Alcatel... Bilan des nuls de l’économie productive

vendredi 24 avril 2015.
 

Après Alstom, c’est donc au tour d’Alcatel d’être abandonné par le gouvernement et le patronat français. L’indépendance du pays ne leur parle pas. Un instrument majeur de savoir-faire et de prouesse technique dans les télécommunications va être pillé. Et cela au moment même où ce domaine d’activité est au centre de l’économie productive moderne.

On voit ce que valent les belles paroles des bavards gouvernementaux et patronaux sur le « redressement productif », « l’innovation » et le reste de leur blabla. Alcatel-Lucent est ce qu’on appelle un « fleuron industriel ». Evidemment, c’est une entreprise capitaliste et j’entends déjà ceux qui vont se gausser, à droite et à gauche, de l’attachement au caractère national d’une propriété industrielle. Pourtant, notre projet politique suppose un haut niveau de capacité technique et productive. Par exemple, on ne fait pas une « économie de la mer » sans brevets et capacité à fabriquer et développer des techniques et des machines. On ne fait aucune transition écologique sans cette capacité-là ! J’entends aussi les ricanements sur l’état actuel de l’entreprise. Bien sûr, les mauvais coups libéraux et des dirigeants incompétents l’ont mise en difficulté, ratant notamment le tournant de l’internet mobile il y a quelques années. Mais sur l’internet fixe, les équipements télécoms, les câbles sous-marins, Alcatel reste une référence mondiale. Tout cela va être dépouillé et dépecé.

Alcatel a été méthodiquement affaibli depuis des années. En fait, pratiquement depuis sa privatisation en 1987. La privatisation c’est toujours le pillage. Alcatel a été un véritable cobaye, victimes de tous les poncifs libéraux. Le résultat est un immense gâchis. Longtemps, plusieurs postes avancés du savoir-faire technique du pays étaient réunis dans un même groupe : la compagnie générale d’électricité (CGE). On y trouvait notamment les futurs Alstom et Alcatel. Cette stratégie de conglomérat permettait une très large emprise industrielle, technique et financière. Elle assurait un équilibre entre différentes branches, l’une compensant les difficultés temporaires de l’autre et inversement. Ce modèle d’entreprise globale fut brocardé quand vint la mode anglo-saxonne de gestion des entreprises. La mine enfarinée, de nombreux petits messieurs-dames de la bien-pensance ironisaient sur ces « entreprises fourre-tout ». Pédants et pontifiants, ils plaidaient pour que chaque entreprise se concentre sur son « cœur de métier ». Une idiotie à l’époque où les savoirs faire techniques sont extrêmement transversaux et solidaires mais où les marchés où se font les débouchés ne le sont pas, les uns à la hausse et les autres à la baisse selon les moments. On devine que les refrains sur le « cœur de métier » permettaient de juteuses cessions où toutes sortes d’intermédiaires se gavaient. Cette stratégie « globale » a donc été abandonnée à la CGE. Commence alors la filialisation et la vente de pans entiers de cet ensemble industriel : chantiers de l’Atlantique, activités de câbles filialisées puis abandonnées sous le nom de Nexans, séparation d’avec Alsthom en 1998 etc. À la fin, Alcatel s’est retrouvé isolée au moment d’affronter le tournant d’Internet et des téléphones mobiles, face à une révolution industrielle gigantesque pour les télécoms. Le savoir-faire des ingénieurs, techniciens et ouvriers hautement qualifiés français a permis au groupe de se maintenir en haut encore quelques années.

Mais le dogmatisme libéral a plongé le groupe dans des difficultés immenses. Après les délires sur le « cœur de métier », Alcatel a été un laboratoire du « fabless », cette idéologie qui veut qu’une entreprise n’ait pas d’usine. Seulement des financiers, des commerciaux et des chercheurs. Le rêve libéral. Le désastre industriel assuré. Le remplacement progressif des ingénieurs et des productifs dans la chaine de direction au profit des petits génies de la finance et de la vente a provoqué des catastrophes en série, comme le ratage du passage à l’Internet mobile, sur téléphone portable. A cette courte vue organique s’est ajoutée une stratégie désastreuse. Ainsi avec la fusion catastrophique avec l’américain Lucent. A l’époque, Alcatel était encore un leader mondial du secteur. La fusion devait donner naissance au nouveau numéro un mondial des télécoms. Le bilan a été un fiasco total : près de dix ans de pertes financières presqu’ininterrompues, des ingénieurs et des productifs toujours plus marginalisés dans la direction, des Français systématiquement placardisés au profit des Etats-Uniens, des emplois supprimés par milliers. Alcatel a été annexé méthodiquement par le nord-américain Lucent qu’il avait pourtant acheté bien mal en point. Puis le gouvernement a refusé le prêt auprès de la Banque publique d’Investissement que l’entreprise demandait. Alcatel a donc emprunté à la banque Goldman Sachs. En échange du prêt, la banque a exigé de prendre en gage les 27 000 brevets possédés par l’entreprise, somme du génie technique français. La finance a colonisé l’entreprise. Un énième plan de restructuration (plan « Shift ») a été lancé en 2013. Il a quasiment permis à Alcatel de revenir à l’équilibre financier mais au prix de 700 suppressions d’emplois supplémentaires en France et de la vente de plusieurs actifs prétendument « non stratégiques », selon le blabla opportuniste sur le « cœur de métier ». C’est-à-dire d’un nouvel affaiblissement.

Nokia s’est donc jeté sur une proie facile. Alcatel est dans le rouge financièrement alors que Nokia a des réserves après avoir vendu sa branche « téléphone mobile » à Microsoft. Oxygène provisoire. Car entendez bien que le chiffre d’affaire d’Alcatel est supérieur à celui de Nokia. Entendez que l’entreprise n’a pas de problème de niveau technique dans son domaine, tout le contraire. Il s’agit « juste » d’une question de capital disponible ! Sur ce plan, Alcatel est affaibli au point que le directeur-général Michel Combes a préféré que la totalité de l’entreprise passe sous contrôle de Nokia là où le finlandais voulait au départ en racheter seulement une partie. Mais Alcatel n’aurait pas survécu à cette amputation supplémentaire. Le directeur-général le dit dans Le Monde : « seul nous n’avions pas les moyens financiers pour investir, ni la taille critique nécessaire à faire des économies d’échelle indispensable pour assurer notre compétitivité dans le secteur ».

L’humiliation ne s’arrête pas là pour les salariés d’Alcatel et pour les défenseurs de l’indépendance technique de notre pays. Il faut boire le calice jusqu’à la lie. On apprend ainsi que Philippe Keryer, directeur de la stratégie et de l’innovation d’Alcatel-Lucent est le chef de projet du plan « Souveraineté télécoms » du gouvernement, au titre de l’un des 34 plans industriels lancés par Montebourg. Défense de rire. Le plan « souveraineté télécoms » du gouvernement français sera bientôt piloté par le salarié d’une entreprise étrangère, plus encore que ne l’était déjà Alcatel sous tutelle de Lucent. Ce n’est pas tout. Le directeur des lignes de produits de Nokia qui a participé aux discussions sur la fusion et préparé l’intégration opérationnelle est … un Français. Pire, c’est un ancien d’Alcatel éjecté par Lucent et récupéré par Nokia. La honte ! Dans le même ordre d’idée, Michel Combes, le directeur-général d’Alcatel-Lucent, affirme au Monde qu’il y a plus de directeurs français que finlandais chez Nokia ! Cette information est censée nous rassurer. C’est juste une peine de plus que de voir que tant de gens compétents ont préféré fuir chez Nokia que travailler en France pour Alcatel. Il y avait donc des compétences pour relever ce fleuron national ! Enfin, le même Michel Combes a répété que la fusion ne remettait pas en cause le projet d’abandon de la filiale d’Alcatel pour les câbles sous-marins envisagée depuis des mois. C’est un joyau de niveau mondial. Il a précisé que cette filiale a « vocation à poursuivre son projet à l’extérieur de Nokia » mais que « la modalité n’est pas encore arrêtée ». Bla ! Bla ! Ils vont piller ! Les rumeurs font état d’une probable introduction en bourse. Le carnage est garanti. Une longue chaîne de prétentieux et de bavards, qui nous regardaient de haut nous ont donné des leçons de « modernité » et de « réalisme entrepreneurial » et autres salades, ont tout détruit, tout ruiné et sont partis les poches pleines. Les mêmes à présent vont nous faire encore la leçon et nous parler de « patriotisme économique européen » plutôt que national comme l’a déjà récité cet aigle de député Da Silva, bras droit de Manuel Valls. Les liquidateurs de ce pays ne parlent plus que la langue de la finance ils pensent et rêvent de même. Un patriotisme européen ! Ben voyons ! Le patriotisme d’amour pour la banque centrale indépendante, la règle des 3% le traité budgétaire, la punition de la Grèce et de Chypre et ainsi de suite ! Noble espérance ! Vaste passion. Si c’était vrai pourquoi ne pas avoir vendu Alstom à Siemens ? Parce qu’il y avait une limite à l’indécence. Dorénavant elle est franchie.


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