 16 ans ; ma mère n’était plus elle-même et, lorsque je l’ai alertée sur les coups que je recevais, elle a fait promettre à mon conjoint de ne plus recommencer. C’est pourtant ce qu’il a fait. J’ai aussi alerté mon frère, qui m’a vue dans un sale état mais qui n’a rien fait. A l’époque, les gens n’intervenaient pas. Ensuite les coups ont continué, ainsi que les menaces contre moi et mes enfants et des harcèlements de toutes sortes. Il gardait un fusil chargé sous le lit. Finalement, il est décédé, et je me suis sentie libre pour la première fois de ma vie. J’avais 55 ans.

* Mon mari savait charmer notre entourage, par Monique

Mon ex-mari, violent, avait su trouver le moyen d’attendrir son entourage. Très charmeur, il savait, par des attentions régulières, séduire nos proches. Ses violences se produisaient "sans témoin" si ce n’est les enfants. Mais il savait avec brio expliquer l’exagération de leurs propos. En le quittant, j’ai perdu tous mes amis. "On ne s’immisce pas dans ta vie de couple", me disaient-ils avant de me faire comprendre que j’exagérais un peu par souci de vengeance. Personne ne m’a crue, excepté ma famille et mes enfants. Il m’a donc fallu reprendre ma vie sociale en repartant de zéro. Ça a été difficile. Mais aujourd’hui, je ne regrette rien car je suis enfin libre.

Je n’ai jamais porté plainte, même pas une main courante. Sans doute par manque de courage, par crainte de devoir affronter cette réalité que je ne voulais pas voir. Notre divorce a duré six ans. Six années pendant lesquelles il a tenté, par avocats interposés, de continuer à m’humilier et à se faire passer pour une victime. C’est bien cela qui est terrible, car, durant notre vie commune, je me posais sans cesse la question de ma culpabilité. Je pensais que c’était moi qui était la cause de sa violence. Je culpabilisais, alors je ne disais rien.

* Je fermais les yeux et culpabilisais, par Hélène

Je dois l’avouer : j’avais décidé d’ignorer les signaux d’alarme quant au comportement sinistre de mon ancien compagnon. Enfant de bonne famille, bien élevé, très apprécié par ses amis, il semblait un garçon parfait. Quelques mois après le début de notre relation, nous avons déménagé en France. Me "voyant perdue" dans ce nouveau pays, il me critiquait de façon "constructive", disait-il, pour m’aider à réussir mon adaptation. J’ai beaucoup changé, appris le français, maigri de 9 kg (il me trouvait en surpoids), mais ses critiques constantes me faisaient sentir de moins en moins bien dans ma peau et de moins en moins moi-même.

Presque toutes nos sorties étaient décidées par lui et en compagnie de ses amis. Je ne pouvais pas faire autrement. Il faisait ce qu’il voulait quand il sortait seul, me trompait avec des gens de notre entourage et me mentait. Lors d’une discussion, il pouvait devenir très violent. Je fermais les yeux et culpabilisais par rapport à mon caractère un peu impulsif. Le jour où il m’a réellement annoncé voir quelqu’un d’autre, j’ai explosé. J’ai fini dans la rue, couverte de bleus et déprimée.

* Les hommes aussi peuvent être des victimes, par Alexandre

Malheureusement, la violence conjugale subie n’est pas réservée au sexe féminin. Je suis un homme, grand et sportif. Pourtant, durant de nombreuses années, de manière irrégulière, j’ai subi de la part mon ex-épouse violences verbales, humiliations, y compris devant les enfants, et coups. Je crois que ni les hommes ni les femmes ne peuvent s’attendre à ce que leur conjoint soit violent. Jamais je n’aurais pensé que celle qui partagerait mon existence m’aurait insulté, craché dessus, arraché des poignées de cheveux dans des moments terribles, ou fait craquer les vertèbres cervicales au risque de me blesser grièvement.

Face à ces agressions, la justice me semble bien impuissante. Seule la parole libère la victime, mais les réparations de ces actes ne sont pas à la hauteur des préjudices subis. J’ai réussi à rompre. J’ai donc connu l’éloignement des enfants, facilement manipulables et instrumentalisés par la mère. Mais ils ne voient plus leur père être maltraité, humilié, frappé. Même si cela m’a coûté, c’est terminé.

Au côté de celui qu’elle aimait, Julie a subi un infernal processus de violences

Julie Bissiau avait 15 ans quand elle a rencontré Michael (le prénom a été modifié) au lycée Wallon de Valenciennes (Nord), un établissement coté. "C’était le plus beau gars, et aussi le meilleur en classe. Il y ajoutait un côté bad boy, avec la drogue, et les filles craquaient. Il avait de l’influence sur les autres lycéens. Nous avions 20 ans quand nous nous sommes installés ensemble. Il jouait au maudit très malheureux, me disait de le fuir, qu’il ne savait que détruire ; j’avais encore plus envie de l’aider."

Durant deux ans, le couple vit chez les parents. "Au début, je le voyais comme mon prince charmant. Etre sous emprise, c’est un processus long et graduel. Il a d’abord manifesté une jalousie pathologique, virant mes copains. Ces privations ne sont pas tout de suite identifiées par les femmes. On se dit : “Ah, il m’aime fort !’’, on confond amour et propriété…"

A 20 ans, Julie est déjà en troisième année de fac de sport, alors que Michael, "pourtant extrêmement intelligent", tâte l’informatique, après deux échecs en médecine puis maths. Pour faire vivre le couple, Julie arrête ses études et travaille au tri postal. "Je voulais me consacrer à lui." Mais Michael prend un ascendant psychologique sur elle, contrôle ses sorties. "Je le découvrais bipolaire, je voyais deux hommes en un même corps." Frappée, Julie va au commissariat, mais retire vite sa plainte. "Je portais la culpabilité. Il parvenait à me convaincre que tout était de ma faute."

Ils emménagent à Douai. A 22ans, Julie reprend des études en sciences de l’éducation, mais finance la vie conjugale, grâce à son salaire d’assistante d’éducation en lycée. La violence psychologique devient aussi physique. "Dans le prisme de sa jalousie, tous les hommes étaient des rivaux. Mais je pensais toujours que je pouvais le changer."

SOUS L’EMPRISE DE "LUCIFER"

Les années passent, Michael alterne "reconnaissance et déni". Julie observe : "Il y a quatre phases dans la violence conjugale : la montée de tension, la violence, l’inversion de culpabilité (la victime pense que tout est de sa faute), puis le retour de la lune de miel avec une promesse de changement de la part de l’homme." Julie définit les formes de violence : "Psychologique toujours, ensuite tantôt verbale, économique, physique, sexuelle…"

Et les parents ? "Je n’écoutais pas leurs conseils. Devant une telle emprise, les parents sont aussi impuissants que si leur enfant était dans une secte. Très vite, ma mère m’a donné le téléphone d’une structure d’aide, l’AJAR à Valenciennes, que j’ai consultée de plus en plus souvent. Je voyais deux femmes, une juriste et une psychologue."

Michael ne la laisse plus aller seule à la boulangerie, il s’incruste à la fin des cours de karaté de Julie… Chaque fois qu’elle tente de partir, il organise une stratégie. Il se dit junkie, tente de se suicider à deux reprises, se surnomme « Lucifer ». Il faudra une semaine de violence extrême pour qu’elle se sauve définitivement.

Julie part deux ans à Barcelone. "Je me suis reconstruite, j’ai travaillé dans un foyer pour femmes, je voulais vérifier si je faisais ce métier pour aider les femmes ou pour moi-même. J’ai passé là-bas un master 2 sur la violence familiale." De retour à Lille, elle soutient un mémoire sur "le corps de la femme maltraitée".

Aujourd’hui, Julie, 29 ans, se qualifie de militante. Elle a abandonné le karaté. "Impossible de me mettre en position d’attaque." Elle a écrit un livre (J’aime le diable, réédité chez France Loisirs). Désormais référent départemental pour l’association Accueil et réinsertion sociale (ARS), elle suit les cas de femmes isolées dans la Flandre rurale entre Lille et Dunkerque.

Geoffroy Deffrennes


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