Economie politique du « système-euro » (par Michel Husson, économiste)

jeudi 2 août 2012.
 

Cet article cherche à montrer comment la crise actuelle de la zone euro renvoie aux défauts originels de conception du « système-euro » dont les contradictions, révélées par la crise financière, sont de nature structurelle. Cette démonstration est menée en mobilisant une méthodologie statistique et analytique qui donne à cette étude un caractère « technique ». Mais c’est une étape nécessaire pour déboucher sur un diagnostic plus solide sur les issues possibles de la crise actuelle, ou plutôt de sa dimension spécifiquement européenne. Cette crise a des racines plus profondes que le symptôme dans lequel elle s’incarne, à savoir une crise des dettes souveraines. Dès lors, il n’existe que deux issues apportant une réponse adaptée à la nature structurelle de la crise européenne : soit l’éclatement du système-euro, soit sa refondation radicale. Les autres se bornent à étaler les contradictions dans le temps ou à programmer une régression socialement inacceptable.

Le système-euro désigne ici l’ensemble constitué par la monnaie unique et les règles qui ont accompagné sa mise en place (dont la plupart concernent l’ensemble de l’Union européenne), notamment le pacte budgétaire, les fonctions imparties à la Banque Centrale Européenne (BCE), l’étroitesse du budget européen et le refus de l’harmonisation.

L’analyse porte sur onze pays, à savoir les pays membres de la zone euro dès sa constitution en 1999, dont on exclut le Luxembourg et auxquels on ajoute la Grèce, qui l’a intégrée en 2011. On distingue deux grands groupes de pays2. Le « Nord » regroupe cinq pays : Allemagne, Autriche, Belgique, Finlande et Pays-Bas. Le « Sud » comprend l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal. Le onzième pays est la France que l’on met à part dans la mesure où elle occupe le plus souvent une position intermédiaire.

1. Une construction incohérente

Le passage à l’euro était assortie de deux règles essentielles : la fixation de normes budgétaires (3 % du Pib pour le déficit, 60 % pour l’encours de la dette) et les modalités de fonctionnement de la BCE : indépendance, un seul objectif (le contrôle de l’inflation) et interdiction de financer les déficits publics. Dans ces conditions où l’instrument du taux de change disparaissait, la seule variable d’ajustement devenait le salaire, et c’est d’ailleurs pourquoi on parle aujourd’hui de « dévaluation interne » pour désigner les politiques d’austérité salariale.

Cette construction reposait sur une hypothèse sous-jacente, qu’un certain nombre d’économistes récusaient à l’époque, et que beaucoup ont découvert sur le tard. Cette hypothèse était que les disciplines budgétaires et salariales, assorties de la libéralisation des mouvements de capitaux, suffiraient à assurer la convergence des économies parties prenantes de la zone euro.

Les choses ne se sont pas passées comme prévu, et l’objet de cet article est de comprendre les enchaînements qui ont conduit à la crise actuelle qui porte sur les fondements mêmes du système-euro. On partira ici d’un apparent paradoxe : les pays du Sud ont vu leur compétitivité-prix se dégrader, alors même que la part des salaires a reculé dans ces pays. Ce constat pointe un phénomène majeur qui servira de point de départ : les taux d’inflation n’ont pas convergé en dépit d’une baisse généralisée de la part des salaires dans la valeur ajoutée (Husson, 2010). Cette dernière tendance implique que les salaires réels ont progressé moins vite que la productivité du travail, autrement dit que la compétitivité mesurée par les coûts salariaux n’a pas de raison a priori de s’être dégradée en raison d’un dérapage des salaires. La discipline salariale a effectivement joué mais cela n’a pas suffit à assurer la convergence des taux d’inflation.

Or, la compétitivité d’un pays peut se dégrader de deux manières : soit parce que le coût salarial unitaire3 du pays considéré augmente plus vite que celui des ses concurrents ; soit parce que l’inflation est plus rapide dans ce pays. La première cause est exclue : en règle générale, le coût salarial unitaire réel s’est maintenu ou a baissé en raison de la baisse de la part des salaires. Prenons l’exemple de la Grèce. On constate que la part des salaires est orientée à la baisse depuis le milieu des années 1980 et qu’elle continue à l’être après l’entrée dans l’euro en 2001. Elle ne recommence à augmenter que dans les années précédant la crise (graphique 1). Le même graphique permet de constater que l’évolution du coût salarial unitaire réel présente une évolution absolument similaire.

...

2. Les déterminants de l’inflation structurelle

3, 4, 5...

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Conclusion

Pour sortir de cette impasse, il existe une voie de traverse qui est, pour résumer, une rupture unilatérale avec l’Europe réellement existante au nom d’un autre projet pour l’Europe. On peut parler ici d’un programme de transition qui combine le refus des règles du système-euro avec une volonté de généralisation de l’expérience alternative à l’ensemble de la zone. On n’attend pas l’apparition miraculeuse d’une « bonne » Europe et on adopte un « protectionnisme d’extension » qui consiste à protéger l’expérience de transformation sociale tout en proposant son extension (Husson, 2011, 2012).

C’est une telle démarche que mettait en oeuvre le plan d’urgence de Syriza en vue des élections grecques du 17 juin 2012. Il avançait notamment ces trois points7 :
- 1. Annulation du mémorandum, de toutes les mesures d’austérité et des contre-réformes du travail ;
- 2. Nationalisation des banques ;
- 3. Moratoire sur la dette pour identifier et annuler la dette illégitime.

La principale conclusion de cette analyse est que la crise des dettes souveraines révèle une crise plus profonde, celle du système-euro. La crise du capitalisme est venue percuter un projet incohérent : réunir en une union monétaire des pays différents, en se refusant tout moyen d’assurer leur convergence ou d’organiser leurs relations. La nécessaire refondation européenne ne peut prendre corps que par un refus assumé de règles inadaptées, qui n’ont fait que creuser l’écart entre les pays de la zone euro. Mais elle ne se réduit pas à cet objectif : l’alternative exige d’autres ruptures, et notamment une autre répartition des richesses, nécessaire à sa cohérence. Une rupture avec le système-euro ne peut trouver sa légitimité que dans une rupture avec le capitalisme néolibéral et un projet d’extension coopérative. Les principes d’une Europe solidaire sont en effet incompatibles avec une pure logique capitaliste. C’est ce qui rend l’avenir aussi incertain et exigeant.


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