Les terribles aveux de Jérôme Cahuzac

vendredi 25 janvier 2013.
 

Le ministre du budget Cahuzac a le ton impudent qui sied aux puissants persuadés que leurs actions accompagnent irrésistiblement la marche de l’Histoire. Jérôme Cahuzac me fait penser au banquier libéral Jacques Laffitte ; celui qui conduisit en triomphe le duc d’Orléans à l’Hôtel de ville après la révolution de 1830. « Maintenant le règne des banquiers va commencer » révéla-t-il tout à trac. Karl Marx remarque ironiquement que Laffitte venait de trahir le secret de cette révolution libérale (Les Luttes de classe en France, 1850).

Le Peter Mandelson français

Dans son débat télévisé qui l’opposait à Jean-Luc Mélenchon sur France 2 le 7 janvier 2013, l’ex-strauss-kahnien se félicita que son opposant ait par défaut accepté de classer le social-libéralisme à gauche. D’autres sociaux-libéraux en vue du PS se seraient bien gardés d’une telle provocation gratuite. A ce jour, la tête de l’exécutif et la direction du PS récusent le vocable de « social-libéral » pour qualifier leur action politique. Pour la plupart des dirigeants socialistes, il existe à gauche un code de conduite, des symboles et une histoire qu’il convient de ménager.

M. Cahuzac, bien qu’idéologiquement en phase avec ses collègues, ne s’embarrasse pas de ces bonnes manières. En cela, il me rappelle Peter Mandelson, architecte et réalisateur des basses œuvres du blairisme ; celui qui un jour déclara à des journalistes : « Je n’ai rien à reprocher aux riches qui s’en mettent plein les poches », ou qui affirma encore que le New Labour n’était qu’une variante du thatchérisme. Il s’agissait d’un secret de polichinelle, mais le dire en public fut jugé de mauvais goût par les plus néolibéraux des ministres blairistes.

Il faut bien prendre la mesure du ministre Cahuzac : il n’a pas été placé à un poste aussi stratégique par hasard. Ses sorties médiatiques et ses incartades ne sont pas fortuites. Si ce néolibéral auto-proclamé dérangeait, on lui aurait intimé de se taire depuis longtemps. Cahuzac est de ces hommes qui travaillent avec zèle la structure et la superstructure dans le champ politico-médiatique. Lorsque le ministre aborde la réforme des impôts – souhaitée « juste » et « ambitieuse » par le candidat Hollande - il met les pieds dans le plat. « Elle est faite », assène-t-il sur un ton martial devant un Mélenchon estomaqué. Cuistre à toute épreuve, il ajoute à l’endroit de son interlocuteur : « Vous avez l’air de penser que c’est une réformette. Je ne le pense pas. »

Il fallait oser et Cahuzac a osé avec un aplomb inouï. Le néolibéralisme sarkozyste avait abaissé le taux marginal de l’impôt de 52,75% à 41% ; voici que la gauche hollando-cahuzacienne le fait courageusement remonter à 45%. Le Medef est éreinté et la justice fiscale promise est établie : fermez le ban !

L’air confiant des demi-habiles

M. Cahuzac affiche cet air confiant qui est la marque des demi-habiles. Mais, bien entendu, le demi-habile n’est que partiellement habile. Alors que le débat touche à sa fin, le ministre se veut plus « moderne » que jamais : « C’est notre principale divergence : la lutte des classes, vous vous y croyez toujours. Moi, je n’y ai jamais cru. » Mélenchon, choqué par l’énormité de ce qu’il vient d’entendre, lui demande de confirmer le propos. Imperturbable, Cahuzac répète : « Jamais ».

Je le suggérais plus en avant, c’est à ce type de déclaration outrancière et ignorante d’un point de vue historique, sociologique et économique, que l’on reconnaît les idéologues purs du blairisme. Interviewé sur la Chaîne parlementaire, le 12 février 2012, Michel Rocard, s’en prit « au pouvoir des banques ». Dans une diatribe contre le capitalisme, il plaida pour le plafonnement des rémunérations des grands patrons, la séparation des activités de dépôt et de spéculation des banques, la déconnexion avec les paradis fiscaux et la suppression des stocks options. « Vous êtes nombreux à m’avoir pris pour un socialiste de droite hein ? »,plaisanta-t-il devant la caméra. « Il faut casser l’intérêt bancaire », poursuivit-il. « Ça va être la lutte des classes ! »

Diantre ! Même Michel Rocard reconnait l’existence de la lutte des classes ! Quant au Medef et aux patrons du CAC 40, ils la font et la pratiquent chaque jour depuis l’élection de François Hollande. Ils ont déjà remporté des victoires retentissantes sur le salariat, leur ennemi de classe. Au nom de la fumeuse et néolibérale notion de « compétitivité », des dizaines de milliards ont été accordés par le gouvernement aux entreprises.

Pour dompter la crise du capitalisme selon les intérêts de leur classe, les possédants ont organisé la financiarisation de l’économie qui a abouti à la crise financière. Pour juguler cette crise financière, la classe possédante a sauvé les banques en ayant recours à un apport massif d’argent public qui a provoqué la crise de la dette publique. Pour résoudre la crise de la dette publique, elle a engagé les politiques d’austérité supportées par le salariat. La lutte des classes n’a jamais été intense qu’aujourd’hui. Comme l’a reconnu Warren Buffet, « la lutte des classes existe, et c’est la mienne, celle des riches, qui la mène et qui est en train de la gagner. »

Les luttes de classes sont consubstantielles aux rapports sociaux. Elles ont préexisté au capitalisme, mais ont redoublé d’intensité avec l’établissement du mode de production capitaliste. Dans ce dernier, les forces de production sont inégalement réparties entre les classes. Les rapports de production qui déterminent les rapports des classes entre elles sont inégalitaires du point de vue de la propriété, du pouvoir au sein du processus de production et du point de vue de la répartition des richesses produites. La paupérisation croissante résultant de cette exploitation alimente la lutte. Pour Marx, le sentiment d’appartenance à une classe et la prise de conscience de ce qui la sépare des autres classes sont les conditions qui permettent d’agir pour faire évoluer la société vers davantage de justice sociale.

Une enquête de l’IFOP pour L’Humanité publiée en janvier 2013 montre que 56% des Français (contre 35% d’un avis contraire et 9% qui ne se prononcent pas) ont le sentiment d’appartenir à une classe sociale. 64% des Français estiment que la lutte des classes existe ; 25% n’y croient pas et 11% sont sans opinion. Quel démenti cinglant pour ce ministre prétendument omniscient et réaliste !

Les aveux tonitruants de Jérôme Cahuzac sont effroyables. La quasi-absence de réaction à gauche ne l’est pas moins. Cette parole autorisée est bien évidemment tendancieuse au possible : nier la lutte des classes, c’est nier la conflictualité des rapports sociaux ; c’est s’accommoder des plus graves inégalités économiques. Avec Cahuzac, on sait à quoi s’en tenir.


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