Le stalinisme au-delà de la démonologie (par Domenico Losurdo)

dimanche 10 avril 2011.
 

Pour le philosophe italien Domenico Losurdo, la construction d’une analogie entre Staline et Hitler vise à escamoter le rôle des régimes capitalistes dans la montée du nazisme.

Staline. Histoire et critique d’une légende noire, de Domenico Losurdo. Éditions Aden, 2011, 531 pages, 30 euros

Domenico Losurdo, fort de ses recherches et de ses réflexions antérieures sur la pensée libérale et sur le révisionnisme en histoire, entame une nouvelle étape dans sa démystification des constructions idéologiques dominantes. Sans avoir la moindre mansuétude pour les diverses répressions que Staline a menées de longues années durant, Losurdo, à travers ce Staline. Histoire et critique d’une légende noire, s’intéresse à la figure historique du dirigeant soviétique en tant que cette dernière est organisatrice de tout un discours sur le XXe siècle et l’expérience de construction du socialisme. Un discours hégémonique qui, bien que se voulant « historique » et « critique », relève plus de la démonologie selon la démonstration de Losurdo.

Toute démonologie a nécessairement besoin d’un mal suprême et, en Occident, ce rôle est tenu depuis la Seconde Guerre mondiale par le nazisme et par Hitler. La construction d’une démonologie autour de la figure de Staline doit donc passer par la mise au point d’un système d’analogie entre stalinisme et nazisme, soit entre Staline et Hitler, ce que Losurdo appelle une reductio ad hitlerum. En revenant sur la famine en Ukraine durant la collectivisation forcée - qualifiée trompeusement de « génocide » -, sur la politique de Staline envers les juifs et Israël ou sur la réalité sociale et politique du goulag, l’auteur démontre le fossé qui sépare les politiques stalinienne et hitlérienne. Plutôt que de chercher une éventuelle gémellité entre les camps d’extermination nazis et le goulag soviétique, il semble plus fécond de rapporter le racisme impérialiste et antisémite du nazisme à ses antécédents occidentaux. Du lynchage des Noirs afro-américains à la destruction des Herrero par les troupes du Kaiser en 1904, c’est auprès des régimes capitalistes libéraux que le nazisme a emprunté toute une palette de pratiques répressives, voire exterminatrices. Or la reductio ad hitlerum pratiquée aujourd’hui vise justement à escamoter le rôle historique de l’Occident libéral, réduit au rôle du « tiers absent ».

Le livre est moins convaincant lorsqu’il propose une relecture de l’histoire du socialisme en l’URSS sous Staline comme « processus d’apprentissage laborieux et inachevé », même si l’on conviendra que cette clé interprétative semble plus pertinente que celle de « trahison ». Par ailleurs certains des développements historiques du livre sur l’opposition au sein du parti bolchevique sont très contestables. Quoi qu’il en soit, ils participent à la richesse d’un livre dont l’une des qualités est assurément d’inciter à la réflexion sur une question dont il est toujours nécessaire de dénouer l’écheveau.

Baptiste Eychart


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