Jour sombre. Fête au MEDEF

mercredi 23 janvier 2013.
 

C’est un jour sombre que celui de cet « accord » dit de « Wagram ». Le prétendu « compromis historique » annoncé avec emphase par François Hollande au cours de sa première conférence de presse de l’Elysée a fonctionné comme un traquenard. Il est quasiment hors sujet de la question de la fameuse « flexisecurité » et personne n’aura l’audace de prétendre qu’il soit de nature à faire créer un seul poste de travail dans le pays. Par contre c’est une nouvelle étape cruciale dans le démantèlement de l’ordre public social et le renversement de la hiérarchie des normes sociales. Mais les députés ont le dernier mot. C’est leur vote qui décide. Ceux de gauche sont mis au pied du mur. Ici je ne vais pas commenter tous les articles. A cette heure je n’en ai pas assez lu et je n’ai pas pu assez consulter pour le faire. Mais j’aborde a partir d’exemples pourquoi tout cela est condamnable.

Ce fut donc une séance de dépeçage d’acquis sociaux « en échange » d’espérances fumeuses. Le tout est absolument infesté de la doctrine de la politique de l’offre : il s’agit de produire à flux tendu et au moindre prix en n’assumant aucune des conséquences sociales de ce choix pour la société. Ainsi quand on apprend que le CDD de moins d’un mois sera taxé pour être moins avantageux et que ceci ou cela est donné « en échange » je suis dégouté deux fois. D’abord parce que le CDD de moins d’un mois était autrefois interdit. On aurait pu espérer d’un gouvernement de gauche qu’il rétablisse une telle interdiction. Ensuite parce que le CDD de moins d’un mois est une perturbation pour toute la société et pas seulement pour les salariés concernés. En effet un tel CDD génère des coûts particuliers sur les comptes sociaux. D’où tient-on que l’affaiblissement d’une nuisance s’échange contre une concession prise à ceux qui la subissent ? Cet exemple montre les pièges du vocabulaire et de la perte de vue de l’ensemble des questions posées si on se laisse aller. Il en va de même sur l’accès de tous les salariés à « une assurance complémentaire » qui nous est présenté comme une concession. Depuis quand le recours aux assurances privées est-il devenu une revendication salariale ? Les quatre milliards que cela « coûtera » vont aller dans les compagnies d’assurance. La revendication des fondateurs de la sécurité sociale c’était plutôt que son fonctionnement et ses prestations soient étendus. Là encore comme pour la taxation des CDD, ce n’est pas parce que le négociateur d’un syndicat a concentré toute l’attention sur ce point qu’il est central ou même que la notion si trompeuse de « donnant donnant » doit s’appliquer.

J’ai pris la question de la précarité en commençant mon propos pour illustrer ce besoin de prise de hauteur sur l’ensemble de la discussion. Mais aussi pour rappeler que le programme « L’humain d’abord » prévoyait un tout autre chemin à propos des emplois précaires. Car la précarité est une question politique. Parce que la précarité est d’abord et lourdement féminine dans sa composition genrée. A l’inégalité qui est ainsi soulignée s’ajoute l’impact social : les femmes concernées ont en charge des familles qui dépendent parfois entièrement d’elles. Ensuite les salariés précaires représentent une masse immense transversale a travers tous les niveaux de qualification et de salaires. Sa situation est un des facteurs les plus notoires de l’instabilité de la consommation qui est le moteur numéro un de l’activité du pays. Les précaires ne peuvent ni correctement ni responsablement consommer du fait de l’incertitude de leur revenu. Ils ne peuvent prétendre ni aux prêts ni parfois au logement. De plus quand le code du travail est respecté, il l’est des fois tout soudain, alors c’est l’objet du travail qui est précarisé. Car les précaires enchainent dans un même poste et une même entreprise des dizaines de contrats successifs. On vient de voir ce que cela donne quand un chercheur est dans cette situation et qu’il est pour finir expulsé plutôt que reconduit. C’est pourquoi le programme du Front de gauche prévoyait une limite au nombre de contrat précaires dans les entreprises privés : 5 % dans les grands groupes, 10 % dans les petites entreprises ! Et titularisation immédiate de tous les précaires de la fonction publique. Pour nous le précariat est une question politique. J’en reviens au point de vue global.

Compte tenu du bilan de cette « négociation », on est en droit de se dire que ce rendez-vous imposé par le gouvernement a fonctionné comme un traquenard pour les nôtres. Y venir était obligatoire. Le gouvernement avait dit que sinon il déciderait lui-même. Que ne l’a-t-il fait ! Là c’est le MEDEF qui amène le texte de départ sur lequel s’organise la discussion. Et il suffit qu’une partie des négociateurs de la partie salariée signe pour que l’affaire soit considérée comme acquise. Pourtant, le MEDEF est une ultra minorité sociale et, sans faire injure à quelque syndicat que ce soit, ceux qui ont signé, même additionnés, sont loin de représenter une majorité des salariés. Ajoutons que si les nouvelles normes de représentativité syndicale avaient été en vigueur, certains n’auraient pas pu signer ce soir-là ! Dès lors pourquoi cela devrait-il avoir force de loi ? Ce sera la question posée aux députés de gauche. Car quoi qu’en dise le nouveau gouvernement, le parlement a le dernier mot. Je l’ai toujours rappelé dans des dizaines de débats du temps où j’étais sénateur, quand on nous faisait déjà le chantage à la sacro-sainte négociation qui représente « un point d’équilibre » ! Les députés ont le dernier mot car c’est eux qui représentent la partie absente de la discussion, partie qui se confond avec le tout : la société. Les syndicats patronaux et salariés agissent sur la base et dans l’intérêt de leurs mandants. Les députés sont mandatés pour agir au nom de l’intérêt général. Raison de plus pour se méfier des expérimentations hasardeuses et contre-républicaines que François Hollande a annoncées et qui visent à mettre dans la constitution que les accords de cette sorte s’imposeraient au gouvernement et au parlement.

L’accord Wagram entre dans la série des dispositions prises pour inverser l’ordre public social républicain qui est déjà très abimé. En fait, il finit le travail. J’explique. En France, quand un accord de branche est signé, ses conclusions sont étendues à tous les travailleurs. Raison pour laquelle les salariés en France sont en Europe les mieux couverts par des conventions collectives. Cette transposition était d’autant plus facile à faire qu’aucun accord de branche ne pouvait avoir un contenu inférieur à ce que prévoyait avant sa signature la loi en vigueur. Sous Sarkozy, cet ordre fut inversé. Un accord d’entreprise pouvait prévaloir sur un accord de branche et l’accord de branche être en retrait sur le contenu de la loi. Mais au bout de la chaîne, il restait le verrou individuel : le salarié et son contrat de travail. Si l’accord d’entreprise changeait le contenu de son contrat de travail, il pouvait tout simplement refuser et il avait les tribunaux avec lui. Il fallait alors le licencier pour motif économique. Quant aux autres salariés, il leur fallait tous signer individuellement un avenant à leur contrat de travail pour que l’accord s’applique. C’est de cette façon que les Conti furent contraints un par un. En fin de la précédente mandature, Martine Billard alors député PG de Paris avait fait partie du tout petit quarteron de députés de gauche qui avaient bataillé et gagné contre un amendement déposé par le député de droite Wasserman qui supprimait ce verrou. Ce que l’UMP et le MEDEF n’ont pas obtenu sous Sarkozy, ils viennent de l’obtenir sous Hollande. L’accord d’entreprise s’imposera au salarié, et s’il le refuse il sera licencié sans aucun des droits du licenciement économique. Le verrou a sauté.

Sous couvert de « protection de l’emploi », de compétitivité, le droit va varier au gré des signatures « d’accords » le pistolet sur la tempe des salariés. La rédaction du passage concerné est un petit chef d’œuvre d’arrogance. Pour les accords "de maintien dans l’emploi", en contrepartie de l’engagement de ne pas licencier, une entreprise en difficulté peut conclure un accord majoritaire pour "ajuster" temps de travail et rémunérations, sans passer par un plan social si elle licencie au moins 10 salariés refusant ces changements. La durée de cet état d’exception dans l’entreprise est de 2 ans maximum. Quand l’entreprise va mieux, elle doit "partager le bénéfice économique" de l’accord avec les salariés. Le nouveau salaire ne peut être inférieur au SMIC (merci patrons ! mais c’est la loi), il ne pourra déroger à la durée légale, à la durée maximale du travail, aux repos quotidiens et hebdomadaires, aux congés payés et au 1er mai. Trop bons ! Merci patron ! En bref on reçoit en contrepartie de s’être fait dépouillé le droit de se garder ce qui reste. C’est le vieil adage "donne moi ta montre je te donnerai l’heure". Qui douterait que cette inversion de la hiérarchie des normes soit la gourmandise de l’accord liront encore cet article du texte qui a été signé : « un accord collectif puisse fixer, par dérogation aux dispositions concernées du chapitre III du Titre III du Livre II du code du travail, des procédures applicables à un licenciement collectif pour motif économique ». L’accord d’entreprise sera donc supérieur au code du travail dans le cas d’un licenciement pour motif économique et il s’imposera aux salariés ! Pas moins que ça ! Et sous un gouvernement de gauche. Certes les minimums légaux de SMIC, jours fériés, etc. survivent encore à ce séisme. Mais on peut quand même considérer qu’il ne reste quasiment plus rien de la hiérarchie des normes et du principe de faveur.


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