Hypothèses sur la nature du fascisme

vendredi 17 janvier 2014.
 

C’

En tant que progressiste passionné d’histoire, tout aurait dû me porter vers l’étude des révolutions mais le hasard m’a conduit à étudier le sombre de l’histoire de France. A chaque fois j’en suis arrivé à m’interroger sur la nature du fascisme. Mes orientations marxistes m’ont bien sûr poussé vers Gramsci pour réfléchir à la question, et j’ai lu tant et plus sur le sujet. Je n’ai jamais été convaincu par la thèse faisant du fascisme la phase extrême du capitalisme. Si ce dernier, dans sa souplesse infinie, peut en appeler au fascisme pour réduire sa crise, c’est toujours de manière temporaire à cause d’une raison simple : le fascisme prône la suprématie du politique sur l’économique, or le capitalisme tend toujours vers l’inverse, la suprématie de l’économique sur le politique. Donnons deux exemples : Franco s’est appuyé sur la puissance économique de Juan March qui en retour pensait orienter la politique économique de l’Espagne, sauf que Franco se débarrassa de son aide. Si en 1973, les USA installèrent au pouvoir le général Pinochet à la tête du Chili, en 1988 les USA imposèrent à Pinochet le respect des résultats du référendum où le NON l’emporta, ce qui est exceptionnel pour un pouvoir aussi répressif.

J’appelle fascisme, la capacité d’un groupe politico-social à se servir de la démocratie pour tuer la démocratie. Aussi faut-il s’entendre sur la notion de démocratie.

Le fascisme et la démocratie

Toute lutte des classes est l’affrontement de forces minoritaires imposant leur loi à la majorité. Aussi cette dernière n’a qu’un recours : en appeler à plus de démocratie. Dans ce cas, la démocratie, c’est la lutte pour les conditions de la démocratie qui, par nature, est toujours inachevée. Si on vous présente la démocratie comme un paquet cadeau qu’on peut déposer au pied d’un sapin le soir de noël, c’est un propos fasciste. Idem si on vous dit qu’il faut d’abord atteindre un certain développement économique pour accéder à la démocratie, alors qu’historiquement, la démocratie a été l’un des plus sérieux instruments de ce développement !

Quand en France, de 1848 à 1945 des forces, surtout de "gauche" répétèrent que les femmes ne pouvaient accéder au droit de vote qu’après avoir été éduquées, voilà encore un type de propos fasciste (ce qui n’est pas, bien sûr, le fascisme global). Si le droit de vote avait dû être donné en fonction du niveau intellectuel alors il aurait fallu faire passer un diplôme à tous, hommes et femmes. En 1848, quand arriva le suffrage universel masculin il serait prétentieux de prétendre qu’aucune femme n’avait d’instruction supérieure à l’homme le moins éduqué mais pouvant voter !

Le capitalisme, dans sa grande souplesse, a toujours su encaisser les coups reçus de l’adversaire, pour mieux s’en servir en retour à son profit (il a su lire Marx). Voilà pourquoi il n’a pas hésité à s’approprier tous les acquis démocratiques pour en faire un des instruments de la course au profit ! Vous voulez les congés payés ? Vous aurez l’industrie du tourisme où le vacancier va subir un nouveau type d’exploitation… etc.

Le fascisme procède donc à l’inverse : il se sert de la démocratie non comme instrument nouveau de domination, mais pour l’assassiner, ce qui se justifie d’autant plus devant l’usage qu’en fait le capitalisme ! J’appelle donc démocratie cette lutte qui tente d’émanciper tous les humains en leur accordant les moyens de vivre, le temps de vivre, et même, la soif de vivre.

Le fascisme et le double langage

Toute politique a jusqu’à présent été habitée par le double langage pour la simple raison que, le pouvoir appartenant aux forces économiques, les politiques se doivent de composer plus ou moins. Ils ne dirigent qu’à moitié et encore...

Pour le fascisme, le double langage naît sur une autre planète : celle des moyens. User de la démocratie pour tuer la démocratie, c’est une autre gymnastique du discours. Prenons l’exemple du Second Empire cher à Napoléon III, un exemple du fascisme avant que Mussolini ne nomme cette stratégie politique. Il s’installe au pouvoir par un coup d’Etat qui instaure définitivement [sauf sous Vichy] le suffrage universel masculin tout en tuant les conditions du vote (liberté de la presse, droit de réunion et manifestation…), il met en place une répression sans précédent et lance, pour "le bien du peuple", une politique industrielle qui va donner du travail et même les premiers droits à la retraite. De Napoléon III à Mussolini en passant par Pinochet, ils présentent cette double face : moins de libertés pour plus d’avantages sociaux ! Comme les décisions économiques passent par eux (le capitalisme se cachant dans les replis du système), ils ont une certaine crédibilité. D’autant que…

Le fascisme n’est pas seulement un extrémisme

A partir de là, il faut exclure le fascisme de cette fausse échelle allant de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, et plaçant le fascisme dans cette dernière case. Le fascisme, avant d’être une théorie, un pouvoir, une force, est un comportement au quotidien ! Il me semble erroné de croire que le fascisme est un élément extérieur au peuple, qu’on lui impose par des mensonges fabriqués par les sommités. Une bien piètre conception du peuple !

Au bout d’un moment, la démocratie qui se veut émancipation devient aussi un fardeau ! Quand on chante à tout moment : "prenez vos affaires en main", on peut alimenter ce que j’appelle la fatigue démocratique. Non, le citoyen ne peut pas matériellement intervenir sans cesse pour défendre l’hôpital, l’école, les transports publics, son salaire, la démocratie dans son entreprise, des médias honnêtes, etc.

Quand un chef arrive, qui prétend se charger de tout, et régler l’ordre en pointant quelques boucs émissaires, alors il rencontre un sentiment populaire classique : se soulager du poids de la vie.

S’insurger contre la délégation du pouvoir, quand on sait que, de toute façon, il y a toujours une délégation à effectuer, c’est bloquer la démocratie. Je l’avoue, je suis à la MGEN et je n’ai jamais voté pour élire mes représentants à cet organisme fondamental pour ma santé ! Pas parce que j’ai confiance ou au contraire une défiance, mais parce que je n’ai pas matériellement le temps de me pencher sur ce sujet comme sur d’autres !

Les propos fascistes du quotidien sont pris en charge par des théoriciens, des forces, qui les mettent en système. Le fascisme, comme le combat démocratique a une base de masse.

Le fascisme n’est pas seulement une dictature

J’appelle dictature le pouvoir d’un groupe minuscule qui impose sa loi. Le fascisme use de la dictature mais veille à un soutien populaire réel. Pétain ne s’est pas fait élire mais aurait-il perdu dans le contexte du moment ? Les dictateurs méprisent le peuple ; les fascistes caressent le peuple dans le sens du poil ! Car le peuple est ainsi fait qu’il n’est pas un, mais au moins deux. Le peuple qui se soumet n’est pas seulement le peuple intoxiqué, ignorant, trompé, exploité, apeuré... Il existe un peuple sincèrement fasciste qui a besoin d’un père, de faire jouer ses muscles, et qui, souvent se méprise lui-même. Si, avec Michelet, la notion de peuple a été inventée pour désigner le peuple démocrate, depuis, la démocratie n’étant pas un long fleuve tranquille, le peuple désigne presque toute la société. Il existe aussi une classe intellectuelle sincèrement fasciste ; il serait malvenu de réduire le fascisme ordinaire aux pauvres et aux égarés. Ces intellectuels ont des raisons spécifiques : la soif du pouvoir, la prétention à la domination par le savoir, la servilité pour faire passer leurs idées. Tout comme il existe une classe de fonctionnaires pouvant tomber sans états d’âme dans le service du fascisme, le fonctionnaire étant là pour servir…

Le fascisme et le Front national

Ces quelques hypothèses ne cherchent pas à qualifier le Front national qui a su jongler avec quelques courants. Elles ont une visée plus générale, mais ne faisons pas comme si la France n’avait pas un fort parti d’extrême-droite. Si le FN est bien placé pour capter l’univers fasciste, il serait regrettable de le réduire à cette seule opportunité. Historiquement le fascisme ne grandit pas dans tel ou tel parti mais, tel ou tel parti finit par s’en servir. Le fascisme n’est ni de gauche, ni de droite. Il est porté par des militants divers, par des objectifs divers, par des méthodes diverses. Le FN peut jouer le rôle de fédérateur mais rien ne dit qu’il portera jusqu’au bout un fascisme des temps présents ayant le vent en poupe. S’en servir comme repoussoir n’a qu’une seule fin : empêcher de réfléchir à l’état global de notre démocratie, qui est bloquée plus par les hommes de pouvoir, que par un parti sans réel pouvoir de décision, et en démocratie l’essentiel n’est pas le débat, mais la capacité à décider en fonction des débats.

Jean-Paul Damaggio


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message