Psychiatrie « Une politique de la peur et du contrôle social » (Claude Louzoun)

lundi 20 décembre 2010.
 

Claude Louzoun, psychiatre de service public et animateur du collectif Mais c’est un homme, explique comment la réforme du projet de loi de 1990 et de le manque des moyens créent une psychiatrie sécuritaire.

Pourquoi vous mobilisez-vous contre le projet de loi de réforme du texte de 1990  ?

Claude Louzoun. Ce projet de loi est une application de plus de la politique de la peur. Il articule dangerosité, garde à vue psychiatrique de 72 heures, soin contraint en ambulatoire, organisant une véritable trappe psychiatrique. Avec cette loi, on veut réduire la psychiatrie à une psychiatrie médicale, biologique, voire gestionnaire, et d’un autre côté, à une psychiatrie qui ne serait seulement là que pour prévenir et éviter les troubles à l’ordre public. Ce projet de loi s’inscrit dans l’idéologie néolibérale, qui trie, stigmatise des populations cibles qu’une expertise va suspendre ou écarter du gouvernement de soi, de l’exercice de la citoyenneté. Il s’agirait ainsi d’organiser un nouveau grand renfermement dehors, un contrôle social.

Peut-on parler de soins quand il n’y a pas 
de consentement  ?

Claude Louzoun. Pas vraiment. Un traitement sans consentement peut être le fait du refus incontournable de la personne, de l’existence d’un état de nécessité clinique avéré, ou de l’impossibilité pour le service psychiatrique concerné de trouver d’autres réponses que l’hospitalisation contrainte. Mais dès l’admission, il s’agit de rechercher l’accord du patient à des soins et à un traitement. On peut réduire de manière considérable la quantité d’hospitalisations contraintes, si l’on a le temps de l’accueil (sans rendez-vous, sans réponse hâtive), l’hospitalité et le temps du soin.

Il faut également séparer l’hospitalisation contrainte du traitement contraint. Ce dernier point se négocie à chaque fois. Les associations d’usagers posent également la question de l’écoute de la volonté du patient et de sa parole, sous les formes dites de la personne de confiance, par exemple. Un traitement sans consentement n’est plus du soin s’il dure excessivement et s’il s’impose comme un modèle. Si on le généralise, le malade risque de rentrer dans un système de soins duquel il ne ressortira pas, au risque d’appliquer une logique que l’on a entendu dans le discours de décembre 2008 de Nicolas Sarkozy  : un fou est un fou, et il le restera toute la vie.

En quoi cette vision sécuritaire de la psychiatrie est-elle liée aux manques de moyens  ?

Claude Louzoun. La politique de réduction des moyens est en route depuis plus de trente ans, mais elle s’est particulièrement accélérée depuis 2007 et la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST). 50 000 lits d’hôpitaux psychiatriques ont été supprimés. La psychiatrie, comme tout le service public de santé, est soumise à des réductions de budgets, des moyens et des effectifs, par le non-renouvellement des retraités. De fait, de nombreux secteurs subissent le rapatriement dans les hôpitaux des soignants détachés sur le secteur, comme dans les centres médico-psychologiques.

C’est déjà symptomatique d’une politique psychiatrique qui est prioritairement orientée vers l’enfermement et où toute la dimension thérapeutique est mise à mal. À cela s’ajoute une pression managériale très lourde, qui soumet les services à des évaluations, des accréditations, à une gestion administrative et comptable étrangleuse. Cette vision écrase l’éthique professionnelle des soignants et les orientations de travail. Depuis des années, il n’y a plus d’internat psychiatrique, ni diplôme d’État d’infirmiers psychiatriques… Face à la peur de la violence, les personnels, sans formations concrètes, ont des attitudes défensives, de protection, au lieu d’être dans l’accompagnement et le suivi psychiatrique.

Entretien Réalisé par P. Duquesne, L’Humanité


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