Catholicisme et fascisme (années 1930)

jeudi 6 mars 2014.
 

Texte de l’historien Robert Soucy qui fait partie des rares excellents spécialistes du fascisme.

Michel Winock affirme que La Rocque n’était pas fasciste parce qu’il était un « bon catholique » et parce qu’il partageait les vues de Léon XIII sur le catholicisme social et que l’encyclique de Pie XI de mai 1931 « coïncide largement avec la doctrine Croix-de-Feu/parti social français » [31] Michel Winock, op. cit., p. 9, 25.

Pour à nouveau citer Michael Mann, le problème est que Pie XI a remercié Mussolini d’avoir appliqué en Italie le catholicisme social ; bien que le Vatican ait de prime abord « regardé de travers » les fascistes, il en vint à les considérer favorablement après qu’ils eussent accepté de protéger ses intérêts institutionnels : « « Le Vatican les préférait à la démocratie si celle-ci incluait les socialistes » [32] Michael Mann, op. cit., p. 126.

Michael Mann observe également qu’en Autriche à partir du milieu des années 1920, les gouvernements sociaux-chrétiens empiétèrent sur les droits constitutionnels, purgèrent les socialistes de l’armée et de l’administration, s’engagèrent dans une répression sélective et coopérèrent avec le Heimwehr, une milice patriotique paramilitaire fasciste qui avait elle-même « des relations étroites avec le clergé ». En Italie, en Autriche et ailleurs, le catholicisme s’infiltra également dans le fascisme : « En se développant, le fascisme a absorbé une influence catholique croissante. » [33] Ibid., p. 229, 84-85

Le 14 janvier 1933, La Croix, principale voix du catholicisme conservateur en France, avait critiqué Hitler pour ses méthodes brutales, particulièrement contre les catholiques allemands. Cependant, le 14 février 1933, elle fait son éloge comme force contre le communisme : « Si Hitler s’élève contre le communisme et manifeste l’intention de le supprimer ou, du moins, de le combattre vigoureusement, un tel projet ne peut que rencontrer l’approbation générale. » Le 3 juillet 1934, La Croix approuve l’élimination des éléments de gauche des SA et félicite le Führer de s’être rendu « maître de la situation » grâce à « une remarquable rapidité de décision et une volonté audacieuse ».

L’historien américain Paul Mazgaj a décrit comment les intellectuels catholiques de la Jeune droite comme Henri Massis et les néothomistes Jean de Fabrègues et Jean-Pierre Maxence ont succombé dans les années 1930 à l’« attrait du fascisme ». Massis considéra Mussolini comme un modèle de « l’Homme chrétien » et Maxence adhéra à Solidarité française de François Coty et devint l’un de ses principaux porte-parole lors des événements du 6 Février. [34] Paul Mazgaj, « Engagement and the French Nationalist...

Un autre historien américain, John Hellman, libéral catholique, a décrit l’admiration que les intellectuels catholiques français d’Ordre nouveau portaient dans les années 1930 au national-socialisme allemand « pur » ou au « fascisme blanc ». Même s’ils s’associaient également au catholicisme social du Vatican et critiquaient le populisme « vulgaire » de Hitler, ils défendaient « une forme virilisée de christianisme ». Un des fondateurs d’Ordre nouveau, Alexandre Marc, écrivait également pour Sept, une revue qui était « sans équivoque antinazie », mais qui avait « une attitude plus nuancée envers le fascisme italien ». Dans les années 1930, Robert Loustau de l’Ordre nouveau était un conseiller de premier plan de Doriot et de La Rocque. [35] John Hellman, The Communitarian Third Way : Alexandre...

Absoudre La Rocque de fascisme parce qu’il était « bon catholique » est donc peu convaincant si son type particulier de catholicisme politique est minimisé. Comme l’ont noté Stanley Payne et d’autres historiens américains, dans les années 1930, il existait, à travers toute l’Europe et le monde, nombre d’exemples de fascistes « soi-disant » chrétiens. En Espagne, la Phalange prétendait défendre l’Église catholique contre les marxistes athées et les libéraux anticléricaux, tout comme les mouvements fascistes en Pologne, au Portugal, en Autriche, en Hongrie, en Roumanie, en Croatie, en Bolivie, en Argentine, au Pérou, au Chili et au Brésil. [36] Stanley Payne, op. cit., p. 112, 261-262, 341, 343-346,...

Le fait d’être « nationalistes et chrétiens » n’empêchait pas ces mouvements, comme le suggère Michel Winock pour les Croix-de-Feu/parti social français, d’être fascistes. [37] Michel Winock, op. cit., p. 23.

En Italie, où des versions concurrentes de fascisme existaient, un grand nombre de conservateurs fascistes étaient catholiques pratiquants. Les accords du Latran furent suivis d’un afflux de catholiques dans le parti mussolinien qui, comme l’a écrit Alexandre De Grand, « a créé un fascisme clérical [qui a rivalisé] avec d’autres idéologies pour s’attribuer la véritable identité fasciste ». [38] Alexander De Grand, Fascist Italy and Nazi Germany :....

Naturellement, aucun de ces faits ne diminue l’honneur des catholiques restés insensibles au fascisme et au nazisme pendant l’entre-deux-guerres, que l’on songe à Heinrich Breüning, le chef du Zentrum qui, en 1933, plaida infructueusement auprès des membres de sa formation pour qu’ils ne signent pas la loi accordant les pleins pouvoirs à Hitler ou au docteur Erich Klausner, président du mouvement de jeunesse Action catholique allemande, assassiné par les chemises brunes de Hitler en 1934. En France, le 14 janvier 1933, des journalistes de La Croix critiquèrent également le Führer pour ses « méthodes agressives et meurtrières » contre les catholiques allemands et invitèrent leurs « frères catholiques » à voter contre lui aux prochaines élections. Le catholique libéral Robert d’Harcourt dénonça également les nazis pour leur « goût pour la violence » et écrivit à propos de la politique étrangère : « On ne parle pas avec Caliban. » [39] Robert Soucy, « French Press Reactions to Hitler’s...

À cette époque, La Rocque pensait que la France devrait « bavarder » avec Hitler. Au demeurant, Michael Mann a montré que parmi les électeurs allemands inscrits en juillet 1932, seuls 16 % de catholiques votèrent pour les nazis, contre environ 38 % de protestants, « différence considérable ». [40] Michael Mann, op. cit., p. 186.

Il est patent que nombre de catholiques européens résistèrent aux sirènes du nazisme ou du fascisme dans les années 1930. Mais ce ne fut pas toujours le cas.

De sorte qu’il importe moins de savoir si La Rocque était ou non « un bon catholique » que de savoir à quelle tendance politique du catholicisme il se rattachait. Michel Winock cite plusieurs circonstances où La Rocque proclame sa fidélité à la légalité, aux principes, aux libertés et aux institutions de la république. [41] Cité dans Michel Winock, op. cit., p. 8, 11, 14, 2...

Je précise également, dans Fascismes français ?, qu’en 1936, il déclare être « fermement attaché aux libertés républicaines » et rejeter « l’absolutisme hitlérien ». Il affirme en 1937 que la conduite fasciste est « contraire au tempérament français », et être opposé « à toute imitation servile du totalitarisme fasciste » et « férocement hostile à toute imitation des régimes dictatoriaux » [42] Robert Soucy, Fascismes français ?…, op. cit., p. ...

Ces proclamations sont toutefois difficiles à prendre pour argent comptant ; car hormis lorsque La Rocque prend ses distances avec le fascisme hitlérien, ces affirmations sont contredites par d’autres, émises avant 1936 et après 1939. On ne trouve pas trace de son attachement aux libertés républicaines en 1933, lorsqu’il écrit qu’aucune élection ne devra avoir lieu sans une « purification » préalable des commissions gouvernementales et de la presse et que « notre intervention initiale consistera à réduire au silence les fauteurs de troubles ». [43] Cité dans Robert Soucy, « Fascism in France… », op.... En juin 1936, il réclame une « réconciliation » qui « éliminerait » les forces nocives de la vie politique française et « proscrirait » ceux dont la vie privée ne se conformerait pas à leurs déclarations publiques. [44] Cité dans ibid.

Dans Disciplines d’action (1941), il exige l’« extirpation intégrale des éléments contaminés » de la société française pour laquelle il préconise « une résolution impitoyable ». Il dénonce également la « dégénérescence » française et réclame une « France régénérée » en des termes caractéristiques d’autres fascistes français de l’époque, y compris Pierre Drieu La Rochelle, Robert Brasillach et Bertrand de Jouvenel [45] Colonel de La Rocque, Disciplines d’action, Clermont-Ferrand,...


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