La gauche peut-elle être complice des religions ?

samedi 17 février 2018.
 

Nous assistons à un retour catastrophique des religions. Que le pouvoir politique de Macron s’en accommode, voire s’en félicite, ne doit pas nous étonner. Mais que la gauche, dont l’identité est laïque et fondée sur une critique rationnelle et raisonnable des méfaits des religions dans l’histoire, s’en fasse la complice est surprenant. Nouvelle défaite de la pensée progressiste ?

La gauche a choisi de croire que les révoltes paysannes d’apparence religieuse au Moyen-Âge, les prêtre ralliés à l a révolution française, les prêtres ouvriers et les curés rouges, et même les théologies de la libération pouvaient faire oublier que les Eglises, en tant qu’appareils, ont toujours été du côté des puissants, des dominants, des exploitants. Nous devons nous en souvenir deux ans après la manif contre l’égalité des droits face au mariage et quelques jours après la mal nommée « marche pour la vie ». Les religieux de toute croyance sont de retour et ceux qui reviennent aujourd’hui sont les pires.

La gauche dans le passé a constamment entretenu un rapport critique avec les religions, fondé sur son idéal d’émancipation intellectuelle, personnelle et collective, que celles-ci n’ont cessé de bafouer. Cette critique se fondait sur une valorisation de la raison en même temps que sur son projet de transformation progressiste de la société. Tout cela s’éloigne depuis la fin des illusions liées à la tragédie que fut l’expérience soviétique : le post-modernisme, complice du libéralisme triomphant, fait des ravages, jusqu’à mettre en doute l’idée de vérité et à remplacer le souci moral des autres par un « souci de soi » terriblement apolitique et narcissique. Le retour du religieux peut s’engouffrer dans cette brèche irrationaliste et proposer un sens de substitution.

Pourtant, cette même gauche avait pu négocier avec les religions, dans un cadre résolument laïque (qu’elles avaient d’ailleurs combattu), spécialement lorsque le PCF« tendait la main » aux ouvriers chrétiens : l’attention à la commune situation d’exploités des ouvriers croyants et incroyants permettait d’envisager leur alliance dans le combat de classe contre le capitalisme bien, au-delà de la résistance commune face au nazisme. Le facteur religieux passait au second plan, sans cesser d’être un objet de critique, dans laquelle la raison, à nouveau, était présente. On n’est plus dans ce contexte historique. Nous sommes face à une remontée des religions dans leurs aspects les plus réactionnaires. Intellectuellement le refus de la rationalité scientifique refait surface via, en particulier, un créationnisme intégral venant des Etats -Unis, refusant Darwin et sa thèse de l’origine naturelle de l’homme. Même l’Eglise catholique, prenant acte pourtant de cette théorie, a refusé de l’appliquer à l’esprit humain ! Et l’on n’insistera pas sur le cas de l’Islam, radicalement hostile aux sciences de l’homme. Intégrisme, fondamentalisme et sectarisme marchent de plus en plus d’un même pas ! Or, de tout cela, la gauche officielle et les écologistes ne paraissent guère s’émouvoir, voire manifestent une complaisance indigne, qui traduit une démission idéologique autant qu’un électoralisme à courte vue, les croyants étant des électeurs.

C’est pourquoi la gauche doit reprendre son flambeau théorique initial. Elle ne doit à aucun moment renoncer à sa défense intransigeante de la raison, même si, ce faisant, elle s’oppose aux mythes religieux les plus répandus. Comme elle ne doit pas accepter l’ambition des Eglises de vouloir influer sur le pouvoir politique : la loi de Dieu doit s’effacer, dans la Cité, devant les lois humaines et c’est en ce sens que la société doit aussi être laïque. De même, elle doit maintenir son lien essentiel avec la critique des religions qui nous vient de la philosophie des Lumières et des penseurs qui ont suivi (Feuerbach, Marx, Nietzsche, Freud), lesquels ont démontré définitivement que, issues du malheur humain, elles l’alimentent.

Derrière ce renoncement, Il y a le refus d’investir les questions morales, sinon spirituelles, de l’existence sur une base non religieuse, qui permettrait pourtant de leur apporter des réponses non partisanes, favorisant le vivre-ensemble. Mais il y a aussi un refus idéologique du rationalisme marxiste tel que le système soviétique a cru l’incarner. Un nouvel obscurantisme, insidieux, a alors entraîné une partie de la gauche à accepter l’idée que nombre de questions brûlantes, comme celles du féminisme ou de la crise écologique, pouvaient être traitées sans mettre en cause le capitalisme, ce qui est absurde. Seul un pouvoir démocratique de la collectivité sur elle-même, qu’on l’appelle éco-socialiste ou éco-communiste, en est capable, hors de la dictature de l’argent.

Cela implique aussi le refus de tous les intégrismes, au-delà du seul intégrisme religieux, car l’intégrisme politique ou l’intégrisme économique relèvent du même esprit. C’est le cas de l’économie érigée en valeur absolue, qui oublie la sphère de l’épanouissement personnel qu’une vraie politique de gauche doit au contraire favoriser, ou de la « religion » de la croissance, ce « nouvel opium du peuple ». Reste que c’est le totalitarisme religieux, au sens strict, qui nous importe ici, d’autant qu’il est couplé avec une apologie du libéralisme économique dont les théocraties islamiques sont le pire exemple, avec la complicité tacite de nos dirigeants. Ajoutons que le christianisme peut alimenter une anthropologie fondée sur le culte d’un individu libre et responsable, soustrait aux déterminismes sociaux que la raison sociologique révèle et sans que la référence à une transcendance aide en quoique ce soit à moraliser le jugement politique porté sur notre société, comme on le voit chez Macron. Une exigence démocratique complète implique donc que l’on dénonce la religiosité ambiante qui nous enfonce un peu plus dans ce qui est bien une crise de civilisation ! Une gauche authentique, laïque mais aussi sociale, doit rester irréligieuse dans tous les domaines.

Paul Ariès, directeur de la revue « Les Z’Indigné’(e)s et Yvon Quiniou, philosophe.

Paul Ariès a publié « Les rêves de la jeune Russie des soviets, une lecture antiproductiviste du stalinisme », Le Bord de l’eau, 1917, et « La face cachée du pape », Max Milo, 2016.

Yvon Quiniou a publié « Critique de la religion. Une imposture morale, intellectuelle et politique », La Ville brûle, et va faire paraître « Qu’il faut haïr le capitalisme. Brève déconstruction de l’idéologie néolibérale », H§O.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message