« Qu’est-ce que la politique ? Voter tous les cinq ans ?... »

jeudi 3 janvier 2013.
 

La rencontre entre Maryse Dumas syndicaliste, ancienne dirigeante confédérale de la CGT. Robert guédiguian cinéaste.

Vous cosignez le livre Parlons politique (1), qui vient 
de paraître, où vous croisez vos vues sur la question 
de l’engagement. Qu’est-ce qui vous a conduit à engager 
cette conversation ?

Robert Guédiguian. La chose qui me gêne le plus depuis dix, quinze ans peut-être, c’est que je crois que des tas de gens sont d’accord en France sur le fond, mais la forme de leur expression a disparu. Il faut absolument penser à comment reconstituer un espace où toutes ces paroles, qui sont d’accord sur le fond, puissent se fédérer à nouveau et redevenir une force qui compte. Ce type de livre, visant à faire parler des gens qui sont des citoyens, pas forcément des hommes et des femmes politiques, peut déjà constituer un espace. Cela a à voir bien sûr avec l’élection présidentielle, mais c’est plus large. Pour moi, c’est comme si l’idée communiste s’était dissoute dans un verre d’eau, le verre étant la société  : elle n’a donc pas disparu, elle y est sous une autre forme. Mais si on ne la réunit pas, si elle ne reprend pas une forme dure et compacte, elle n’a pas l’efficacité qu’elle pourrait avoir.

Maryse Dumas. Dès la première rencontre, avec Robert, on s’est dit qu’on avait la même idée, sur la question de l’engagement  : le problème, c’est qu’il y a une rupture générationnelle. Le livre arrive dans un moment particulier, celui de la présidentielle. J’interroge  : c’est quoi la politique  ? Est-ce mettre un bulletin de vote tous les cinq ans et attendre les cinq ans suivants qu’on puisse changer  ? Ou s’en mêler, tous et toutes, au quotidien, dans les multiples actions qu’on peut mener, le bulletin de vote n’étant qu’un des aspects, et peut-être pas l’aspect le plus primordial, de l’acte politique  ? Si ce livre, les débats qu’il peut susciter aident à ce que cette période particulière ne soit pas phagocytée par la question  : quel bulletin mettre dans l’urne  ? et qu’au contraire, on s’interroge  : que fait-on, d’ores et déjà, là où on est, pour que les choses changent vraiment  ? alors c’est gagné.

Si vous deviez rajouter un chapitre aujourd’hui à votre livre, compte tenu de l’actualité depuis qu’il a été fait, notamment des révolutions arabes, des mouvements des Indignés, sur quoi auriez-vous envie d’insister ?

Maryse Dumas. Ce qui se passe en Europe, en Espagne, en Italie, en Grèce, l’évolution arabe, le mouvement en Israël, ou même les grèves de travailleurs en Chine, me fait penser qu’on est peut-être en fin de cycle du point de vue de la domination libérale, et que peut-être quelque chose d’autre commence. Je sais que rien ne se fait sans l’action militante  : à partir de cet espoir nouveau, comment se mobilise-t-on les uns et les autres pour mener la bataille des idées et démonter ce qu’on nous présente comme étant la règle d’or de la seule loi possible  : se soumettre aux marchés financiers au détriment de nos emplois, notre niveau de vie  ? Il faut des luttes partout, dans les entreprises, les localités. Il faut aussi plus d’organisations, syndicales, politiques, associatives. Il faut prendre la parole partout, et pour cela, il y a besoin de lieux, d’organisations. Il faut, partout, des collectifs, qui soient l’émanation d’un peuple qui refuse de se laisser faire, veut prendre la parole et le pouvoir, dans les urnes, mais pas seulement.

Robert Guédiguian. Les révolutions arabes de ce printemps, c’est la plus belle chose de ce début de siècle. Ça démystifie tout ce que de méchantes langues ont voulu dire sur des soi-disant incompatibilités entre telle ou telle religion et la démocratie. Ça contredit aussi l’idée qu’on fait la révolution à la place des gens. Ce qui est très enthousiasmant dans ces révolutions arabes, c’est qu’elles se sont faites de l’intérieur, par les peuples arabes eux-mêmes. Le mouvement des Indignés, début d’une reprise de parole, nous interroge beaucoup  : comment organiser cela  ? Sachant qu’il y a chez les jeunes une méfiance obsessionnelle de toute organisation. Moi qui n’ai pas peur des organisations, qui pense qu’il en faut, mais qu’il faut peut-être réinventer la forme, je me dis  : si ces jeunes pensent cela, il doit y avoir des raisons, il faut les écouter, en tenir compte. Quand je les regardais, se réunir en assemblée générale, c’était parfois avec un sourire un peu amusé  : c’est un peu comme si on repartait à zéro, oubliant deux siècles de luttes, d’acquis intellectuels, théoriques. Les Indignés, pour moi, c’est un début encourageant, qui veut dire que les gens n’en peuvent plus, mais nous avons à charge, par rapport à ça, de faire un effort intellectuel énorme. Il faut qu’on réanalyse de manière critique ce qu’on a fait pendant deux siècles, et que, à partir de là, on arrive à formuler des propositions. Le chantier est immense mais enthousiasmant.

Comment sentez-vous cette campagne présidentielle à gauche ?

Robert Guédiguian. J’ai écouté le débat à la télévision sur la primaire socialiste. C’est étrange  : il y a peu de différences entre eux. Cette espèce de joute à fleurets mouchetés où personne ne se critique... J’ai lu, dans le Monde, un texte d’Arnaud Montebourg sur la démondialisation, je voulais lui téléphoner pour lui demander pourquoi il est toujours au PS... Sur ces bases-là, ça me ferait plaisir que Montebourg rejoigne le Front de gauche. Mais c’est vrai que je pensais ça de Benoît Hamon aussi... En fait, j’ai toujours pensé, souhaité que le PS se coupe en deux. Mais il est encore en train de faire «  la synthèse  », comme disait Hollande.

Maryse Dumas. Cinq millions de personnes ont regardé l’émission de l’autre soir. Cela m’a scotché et fait plaisir en même temps  : notre peuple n’est pas dépolitisé. Sur le principe, pour moi, les primaires sont un signe de l’affaiblissement de la forme parti. Au fond, de Gaulle a réussi  : il a créé l’élection du président au suffrage universel parce qu’il voulait affaiblir les partis politiques. Le rouleau compresseur qui est en train de se mettre en place depuis un bout de temps participe de cela. Le principe des primaires pousse à une personnalisation incroyable de l’élection présidentielle. Alors qu’on nous présente ça comme un bond en avant dans la démocratie, je pense que c’est un bond en arrière  : sous couvert de consulter davantage, au-delà des partis, cela décrédibilise la fonction des organisations politiques et, au final, cela cultive la monarchie républicaine.

C’est vrai que, comme le dit Robert, les jeunes ont du mal à s’organiser, parce qu’ils estiment qu’en s’organisant ils perdent une partie de leur individualité. Mais d’un autre côté, quand on est des individus isolés, avec pour seul moyen de s’exprimer le bulletin de vote une fois tous les cinq ans, on se fait complètement avoir. Qu’il y ait des exigences pour que les organisations soient démocratiques, permettent le plein épanouissement des opinions personnelles, des individus, des personnalités, oui. Mais penser qu’on est plus libre quand on est seul et en dehors de l’organisation, non.

(1) Éditions Arcane 17. Entretiens conduits 
par Stéphane Sahuc.

Compte rendu de Yves Housson


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