Les sociétés par actions simplifiée, un pouvoir de direction masqué (Par Tiennot Grumbach, avocat)

samedi 22 janvier 2011.
 

Comment le capitalisme contourne-t-il les dispositions du droit social ?

L’affaire Molex est encore dans nos mémoires. Aucun motif économique pour l’administration du travail. Pas plus pour les juges saisis du dossier. Pourtant les dirigeants du groupe transnational interrompent le règlement des indemnités du plan de sauvegarde de l’emploi. Le prétexte  : les salariés sont des rebelles sans cause, pour avoir décidé collectivement de saisir les prud’hommes, pour contester celle de leurs licenciements. Quotidiennement de nombreux groupes instrumentalisent pareillement la crise. L’alibi de la sauvegarde de la compétitivité leur sert de paravent pour justifier la délocalisation de pans entiers de notre « patrimoine » industriel.

Ainsi, le 3 décembre 2010, un premier jugement a été rendu par le conseil de prud’hommes de Cherbourg contre la filiale française du groupe Sanmina SCI Corporation. Elle a été condamnée au paiement de six mois de salaire à chacun des 203 demandeurs  : absence de reclassement loyal. Reste que les décideurs échappent à la condamnation alors que ce sont eux qui ont scellé la fermeture du site. Ils en tirent tous les profits tandis que le Pôle emploi en supporte les charges indues.

Cette politique de l’irresponsabilité est revendiquée au nom de l’autonomie de chaque personne morale vis-à-vis d’une autre, même pour les groupes qui contrôlent à 100% des titres et actions de leur filiale comme c’est le cas du groupe Sanmina. La forme d’organisation juridique en société par actions simplifiée (SAS) facilite les licenciements économiques d’apparence. La situation y est souvent une caricature quand les maisons mères décident de tout  ; quand elles assujettissent financièrement leurs filiales et leurs dirigeants sociaux qui ne sont plus que des préposés  ; quand c’est la stratégie du groupe qui impacte la marche générale de la filiale, et notamment l’emploi n’en est qu’une déclinaison qui a été décidée avant même l’information préalable des cadres de direction de la filiale et, bien entendu, des représentants du personnel. C’est pourquoi, dans les SAS, l’apparence peut l’emporter sur la réalité et le président de la société peut ne plus être qu’une marionnette dans les mains du groupe. Il se doit d’appliquer ce qui lui est ordonné à peine de risquer sa propre révocation. L’autonomie des personnes morales qui est supposée être conforme au droit des sociétés n’est plus alors qu’une farce. Dans une telle situation d’assujettissement managérial et financier, la pérennité des sites de production, en France, est nécessairement compromise. La gestion habile de la déclaration de cessation de paiement peut encore réduire les droits des salariés  ; d’autant qu’ils sont alors placés sous la tutelle des tribunaux de commerce et des administrateurs judiciaires et liquidateurs de sociétés. La forme juridique des SAS facilite cette multiplicité d’opérations biaisées  ; successivement ou concomitamment.

Or désormais, en France, les SAS sont devenues la forme juridique dominante de l’organisation du capitalisme financier tant la plasticité de sa gestion favorise toutes les opacités possibles. En s’adossant aux principes libéraux du Code du commerce, ce mode d’organisation juridique du capital permet de contourner les dispositions régulatrices de l’ordre public social. Près de 140 000 SAS sont enregistrées au registre de commerce pour environ 50 000 pour les sociétés anonymes. Cette statistique explique l’orientation d’opportunisme ultralibéral des arrêts rendus ce 19 novembre. Incontestablement ils renforcent « le laisser faire » au mépris du droit de l’emploi.

L’exemple de la fermeture du site de Cherbourg de la société Sanmina France SAS l’illustre. À l’origine il y a un groupe américain qui rachète le site Alcatel de Cherbourg-Tourlaville. La société travaille dans le domaine des hyper-fréquences, en sous-traitance pour les groupes Alcatel-Lucent et Thalès. Trois autres sites ont également été fermés. Ces délocalisations suivent des transferts de production vers des pays à bas coût de main-d’œuvre, en Hongrie, en Thaïlande et en Chine. Dès novembre 2007, la fermeture du site de Cherbourg est décidée par le groupe. Le plan de sauvegarde de l’emploi pour organiser le décrutement est un leurre. Dès la signature d’un accord de méthode, « l’investissement » en « perte d’emplois » y est présenté avec un objectif financier précis  : une ligne budgétée d’un montant de 26 775 132 euros. C’est la somme fixée par le groupe pour financer les mesures d’accompagnement « social », qui sont à distribuer, au fur et à mesure des opérations de fermeture du site.

Avec des syndicalistes et des élus d’institutions représentatives nous voudrions changer de braquet. Il faut désormais faire porter sur les groupes et leurs décideurs la menace crédible de condamnations lourdes quand la désertification de notre tissu industriel et de ses savoir-faire est frauduleuse. Si les motifs retenus par les arrêts du 19 novembre 2010 peuvent réduire la portée des procédures formelles à l’expression des droits de la défense individuelle des salariés, préalablement à la décision de l’employeur, les affaires tranchées par la chambre mixte ne remettent pas en cause cette orientation. Le droit des institutions représentatives et des syndicats n’y était pas soulevé. L’affaire Sanmina France, comme tant d’autres, dans la dernière période, met donc en évidence l’impératif d’actions judiciaires plus audacieuses à l’encontre des décideurs qui ne sont pas les employeurs directs des salariés licenciés. Cette question est déjà posée par la pratique de collectifs militants au sein des groupes de sociétés.

tiennot grumbach


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