Globalisation et souffrance psychique : Quand la valeur marchande écrase tout

samedi 7 mars 2015.
 

Par Marie-Jean Sauret, psychanalyste Il y a un lien direct entre la logique de 
la globalisation et la souffrance psychique. Tribune dans L’Humanité du vendredi 27 février 2015

Comment ne pas se révolter devant les commentaires qui, émission après émission, article après article, affirment que l’austérité sauve l’Europe de la faillite  ? Quand bien même cela serait vrai, ne convient-il pas de mentionner le nombre de victimes dont le capitalisme et le capitalisme aggravé par celle-ci sont responsables  ? Comment faire confiance en un système qui sait que la principale source de richesse d’une société est sa population, mais qui prélève ses bénéfices ou économise en période difficile sur les besoins fondamentaux que sont la santé, le logement et le travail, et ce, pour enrichir les nantis et les corrompus  ?

Les affaires d’évasions fiscales légalement organisées à partir du Luxembourg par Jean-Claude Juncker, actuel président de la Commission européenne chargée d’y mettre un terme (!), ou de la quatrième banque mondiale, HSBC, dont le profit warning du 8 février 2007 (relèvement de ses provisions pour créances douteuses (!) sur le marché immobilier américain) devait précipiter la crise, bénéficiaire des politiques européennes et chef d’orchestre de la fraude fiscale, y compris pour des truands, ne nous démentiront pas.

De partout des voix s’élèvent pour venir au secours de ce système délétère et assassin. Sans doute parce qu’elles en bénéficient ou en reçoivent des miettes. La valeur marchande s’est substituée à toutes les valeurs et le calcul de rentabilité tient lieu d’éthique au point que l’argent du crime est intégré dans le calcul du PIB, que l’accumulation prime sur le partage. La politique a rendu son tablier devant l’économique, et là où la première pourrait encore tempérer le second, elle le sert.

La loi Macron est le dernier exemple local. Mais les capitalistes devraient en profiter. Bref, elle assoie un peu plus la domination des puissances d’argent sur notre vie quotidienne  : quand verra-t-on qu’il y a un lien direct entre la logique de la globalisation et la souffrance psychique  ? La généralisation de la valeur marchande à l’exclusion de toute autre permet déjà de mettre la nature sur le marché. La loi Macron permettra de contourner le débat public et de faire avancer des projets comme celui de Sivens sans consultation.

On nous explique que l’évaluation marchande de l’écologie permettra de la faire rentrer dans le calcul pour mieux la défendre. Mais l’organisation de cette évaluation et de ce marché est confiée, aux échelles européenne et mondiale, aux banques responsables de la crise pour les peuples de 2008 – la crise qui a amené les États à renflouer les mêmes banques avec l’argent des nations et à imposer à leurs peuples l’austérité qui tue. Car elle tue.

La profanation des cimetières ces jours-ci est un indice de plus de la faillite des idéaux  : les effets de l’idéologie dominante affectent les sujets et contaminent la psychologie de chacun aux travers de l’éducation, des conditions familiales, de la mass-médiatisation, du scientisme, de «  l’économystification  », de l’anthropologie qu’elle véhicule et à travers laquelle elle nous invite à nous penser comme des machines, des entreprises, des organismes pour lesquels la jouissance se confondrait avec la consommation.

Plus grave est peut-être l’instrumentation des mêmes idéaux, non seulement par le storytelling qui cherche à masquer la férocité ambiante, mais directement par les politiques  : ainsi, auraient l’esprit Charlie ceux qui auraient voté la loi Macron («  unité nationale oblige  ») ou qui participeraient de la libéralisation de la gauche française. Le discrédit est a priori jeté sur les analyses qui la dénoncent. Le pire signe réside peut-être dans l’inversion qui s’est produite, ces dernières années, relativement aux valeurs de droite et de gauche  : longtemps les valeurs de gauche étaient interprétées en termes de solidarité et de progrès et celles de droite de réalisme et service des intérêts de la classe économiquement dirigeante parce que la plus méritante, au mieux (quand on oublie la lutte des classes) dans l’intérêt de tous.

Aujourd’hui, être à la page de son époque c’est aller dans le sens de la libéralisation, et tant pis pour les morts du capitalisme. Ce matin du 20 février 2015, sur France Culture, depuis l’Italie, un interlocuteur promouvait l’échec de Beppe Grillo comme la preuve que les peuples ne sauraient faire de la politique  : il faut laisser cela aux spécialistes, à ceux dont c’est le métier. Avis aux Grecs de Syriza, aux Espagnols de Podemos, et aux Français du Front de gauche dont on se réjouit ouvertement qu’il ne décolle pas dans l’opinion publique.

Il y a sans doute une autre façon de prendre le problème de l’inconsistance des valeurs collectives. C’est un fait qu’il n’y a pas d’alternative qui tienne, puisque la moindre valeur est structuralement en échec devant le réel qu’il s’agit d’indexer  : ce qui ferait la valeur de chacun où nous pourrions voir un transcendant profane, laïc. En effet, ce qui lui conférerait son assise réside dans ce qui fait la singularité de chacun et son lien au collectif. Ainsi certains ont vu dans « Charlie » le nom qui pouvait nous rassembler, avant que d’autres ne réagissent  : «  Pour telle et telle raison, je ne suis pas Charlie  », «  Je suis le Prophète  » ou «  Je suis autre chose  ». La sacralisation respective de Mahomet et de la liberté de la presse, en l’occurrence, ne dit pas ce qui fonde le sacré.

Ne serait-il pas possible de débattre de ce fondement en donnant chance de remettre le transcendant à sa place sans cesse à restaurer  ? Il me semble que l’un des noms que nous pourrions donner à ce qui nous rassemble est celui de «  solidarité  » en effet. Mais pas avec un système qui se gorge de notre sang. Avec chacun de ceux qui font une place à l’autre et qui travaillent au partage et au bien public.

La situation grecque nous donne une opportunité de concrétiser cette position. Comme l’écrit son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, il ne s’agit plus de bluffer pour tromper ou le peuple ou les partenaires, mais de faire ce qui est juste. Il renonce aux offres européennes tant qu’ils n’ont pas un plan économique crédible non seulement supportable y compris par les Grecs les plus pauvres, mais juste et honnête. Et si les peuples d’Europe s’unissaient pour construire une autre Europe, en abandonnant leurs politiques, en confisquant l’argent de la corruption, en faisant de l’argent un bien public non confiscable, etc.  ? Gageons qu’ils ne manqueront pas d’idées pour faire mieux que les professionnels…


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