« La Haine de la Religion » de Pierre Tevanian et oppression de l’islam sur le site du NPA

jeudi 7 mai 2020.
 

Le NPA se fait le propagandiste d’un livre de Pierre Tevanian au titre provocateur suivant « La Haine de la Religion, comment l’athéïsme est devenu l’opium du peuple de gauche ». Publié aux éditions La découverte, ce livre est défendu sur le site de ce parti par deux militantes, Fahima Laïdoudi et Sellouma.

L’article laudateur de cette œuvre commence de la manière suivante :

« Le dernier essai de Pierre Tevanian1 rappelle qu’un combat antireligieux peut servir à justifier l’exclusion de la sphère politique et sociale d’un secteur de la population, en l’occurrence les musulmans de France. Et s’interroge sur les utilisations du marxisme faites dans ce sens. »

Les musulmans de France, c’est une catégorie sociale que je récuse totalement. Un article sur le site d’une organisation qui se dit anticapitaliste qui commence par un prédicat de ce type et sans appel n’a rien à voir avec la méthode du marxisme. Les républicains puis le mouvement ouvrier, lorsque ses partis défendaient la laïcité de l’Etat et de l’école, parlaient des citoyens de confession juive ou catholique ou musulmane mais non des appartenances communautaires. Du reste une enquête du Monde d’il y a quelques années mettait en lumière que parmi les populations immigrées d’origine musulmane, 80% étaient indifférents à leur religion d’origine. Ils pratiquaient sans doute quelques cérémonies familiales, comme beaucoup de citoyens français d’origine catholique peuvent parfois assister à un mariage ou un enterrement religieux, en étant indifférents devant la foi de leurs ancêtres.

On continue :

« Dans ce contexte, La haine d’une religion dominée est l’un des visages de la haine de classe. »

Michel Onfray est pris comme tête de turc. Comme philosophe ce dernier se définit comme athée et récuse l’héritage culturel des religions, de toutes les religions. Il se situe dans l’héritage d’une branche de la philosophie grecque et du matérialisme des lumières du 18ème siècle. Ce qui est parfaitement son droit. Nous ne vivons pas dans un Etat fondé sur des références de culture religieuse, même si le régime de la Vème république, a fortement mis à mal notre héritage laïque. Michel Onfray peut haïr librement les religions. Dans la France républicaine on a même le « droit au blasphème », ce qui n’est pas le cas dans les autres états concordataires européens. Ceci posé, l’exemple pris sert une très mauvaise cause : la haine de la religion, particulièrement de la religion musulmane, serait une haine de classe au service des possédants et du capitalisme.

L’Islam, une religion d’opprimés. Tout d’abord ce n’est pas la première. Les communautés juives ont longtemps été opprimées par un état aux références catholiques romaines. De même les protestants. L’église chrétienne primitive était elle aussi opprimée par le pouvoir impérial romain. Au moment où m’est parvenue cette mauvaise littérature, j’étais en train de regarder la dramatique télévisée consacrée à Henri IV. Bien sûr ce travail cinématographique recèle beaucoup de défauts, notamment on comprend mal toute cette violence si on ne va pas chercher l’explication dans le sol économique de la société. Entre le catholicisme romain qui règne alors sur la tête des empereurs et des rois, qui défend bec et ongles les rapports sociaux du féodalisme et la religion réformée qui traduit la montée du capitalisme, se livre une lutte à mort. Dans les poèmes d’Agrippa d’Aubigné, puis dans les écrits de Montaigne, se dessine déjà une conception de l’Etat démocratique moderne : la nécessité que le pouvoir politique soit indifférent aux querelles religieuses et qu’il respecte les opinions religieuses diverses des populations. Marx reviendra sur cette affaire dans ses réflexions sur la question juive. Pour que l’émancipation du juif soit possible, il faut nécessairement que l’Etat se dépouille de son caractère chrétien. A l’époque de Marx et dans la tradition allemande le concept de laïcité de l’Etat n’existe pas, le fondateur du mouvement ouvrier moderne parle de « sécularisation » de l’Etat. Dès lors, où s’imposent entre l’homme et l’homme que les rapports de libre échange de la société capitaliste moderne, il n’y a plus que des citoyens à égalité de droit et de devoir devant l’Etat. La religion devient une affaire privée et chacun peut satisfaire librement ses aspirations spirituelles « sans que l’Etat vienne y fourrer son nez ». Après la naissance du sionisme, comme mouvement politique propre visant à construire un état sur les principes d’une religion déterminée, et après la seconde guerre mondiale, Marx sera attaqué pour antisémitisme. Un intellectuel stalinien, Jean Eillenstein, fera même partie du cortège.

Nos égéries continuent :

« Historiquement, on constate effectivement que la religion peut être facteur soit de libération soit d’oppression. »

En posant que la conception de Marx et d’Engels est fine et dialectique, les pauvres pêcheurs républicains et laïques que nous sommes avons sans doute une pensée grossière, nos auteurs arrivent à la conception que « la religion peut être facteur soit de libération, soit d’oppression ». Ce n’est pas la première fois que la phrase célèbre de Marx sur la religion, cri de la créature opprimée contre « cette vallée de larmes » est tordue dans un sens qui n’était certainement pas celle que son auteur voulait. De là l’auteur conclut à une nature double de la religion. Les conseillers consistoriaux de Prusse avaient saisi Marx pour récuser les principes du christianisme. Il leur avait vertement répondu en disant que le Christianisme avait fait l’apologie du servage antique, que l’église primitive, prétendument communautaire et socialisante avait condamné l’affranchissement des esclaves, que le catholicisme romain avait sacralisé les rapports personnels, patriarcaux établis par le mode de production féodal, qu’enfin l’église avait maudit le capitalisme moderne, non parce qu’il était un régime d’exploitation de l’homme par l’homme, mais parce qu’il avait créé une classe, les ouvriers modernes qui aujourd’hui menaçait tout l’édifice de la propriété privée : « Le christianisme est une morale de cafard, le prolétariat est révolutionnaire ». Voilà le bien que Marx pensait de la religion dominante mais aussi des religions dans leur ensemble. Quant au judaïsme, religion de ses pères, il le caractérisait comme une religion « particulièrement répugnante », tout en ayant combattu de manière efficace pour l’émancipation sociale et politique des citoyens de confession juive. Oui ! oui ! mes jeunes camarades du NPA, Voltaire qui n’était pas un révolutionnaire disait : « Vous professez monsieur des choses insupportables, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez les exprimer. » Les auteurs de l’article seraient bien inspirés de relire, au lieu de poursuivre leur lubie, ce que le Manifeste Communiste disait du socialisme féodal et chrétien.

Mais elles poursuivent encore :

« Cet ouvrage est utile pour tout militant et pour toute structure visant à lutter contre le capitalisme, car il énonce les raisons pour lesquelles croyants et non croyants sont à égalité. »

Après la création de la deuxième internationale et l’émergence des partis sociaux-démocrates, la polémique a resurgi précisément au moment où ce nouveau type de parti devenait particulièrement poreux à l’électoralisme et par l’entrée dans les représentations parlementaires. Relisons les textes critiques écrits par Marx et Engels sur les congrès de Gotha et d’Erfurt. La position des marxistes rejetait la conception selon laquelle le parti était neutre dans les questions religieuses. Le parti, à leurs yeux, devait revendiquer la neutralité de l’Etat vis-à-vis des opinions religieuses ou philosophiques particulières, cette conception culminera en 1905 pour la France avec le loi de séparation des églises et de l’état et les œuvres scolaires de la IIIème république. Le parti rejette l’athéïsme d’Etat, ce qui serait une manière d’opprimer des catégories de citoyens, il demande un état garantissant la liberté absolue de conscience. Mais le parti n’est pas neutre chez lui vis-à-vis des cléricatures et des œuvres sociales des religions. Il défend la conception matérialiste de l’histoire et s’oppose aux œuvres sociales de la religion.

Un bien mauvais exemple avancé, les révolutions arabes :

« Les révolutions du monde arabe, théâtre de révolutions dont les acteurs comprennent un nombre certain de musulmans, permettent d’opérer une nette distinction entre les islams politiques et les identités religieuses des révolutionnaires  : impossible de réduire toute barbe ou tout hijab aux islams politiques  ! »

Si on parle des révolutions arabes, il va être difficile de prétendre que, pour l’instant, tous les régimes inspirés par les conceptions des « frères musulmans », qui ont utilisé le mouvement révolutionnaire qui s’est manifesté, imposent ou cherchent à imposer des régimes réactionnaires. L’article, comme le livre du reste dont les auteurs font un résumé, font l’impasse sur le problème numéro 1 de la période, celui de la représentation politique. La politique a horreur du vide : la crise historique du mouvement ouvrier conduit au fait que les relais d’organisations populaires que ce dernier impulsait ont aujourd’hui quasiment disparu. C’est donc un boulevard qui, dans ces pays, s’ouvre devant les religieux. Qu’il y ait, en l’absence de représentations politiques laïques, des hommes et des femmes qui utilisent tout ce qui est à leur disposition pour s’organiser, cela est une certitude. Cela ne veut pas dire que la religion musulmane en l’occurrence produit du positif, cela signifie surtout qu’il y a une carence énorme de la représentation.

L’islam deviendrait un outil de résistance :

Les deux auteurs , après avoir tordu le manche dans le sens qui leur convenait et en sautant à pieds joints sur les acquis du marxisme, en concluent que l’islam est « un outil de résistance »

« Pour illustrer le premier cas, l’affaire Baby Loup a consisté en la mise en avant de l’appartenance religieuse de l’employée pour faciliter l’attaque du patronat contre le code du travail à travers le licenciement. »

Le principe de liberté de conscience qui est appliqué dans les services publics, stipule qu’un fonctionnaire dans l’exercice de son métier, ne peut arborer des signes visibles d’appartenance communautaire, puisqu’il doit accueillir tout le monde et ne doit offenser personne dans ses croyances privées. Cela devrait s’appliquer aux crèches. Le jugement qui a été rendu dans cette affaire est inacceptable.

Pour ce qui est du NPA :

« La Haine de la religion dénonce les tentations islamophobes à droite comme à gauche. Il interpelle particulièrement le NPA car nous avons eu un processus de construction qui a tenté de mener un débat sérieux sur le rapport à la religion, grâce à l’intervention de militants des quartiers qui s’étaient joints à nous au début de l’aventure.Il interroge le NPA, en soulevant l’hypothèse que la haine de la religion alimentée par le climat politique a freiné son déploiement. »

Je doute que ce soit cette question et seulement cette question qui soit centrale dans l’effondrement du NPA. Cela n’arrête pas nos auteurs qui continue à raisonner à partir de leur prédicat de départ : la lutte antireligieuse et la haine de la religion relève de la haine de classe. Je prends un exemple précis : lors des dernières élections municipales à Créteil, une association islamique avait poussé une de leurs adhérentes à revendiquer un poste sur une liste de gauche. Ce qui lui fut refusé. Il y a quelques mois, lors de la campagne présidentielle du Front de Gauche, la même association a tenté de déstabiliser une réunion en revenant sur la même revendication. Ce qui fut répondu à juste titre, c’est qu’une liste politique se constituait sur des principes programmatiques : exercer un mandat électoral, c’est s’engager devant tous ses concitoyens à partir d’un programme, de gauche en l’occurrence, à défendre l’intérêt général. Représenter une association fondée sur les valeurs spirituelles de telle ou telle religion particulière, cela relève d’une autre démarche. Cela ne s’appelle plus la république mais le communautarisme.

Dans une période politique qui est profondément marquée par la perte de repères politiques à gauche, du fait que le mouvement ouvrier dans ses déterminations politiques classiques et séculaires, pourraient-on dire, est en état de décomposition. Dans la période actuelle du capitalisme, le néo-libéralisme, après l’effondrement du bloc soviétique, nous pousse à repenser tous les problèmes. La question laïque dans les trois décennies qui ont suivi l’élection de François Mitterand en 1981 a fait l’objet de toutes les trahisons, les pires sont venues des représentations officielles de la gauche. Aujourd’hui toute la classe politique institutionnelle se réclame de la laïcité. Même Marine Le Pen, lorsqu’il s’agit des musulmans, relève le drapeau de la laïcité. En revanche, lorsqu’il s’agit des sommes colossales que les régimes de la Vème république ont consenti à la hiérarchie catholique depuis la loi Debré de 1962, c’est silence radio de la gauche à … Marine Le Pen. Je pense que les militants anticapitalistes sont confrontés aujourd’hui à un travail de deuil et de reconstruction programmatique, sur ces questions-là comme sur beaucoup d’autres. Mais jeter les principes par-dessus bord comme le fait l’auteur de ce livre provocateur comme les deux militantes du NPA qui en loue la parution, me semble rendre un mauvais service à la cause de l’anticapitalisme. Les masses entrent en révolution avec les outils qui sont à leur disposition et toutes leurs illusions, le rôle d’un parti est d’unir et d’éduquer. Ce n’est pas en faisant les pires concessions à leurs illusions qu’on fera avancer la cause du socialisme.


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