Psychanalyse : outil de libération ou instrument pervers de la bourgeoisie ? (par Michel Tort)

mercredi 29 juin 2016.
 

La psychanalyse, après avoir été donnée pendant des décennies comme l’exemple d’un combat pour les Lumières, est la cible d’attaques en règle. Certains ont vu en elle un outil de libération psychique et sexuelle. Ses bienfaits lui conféreraient une portée révolutionnaire. D’autres l’ont accusée d’être un instrument pervers de la bourgeoisie détournant les masses du bon chemin.

Le succès de la diffusion de la psychanalyse, qui s’est effectué par vagues successives, repose incontestablement sur la capacité des premières avancées de la psychanalyse à éclairer la psychopathologie névrotique et quotidienne, la vie amoureuse (le névrosé, c’est l’homme normal). Elle analyse la religion comme une pathologie psychique, obsessionnelle ou psychotique. Elle jette les bases d’une analyse des mécanismes d’assujettissement de masse. Crises et critiques sont liées à l’idée utopique que ces avancées à grands pas devraient déboucher sur un développement harmonieux et sans difficultés de la pratique et des effets sociaux de la psychanalyse. Ce qui revient à ignorer les difficultés normales de la pratique psychanalytique et leur rôle dans l’invention psychanalytique. La psychanalyse n’est pas une Bonne Parole moderne  : c’est un artisanat prosaïque du psychisme. Les psychanalystes ne sont pas innocents dans la confection de l’illusion qui dénie ce statut modeste. La définition de la psychanalyse comme cause par Freud, reconduite et exacerbée par le lacanisme, a eu des effets néfastes.

La relance d’un nouveau mouvement de la psychanalyse s’est opérée en ranimant via Marcuse les alliances de la psychanalyse avec le mouvement politique. Elle s’est inscrite dans un libéralisme contestataire qui traverse les mouvements des années 1960, à la fois contre la normalisation psychique inhérente à la version américaine de la psychanalyse et contre la désubjectivation et la désexualisation exigées impitoyablement par les partis communistes à titre de sacrifices de l’individu et de la pensée à la révolution. Mais la transformation par Lacan de la psychanalyse en construction philosophique pseudo-mathématique, enveloppant dans ses nuées une pratique plus qu’approximative quand elle n’est pas arbitraire, voire délinquante, a entouré « la psychanalyse » d’une aura sulfureuse. Une spéculation fumeuse qui n’a rien de psychanalytique éclipse la clinique ou prétend la faire sortir de l’incantation de la doctrine.

Dans les années 1980, deux données achèvent de déclencher les attaques contre la psychanalyse. D’une part le développement obstiné de la psychanalyse est apparu aux psychologues et philosophes cognitivistes, qui représentent ses relais dans la pensée néolibérale, à la fois comme une pratique à coloniser et comme une entreprise concurrente sur un marché de l’exploitation psychique, qu’ils estiment devoir leur revenir de droit, au nom de la « scientificité » de leur discipline, dont la vocation clinique avait pourtant échappé à tout le monde jusque-là. D’autre part, la participation de psychanalystes aux débats de société a largement consisté, en France, à défendre, au nom de leur expertise arrogante sur « l’inconscient du social », les normes traditionnelles en matière de famille, de filiation, de sexualité et de genre, tout ceci au nom de « l’ordre symbolique » (entendez la législation du droit canon revue sans être corrigée). Qu’il s’agisse du Pacs, de la parité, de l’égalité, etc., un incroyable sottisier « psychanalytique », dont rien n’indique qu’il soit clos, s’est déversé en toute obscénité dans le débat public.

Dégager la psychanalyse à la fois de la Bonne Parole et des conceptions normatives historiques reconnues comme telles, paraît la condition pour un nouveau développement de la psychanalyse.

Par Michel Tort, psychanalyste et philosophe.

Michel Tort est notamment l’auteur de  : la Fin du dogme paternel. Éditions Flammarion, 2007.

http://humanite.fr/19_11_2010-ratio...


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