Comment financer la révolution sociale et écologique

mercredi 25 avril 2012.
 

130 milliards d’euros, tel serait le coût de l’ensemble des mesures que souhaitent mettre en œuvre Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche. Suppression des niches fiscales, augmentation des impôts pour les plus fortunés, emprunt auprès de la Banque de France, mais aussi aide aux PME pour amortir le coût d’un Smic à 1 700 euros… Jacques Généreux, secrétaire national du Parti de Gauche à l’Economie a répondu aux questions du magazine Basta !

Basta ! : Vous affirmez que le programme du Front de gauche ne va pas coûter d’argent aux citoyens français, et qu’il va même rapporter de l’argent à l’État. Comment est-ce possible ?

Jacques Généreux [1] : L’Institut de l’entreprise [2] – qui ne travaille pas spécialement pour le Front de gauche – estime que notre programme coûte 130 milliards. Comment le finance-t-on ? Les niches fiscales et sociales d’abord : elles représentent 145 milliards d’euros d’exonérations fiscales et 28 milliards d’exonérations de cotisations sociales, soit 173 milliards par an qui manquent aux ressources publiques. L’Inspection générale des finances estime que la moitié des exonérations fiscales n’a aucun impact sur l’emploi. Cela ne sert à rien, sauf à ceux qui en bénéficient. On peut donc récupérer au total entre 100 à 120 milliards d’euros, qu’on ne prend ni dans la poche des Français ni sur l’investissement : cela s’accumule juste dans le patrimoine privé improductif, immobilier et financier, des plus riches ou des banques.

Ensuite, le mode choisi pour financer la dette – par emprunt sur les marchés financiers – coûte 50 milliards d’intérêts par an à la France. 50 milliards qui vont nourrir les banques et les marchés financiers juste parce qu’on adopte ce circuit de remboursement de la dette. Si on se finançait auprès d’une banque centrale à 0 %, cela coûterait juste quelques milliards. Nous proposons aussi une réforme de l’impôt sur le revenu, avec 14 tranches, jusqu’à 100 % d’imposition quand on atteint 20 fois le revenu médian pour une personne [3]. Cette réforme rapporte 20 milliards d’euros. Nous proposons aussi des contributions fiscales nouvelles, par exemple sur leurs revenus financiers pour les entreprises. Au total, 200 milliards d’euros de ressources nouvelles peuvent être mobilisées progressivement pour financer nos propositions. Sans que cela coûte un centime à 95 % de la population française.

En comparant avec la politique actuelle, cela relativise le coût des programmes. Aujourd’hui, la politique fiscale de Nicolas Sarkozy coûte presque 300 milliards d’euros par an à la France [4]. Et dépensés pour quoi ? Rien. Juste 500 milliards de dettes supplémentaires depuis quatre ans. Et moins de services publics, le déremboursement des médicaments, moins de sécurité avec la réduction des effectifs de policiers qu’on ne peut plus payer… Notre programme est le seul qui dégage des marges de manœuvre colossales et qui permettent de réduire la dette publique. Avec 130 milliards d’euros investis, vous avez 200 000 logements par an, 500 000 places dans les crèches, la relance du secteur des énergies renouvelables, la relance globale de l’activité et de l’emploi, le remboursement des dépenses de santé à 100 %. Sans que cela ne coûte rien aux Français.

Vous souhaitez nationaliser les grandes entreprises du secteur énergétique, Total, EDF, Areva. Combien cela coûtera-t-il ?

Jacques Généreux : Environ 140 milliards, si on se réfère aux conditions d’indemnisation pratiquées en 1981. L’Institut de l’entreprise l’estime à 102 milliards pour Total et à une quarantaine de milliards pour Areva, EDF et GRDF. On peut aussi revendre des activités internationales de Total pour alléger considérablement le coût de la nationalisation. La pratique consiste aujourd’hui à indemniser l’actionnaire de la valeur de son action sur les marchés, mais aussi de la « perte potentielle » de profit sur ses revenus futurs. Cela peut entraîner des coûts d’indemnisation assez faramineux. On pourrait simplement rembourser aux gens ce que cela leur a coûté. Il faudrait mener une réflexion sur le sujet, avec éventuellement une réforme constitutionnelle : une démocratie ne peut se faire imposer par les marchés la définition de ce qu’est une juste indemnisation. Une autre méthode consiste à prendre le contrôle partiel des entreprises, de manière à avoir une minorité de blocage. Ce qui permet de bloquer la distribution de dividendes. Alors, la valeur de marché s’effondre, et vous pouvez acheter l’entreprise pour presque rien. Vous faites une offre aux actionnaires : on continue jusqu’à ce que l’action vaille zéro, ou vous nous donnez vos actions pour 10 % de leur valeur. C’est une méthode qui joue avec les règles du capitalisme pour en tirer le meilleur usage.

Et comment se fait le retour sur investissement d’une nationalisation ?

Jacques Généreux La nationalisation de Total coûtera 10, 20 ou 40 milliards, selon la manière dont on le fait. Total a réalisé l’an dernier 12 milliards d’euros de bénéfices, dont 5 milliards distribués en dividendes. Dépenser même 100 milliards pour acheter Total, en échange de 12 milliards de bénéfices par an pour la collectivité, ce serait un bon investissement, remboursé en sept ou huit ans par le rendement de son activité. Et cela permet d’avoir une politique énergétique indépendante et d’opérer une conversion écologique.

Envisagez-vous une nationalisation des banques, selon quelles modalités et à quel coût ?

Jacques Généreux Nous voulons mettre en réseau, au sein d’un pôle financier public, les banques publiques existantes et des banques de type coopératif ou mutualiste. Ce n’est pas un pôle « étatique », nous ne sommes pas pour la nationalisation intégrale de l’ensemble du système bancaire. Il faut éviter les situations de monopole ! Et nous n’avons pas l’intention de faire un cadeau au capitalisme en nationalisant des banques privées au prix fort : il ne faudrait nationaliser que des banques en difficulté financière, au moment où cela ne coûte presque rien.

Quand une banque privée est en difficulté à cause de la crise financière, à cause de ses opérations de spéculation, il ne faut pas chercher à sauver les actionnaires. Ni empêcher la faillite de la banque au sens juridique du terme, c’est-à-dire la faillite de la société de capitaux à l’origine de cette banque. Les capitalistes ont joué, ils ont nommé des conseils d’administration qui ont spéculé, ils ont perdu. Eh bien, qu’ils perdent ! C’est d’ailleurs la règle et la morale du capitalisme. Nous les laissons perdre, mais nous sauvons en revanche les emplois des banques et les dépôts des épargnants. L’État reprend à sa charge la garantie des engagements et des dépôts. Comme ces banques privées ne valent plus rien, le secteur public bancaire peut alors s’étendre de manière peu coûteuse.

L’intérêt d’un pôle public bancaire – composé de banques qui n’ont plus le souci de la rentabilité financière – est de pouvoir mener des politiques publiques du crédit. Si une banque publique se refinance à des taux de 1 % auprès de la Banque centrale européenne, elle peut prêter à 1 % pour l’aménagement du territoire, pour des collectivités locales, pour des investissements dans les énergies renouvelables… Ces politiques permettront d’avoir du crédit pas cher là où c’est vraiment urgent socialement et écologiquement.

Le Front de gauche propose de faire passer progressivement le Smic à 1 700 euros. Comment les PME pourront-elles supporter une telle mesure ?

Jacques Généreux La question est plutôt : est-ce vraiment possible de continuer à payer des salariés à un niveau qui ne leur permet pas de vivre décemment ? Pour les 20 % des ménages les plus pauvres, l’ensemble des dépenses contraintes (loyer, électricité, transports…) représente 75 % du budget. Combien leur reste-il sur un Smic à 1 090 euros net ? Il faut sortir de cette situation intenable. Et le Smic à 1 700 euros est parfaitement réaliste d’un point de vue macroéconomique. Cela peut présenter des difficultés pour les entreprises de 20 à 50 salariés – qui emploient 60 % des salariés payés au Smic – mais nous ferons en sorte que ça ne leur coûte rien. En même temps que la hausse de Smic, nous assurerons un transfert fiscal et social entre les grandes entreprises et les petites entreprises : en supprimant les niches fiscales, dont une partie profite exclusivement aux grandes entreprises, nous allons récupérer au moins 100 milliards d’euros, et en faire profiter les petites entreprises avec des allègements sur l’impôt sur les bénéfices ou les cotisations sociales.

Ensuite, l’ensemble des PME seront dans un nouveau cadre économique. Le programme du Front de gauche vise à relancer massivement l’activité et l’emploi, avec la construction de logements, l’investissement dans les énergies renouvelables, les mises aux normes écologiques de l’habitat ancien, l’investissement dans la recherche… Grâce à ces énormes moyens – tous financés –, au lieu d’être dans une logique d’austérité comme aujourd’hui, nous serons dans une logique de reprise de l’activité et de l’emploi. L’augmentation du pouvoir d’achat entraînera un soutien de l’activité. Les PME auront de nouveaux débouchés, et bénéficieront d’une politique de crédit à taux réduit. Tout cela crée un contexte extrêmement favorable. Au bout de quelques années, elles seront tout à fait capables d’assumer le nouveau coût du travail.

Récupérer 100 milliards d’euros sur les niches fiscales, supprimer des exonérations de cotisations patronales… avec en plus l’augmentation du coût du travail, n’y a-t-il pas des risques de délocalisations d’entreprise ?

Jacques Généreux Seulement 8 à 10 % des salariés des très grandes entreprises sont payés au Smic. Une augmentation de 20 % du Smic – à 1 700 euros brut dans un premier temps, comme nous le proposons –, cela représente entre 0,5 et 1,5 % d’augmentation du coût de la masse salariale. Un tout petit choc que ces entreprises ont les moyens de supporter ! C’est une goutte d’eau dans l’océan des revenus transférés vers les profits de ces grandes entreprises. Est-ce une incitation à délocaliser ? Non. Et les postes payés au Smic sont principalement des emplois non-délocalisables. Dans les entreprises qui sont en compétition sur le marché mondial, seuls 5 % des salariés sont payés au Smic. L’essentiel des emplois au Smic se trouve dans les services, non délocalisables.

La hausse du Smic ne dissuadera-t-elle pas l’embauche de travailleurs peu qualifiés, car leur salaire deviendrait proche de celui de salariés plus diplômés ?

Jacques Généreux Nous espérons que la hausse des salaires ne concerne pas seulement les 3,4 millions de salariés au Smic, mais aussi les 3 millions de salariés qui gagnent un peu plus que le Smic. Donc les effets de substitution n’existent pas, car tous vont voir leurs salaires augmenter. Cette objection pourrait être pertinente dans un contexte de pénurie d’activité : vous devez choisir qui vous gardez ou qui vous embauchez, et quitte à payer cher les salariés, autant privilégier des gens plus qualifiés. Mais quand vous êtes dans une dynamique de croissance, vous avez besoin des gens qui sont aujourd’hui salariés aux Smic. On ne peut pas juger de cette mesure – comme d’autres d’ailleurs – indépendamment de l’ensemble du programme et du contexte économique dans lequel il place les entreprises.

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