Alexis Corbière : "Au PG, notre “plan B” envisage la sortie de l’euro"

mercredi 5 août 2015.
 

L’épisode grec a mis un sacré coup à la stratégie de changement de l’intérieur de l’Europe. Cette stratégie qui est traditionnellement celle de la gauche de la gauche française. "Désobéissance aux traités", voire "sortie de l’euro" si la stratégie du poing sur la table échoue, répond Alexis Corbière, secrétaire national du Parti gauche. D’ailleurs, pour lui, sa formation a accepté depuis bien longtemps l’idée d’une sortie de l’euro. Certes, il reconnaît que ça n’est pas le cas de toutes les composantes du Front de gauche. Mais il note qu’il y a des évolutions dans ses rangs...

Marianne.net : Après les derniers épisodes de la tragédie grecque et la capitulation inévitable de Tsipras, est-ce qu’une sortie de l’austérité vous paraît encore possible dans le cadre de la zone euro ?

Alexis Corbière : Non. L’austérité économique et l’autoritarisme politique qui vont de pair pour l’imposer sont mécaniquement inhérents aux différents traités qui fondent cet euro. Bien sûr, ce n’est pas le principe d’une monnaie commune qui est en cause, mais bien de cet euro-là, que nous nommons « euro-Merkel ». Pour nous, les traités qui fondent cette Union européenne sont illégitimes, c’est pourquoi nous leur désobéirons si nous sommes aux responsabilités. Je rappelle que le 29 mai 2005, le peuple français a clairement rejeté le projet de traité constitutionnel européen, et le traité Sarkozy-Merkel, que François Hollande candidat avait promis de renégocier en 2012, s’applique désormais sans qu’une virgule en ait été changé et sans que le peuple ait été consulté. Le résultat du référendum du 5 juillet dernier en Grèce était également sans appel. Chaque fois que les peuples ont la parole, c’est le même message : non à l’austérité !

Mais je désapprouve votre expression « capitulation inévitable de Tsipras ». Elle est méprisante et elle empêche de comprendre la violence du coup d’Etat financier dont a été victime la Grèce. Depuis six mois, Tsipras et son gouvernement se sont battus et ont cherché à résister. Au Parti de gauche, nous avons aussitôt rejeté sans ambiguïté le diktat qui leur a été imposé dans la nuit du 12 juillet. Tous nos responsables ont alors été sur le pont pour décrypter et expliquer la situation en toute indépendance. Il n’empêche, nous ne confondons pas les bourreaux et les victimes. Le rapport de force lui était très défavorable et l’absence de plan B l’a mis sur la défensive. Mais ceux qui sont d’authentiques capitulards, face à la finance, sont tous les dirigeants de la social-démocratie européenne dont la différence avec les ultralibéraux allemands est devenue quasi indétectable.

Quelles leçons tirez-vous de l’échec des tractations entre la Grèce et ses créanciers européens ?

Les créanciers européens, notamment sous la conduite agressive de la droite allemande, ont placé un revolver sur la tempe d’Alexis Tsipras par la menace du « Grexit » et ont surtout voulu infliger une punition au gouvernement Syriza qui avait eu l’audace de les défier. Hélas, dans cet affrontement, ce dernier était trop isolé, sans scenario alternatif, sans aucun gouvernement allié, contrairement au conte à dormir debout que nous a raconté François Hollande. En dernier ressort, la France s’est honteusement alignée sur l’Allemagne. Pour notre part, si demain nous étions à la tête du pays nous assumerions clairement d’ouvrir une crise en Europe en tenant tête publiquement au fanatise libéral de la droite allemande alliée à la social-démocratie. C’est elle qui incarne le problème. Nulle germanophobie en disant cela.

La presse allemande l’a en grande partie dénoncé également avec des mots très durs. Ce fut le cas aussi de plusieurs personnalités allemandes comme l’écologiste Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères. C’est là tout l’intérêt du livre de Jean Luc Mélenchon, Le Hareng de Bismark (Editions Plon), qui, dès le mois de mai, alertait l’opinion publique du danger que représente la politique d’Angela Merkel. Par bonté d’âme, je ne ferai pas la liste de tous les « idiots utiles » de cette droite merkelienne qui ont alors osé assimiler cette critique à de la xénophobie. L’histoire retiendra que c’est Mélenchon qui avait raison.

La seule solution, c’est ce que nous disons au PG avec force depuis 2011, répété maintes fois par mon camarade l’économiste Jacques Généreux : si nous arrivons au pouvoir, d’abord nous proposons de sortir par le haut. Mais si cela ne marche pas, on rompt. C’est ce que nous appelons « le plan B ».

La question de l’euro se réactive avec la crise grecque. En 2012, le programme du Front de gauche se refusait à envisager la sortie de la zone euro, les communistes craignant de fâcher les socialistes et de perdre quelques postes dans la foulée. Jacques Généreux, justement, l’a clairement expliqué à Marianne par le passé...

Pourquoi chercher à embrouiller ce qui est simple ? Lisez plus attentivement ce que nous disons. Depuis 2011 au moins, la stratégie du Parti de gauche est claire et a occasionné de nombreux textes et résolutions. Certes, au sein du Front de gauche, la position de certains n’était pas si avancée. Même si, à bien des égards, le livre Les Tabous de la gauche radicale d’Aurélien Bernier, pointe des vérités. Mais j’observe que depuis la crise grecque, beaucoup ont évolué. Je pense notamment au député François Asensi qui a déclaré au JDD : « Cette crise a changé ma perception de l’euro. C’est aujourd’hui un instrument des politiques d’austérité et de réduction des dépenses publiques. C’est un carcan qui s’oppose à toute politique sociale. Un carcan dont il faut peut-être sortir. » Il y a aussi Pierre Khalfa, responsable du groupe Ensemble pour qui désormais il faut « ne pas craindre de sortir de l’euro ». Ces déclarations, et il en est d’autres, illustrent bien leur évolution.

Dans un billet de blog, Varoufakis a montré à quel point les négociateurs de l’Eurogroupe ont été sincèrement autistes, engoncés dans le respect des règles ordolibérales d’inspiration allemande. L’hermétisme des interlocuteurs et l’attitude de l’Allemagne ne s’opposent-ils pas d’entrée à toute transformation de l’UE l’intérieur ?

Il est quasi évident qu’elle s’opposera, mais nous lui ferons face avec détermination. Nous sommes une nation souveraine qui doit se faire respecter. Pour comprendre la pertinence de notre stratégie il ne faut pas perdre de vue l’importance de la France en Europe. Mmes Lagarde et Merkel et M. Draghi ne prendront pas les mêmes risques avec les 2 000 milliards d’euros de dette publique française ainsi que l’avenir de plusieurs banques systémiques (BNP, Société générale...) qu’avec les quelque 300 milliards d’euros de dette grecque et leurs quatre banques purement nationales. Nous avons les moyens de dissuasion et c’est un rapport de force qu’il faut penser. La France a un poids important et ne sera pas isolé avec, je l’espère, l’Espagne de Podemos, la Grèce (si Syriza reste au pouvoir) et même l’Italie.

Nous voulons expulser les dogmes monétaristes en demandant notamment que la BCE prête aux Etats à taux faible pour relancer l’emploi et financer la transition écologique. Et si les Merkel et Schaüble ne sont pas d’accord avec cela, qu’ils s’en aillent ! Entre notre programme et la BCE indépendante, on a choisi notre camp. On ne fait pas l’Europe ni l’euro sans la France. Paul Krugman, Prix Nobel d’économie l’a dit en 2013 : « Les marchés savent que la BCE ne laissera jamais la France faire défaut ; sans la France, il n’y a plus d’euro ».

Avec ces plusieurs lignes qui s’affrontent au sein de votre parti, cette motion anti-euro au congrès, qui a récolté 45 % des voix, la position du PG évolue-t-elle aujourd’hui sur la question de l’euro ?

Au PG, 100 % des militants sont contre l’« euro-Merkel ». La plate-forme anti-euro qui s’est exprimée au congrès, a lancé le débat de la sortie sèche ou de la sortie moins sèche. C’est un débat légitime, qui doit déterminer les méthodes pour en sortir. Pour nous désormais, cela a été décidé au congrès, il faut clairement mettre en avant le plan B, qui est une façon d’envisager la sortie de l’euro. Et ce n’est pas un élément clivant. C’est notre scénario depuis 2011, nous sommes totalement rassemblés sur cette question. J’estime, après, que la question du plan B doit être plus mise en avant, mieux expliquée, et particulièrement à la lumière de ce qui vient de se passer en Grèce.

La gauche radicale a-t-elle eu peur d’aborder la question de sortie de l’euro de peur d’être assimilée à l’extrême droite ?

Balivernes… Nous ne fétichisons pas la monnaie, c’est un outil. Nous avons un plan B, et nous l’assumons haut et fort. Mais plus encore que la monnaie, c’est la question de la désobéissance aux traités et donc la sortie du cadre libéral de l’UE qu’il faut envisager. Il faut surtout s’engager dans un processus anticapitaliste, brisant le mur de l’argent, en ne payant pas une grande partie de la dette qui est illégitime. Nous affrontons la finance, ce qui n’a rien à voir avec le capitalisme national que propose le FN et dans lequel les inégalités et les injustices prospèrent toujours, où l’immigré sert de bouc émissaire de façon obsessionnelle, dans le cadre d’une Ve République antidémocratique.

Propos recueillis par Paul Conge


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