Pourquoi l’euro tel qu’il existe est condamné

lundi 28 avril 2014.
 

Il est maintenant clair que la monnaie unique, minée par ses dogmes 
fondateurs, va dans le mur. D’où l’aiguisement du débat sur d’éventuelles issues et une polémique avec Berlin, qui rêve d’un euro réduit à l’ex-zone mark.

Le magazine britannique The Economist du 20 novembre le représentait à sa une en pleine tempête, ses États membres les plus fragiles réfugiés sur un radeau de la méduse. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel de cette semaine le figurait aussi en première page, percé de deux trous fumant. Ces mises en scène de l’euro, puisqu’il s’agit de lui, moribond ou touché à mort, ne sont pas qu’une quelconque dramatisation de la crise dont est victime la monnaie unique. Elles traduisent aussi la montée d’un certain désarroi face à l’infaisabilité de la poursuite de l’euro tel qu’il a été conçu. Le quotidien français le Monde daté d’hier invitait ainsi fébrilement de son côté les acteurs de la construction européenne des années 1970 que furent Jacques Delors et Helmut Schmidt à faire part de leurs ordonnances de vieux sages de l’union monétaire.

De salutaires résistances européennes

L’euro tel qu’il existe apparaît de plus en plus clairement condamné à foncer dans le mur. Les constructions élaborées ces derniers mois dans l’urgence pour faire face aux crises successives nées du surendettement des États provoqué, pour l’essentiel, par le krach de 2007-2008, apparaissent de plus en plus intenables. Le fonds de stabilisation financière et le recours au FMI pour mettre en place des plans dits d’aide pour la Grèce ou l’Irlande s’avèrent extrêmement coûteux. Aux 110 milliards d’euros prêtés à Athènes s’ajoutent maintenant 85 milliards débloqués ce mardi pour l’Irlande.

D’autant qu’il ne s’agit pas de solidarité avec les peuples en question. Mais de son contraire exact, puisque l’application des dogmes monétaristes qui fondent l’euro conduit à exiger des coupes à la hache dans les dépenses sociales. De quoi donc étouffer la croissance, réduire le niveau de vie des populations, creuser comme jamais les inégalités au sein des pays « périphérique » concernés et les écarts avec les puissances européennes dominantes. D’où la crainte que ces « purges » « mettent à mal l’idée européenne elle-même », comme le fait observer à juste titre John Monks, le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES). L’austérité tue l’Europe.

La conscience que cette rigueur généralisée serait intenable grandit toutefois. Au même rythme sans doute que se confirment ces salutaires résistances européennes, si porteuses, elles, de vraies solidarités entre peuples confrontés à une même mécanique échappant à la démocratie et dévouée uniquement à son maître, les marchés financiers.

Polémique entre Juncker et Merkel

Ce sentiment que l’on n’y arrivera pas en restant prisonnier du cadre existant se répand d’autant plus vite que d’autres crises se rapprochent fortement. Après la Grèce et l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie pourraient être à leur tour contraints de susciter un plan de « soutien ». L’irruption, ces dernières heures, d’un débat sur un éventuel recours à des euro-obligations souligne cette évolution. Le président de l’eurogroupe, Jean-Claude Juncker, en personne vient de s’y déclarer favorable. Il s’agirait de créer des titres de dette collectifs des États européens. L’avantage serait de faire baisser mécaniquement les taux d’intérêt des pays les plus étranglés par leurs traites. La Grèce doit verser 11,6% d’intérêts, l’Irlande 8,3%. Soit une différence de respectivement 8,8% et 5,5% avec l’Allemagne, pays le mieux noté sur les marchés financiers qui peut emprunter, elle, à 2,8 %.

« Nein » a aussitôt réagi Angela Merkel, qui a fait valoir que mettre les pays en difficultés « à l’abri » des hausses de leurs taux d’intérêt les inciterait « à moins prendre des mesures de discipline budgétaire ». Juncker a dénoncé hier ce refus allemand d’examiner sa proposition déplorant même une manière d’agir « très antieuropéenne ».

La polémique inhabituelle illustre en fait la montée en puissance de la tentation allemande pour une solution qui viserait in fine à préserver « le noyau dur de l’euro », selon l’expression d’Helmut Schmidt, dans l’espace autrefois imparti à la zone mark. Tout se passe en effet comme si Berlin avait déjà commencé à jouer le « coup d’après ». Pour le cas où le maintien dans l’euro des « États du Sud » européen apparaîtrait impossible. Moyennant quoi des pays, comme la France, qui seraient décidés à rester arrimés à la monnaie unique, devraient y mettre le prix en termes de discipline monétariste. La proposition de créer des euro-obligations est entachée de très graves limites puisqu’elle ne dérogerait pas à la tutelle des marchés financiers. L’irruption de ce type de débat illustre toutefois le degré extrême de maturation de la crise. Il signale que le besoin de trouver une issue pour sauver une coopération monétaire européenne menacée n’a jamais été aussi aigu. Et il crédibilise toutes les propositions visant à en refonder les bases. Il en va d’un vrai sauvetage du projet européen.

Bruno Odent


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