Antonio Damasio : Une biologie cérébrale de la conscience de soi

samedi 13 novembre 2010.
 

L’Autre moi-même. Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, d’Antonio Damasio. Éditions Odile Jacob,

2010, 416 pages, 24,90 euros.

Un nouveau Damasio est toujours un événement dans la littérature de vulgarisation des neurosciences. Les lecteurs du Sentiment même de soi et de Spinoza avait raison retrouveront la clarté et la richesse d’une recherche théorique nourrie par la pratique thérapeutique du neurologue. Sans répétition, car ce livre suit l’évolution de la conception de l’auteur, amené depuis une quinzaine d’années à déplacer du cortex vers d’autres zones du système nerveux (le tronc cérébral, situé au-dessus de la moelle épinière) le centre de gravité de l’identité personnelle et de la conscience. Celles-ci ne sont pas des choses – des substances, dirait le philosophe – mais des processus fondés dans l’ensemble du corps et de son histoire évolutive. Pour cette raison d’abord que même si le cerveau travaille de façon différenciée (les localisations cérébrales ne sont pas un mythe), aucune zone n’est dédiée exclusivement au soi ou à la conscience. Ceux-ci procèdent de l’interaction complexe entre des cartes neurales, structures dynamiques de neurones dont la construction accompagne l’interaction du cerveau avec tout ce qui n’est pas lui  : monde extérieur, mais aussi corps propre. Ensuite parce que le cerveau, et toute l’activité psychique  : esprit, émotions, sentiments, construction de l’identité, héritent d’une longue histoire évolutive, celle d’un lent perfectionnement de l’homéostasie, c’est-à-dire des fonctions coordonnées dans le sens d’une préservation de la vie.

Cette histoire a commencé avec des organismes unicellulaires portant dans leur programme génétique les mécanismes adaptatifs élémentaires  ; elle s’est prolongée avec la construction de circuits de neurones dépourvus d’esprit, et a débouché, avec l’esprit conscient humain, doté d’un soi, sur l’homéostasie sociale et culturelle. À condition d’assimiler les significations, quelquefois inhabituelles pour le lecteur français, de termes comme esprit, image ou émotion, et aussi de parcourir un livre plus didactique et sans doute moins immédiatement accessible que les précédents, on effectuera un voyage passionnant dans l’architecture cérébrale, mais également – puisque aussi bien c’est la même chose – dans l’univers du fonctionnement mental, du niveau le plus élémentaire (l’état de veille) aux productions les plus élaborées de la culture. Et qu’on n’aille pas parler de réductionnisme. 
Damasio n’expose ce que nous savons que pour insister sur l’étendue de ce que nous ne savons pas, et dont la complexité recèle des possibilités dont ni la science 
ni la philosophie n’ont achevé de prendre la mesure.

Patrick Dupouey, philosophe.


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