Jean-Luc Mélenchon en justice pour avoir caractérisé M. Le Pen de fasciste

lundi 17 mars 2014.
 

C) "Fasciste", une caractérisation politique

Pour compléter mon billet datant d’hier, je dois vous rendre compte de l’issue du procès qui s’est tenu hier à 14h à la 17e Chambre correctionnelle du Palais de Justice de Paris, opposant Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon. D’ores et déjà, je tue tout suspens en vous annonçant que la décision sera rendue par le Tribunal le 10 avril 2014. Mais, le déroulement du procès mérite qu’il soit raconté. Il fut un beau moment de pédagogie et je crois que les cinquante personnes qui composaient le public, dont une bonne moitié de militants du PG en ont été marquées. Avant d’aller plus loin je vous conseille aussi la lecture de l’article du Monde sur le sujet, pour le coup extrêmement bien fait. Voilà un article factuellement irréprochable. Néanmoins, je ne m’explique pas pourquoi, au passage, les affrontements judiciaires entre la présidente du FN et le co-président du PG n’intéressent pas davantage la presse et notamment les nombreux « spécialistes du FN » des différentes rédactions. Désintérêt ? Urgence sur d’autres affaires jugées plus importantes ? Volonté de mettre en sourdine ce combat incessant entre le PG et le FN qui ne correspond pas à certains schéma médiatiques préétablis ? Sentiment qu’après tout : Mélenchon l’a bien cherché ? J’ignore les raisons de cette « fraicheur » médiatique. Mais je fiche mon billet qu’il y a quelques années, toute la presse fut présente et tous les responsables politiques de la gauche française se seraient mobilisés en soutien à celui qui été attaqué par le ou la présidente du FN. « Times are changin » chantait Bob Dylan… Mais c’est un autre sujet.

Marine Le Pen n’était pas venue, et ne fut que représentée par son avocat Wallerand de Saint Just, également trésorier et actuel candidat du FN à la Mairie de Paris. Jean-Luc Mélenchon bien entendu était présent accompagné de son avocat, la secrétaire nationale du PG, Me Raquel Garrido. Une fois les présentations d’usages effectuées, et le visionnage de la vidéo d’I Télé durant lequel Jean-Luc tenait les propos que la Présidente du FN n’a pas apprécié, c’est Jean-Luc Mélenchon qui s’exprimera en premier. Il le fera avec force, débout, limpide. Sa déclaration durera un bon quart d’heure et fut indiscutablement un grand moment d’éloquence politique. Je ne peux que la résumer avec regret. « Toute ma vie, j’ai milité contre le mouvement du père de Mme Le Pen et je continue » rappellera Jean-Luc pour commencer. Il évoquera aussi, qu’avec beaucoup d’autres, pendant longtemps il a réclamé l’interdiction du Front National. Il expliquera que dans son courant politique, au sens large, ce terme de "fasciste" est utilisé aussi comme un synonyme d’extrême droite. Il racontera aussi comment ce terme fut utilisé en de nombreuses occasions dans le passé, reconnaissant même de façon erronée quand certains parmi nous qualifiaient de Gaulle de « fasciste ». Il ne put s’empêcher de souligner que Marine Le Pen utilise elle aussi ce terme pour désigner l’Islam en évoquant un "fascisme vert". Plus fondamentalement, Jean-Luc brossera la silhouette politique et philosophique du fascisme à travers le temps, né d’abord intellectuellement, pas encore sous sa forme la plus épanouie qu’il aura dans les années 20 et 30, dans la controverse et la rupture de la Révolution Française avec l’Ancien Régime. Depuis, ceux qui luttent pour l’égalité ont toujours eu face à eux, ceux qui justifient l’inégalité, car plus conforme à l’état de Nature (ou règne tant d’inégalité) à leurs yeux. Enfin, le fascisme nie l’existence de classe sociale aux intérêts contradictoires (et particulièrement avec le système capitaliste) et condamne l’organisation de la classe ouvrière comme classe, d’où son mépris des syndicats et du mouvement ouvrier organisé. Toutes ses caractéristiques, cette culture, cette vision, se retrouve depuis des décennies dans le FN conduit par Jean-Marie ou Marine Le Pen. Jean-Luc conclura d’abord en soulignant que beaucoup de fondateurs du FN en 1972 étaient des gens qui étaient liés à la collaboration, au tentative plus ou moins aboutie de fascisme français, et que jamais Mme Le Pen n’avait condamné le régime de Vichy. Jean-Luc reconnu que de sa part évidemment « fasciste » n’est certes pas un compliment envers Marine Le Pen, et qu’il ne cherche pas à lui en faire d’ailleurs, mais c’est surtout une caractérisation politique, une classification et qu’il serait inconcevable que l’on ne puisse plus la faire en France, à moins de vouloir aider Mme Le Pen et communication politique.

Ce fut ensuite Michel Soudais, journaliste et rédacteur adjoint à l’hebdomadaire Politis qui apporta son témoignage et il fut redoutable d’efficacité. Soudais un spécialiste du FN, d’une précision redoutable et reconnu dans toute la profession pour sa rigueur. Il a suivi le FN pendant près de 20 ans.

Michel Soudais rappela d’abord que son journal en 1990 avait déjà publié sur sa couverture « Le Pen est un fasciste » sans que cela n’entraine de condamnation judiciaire. Parmi les nombreux signataires publié dans ce numéro spécial, on retrouvait 250 personnalités comme Raymond et Lucie Aubrac et plusieurs autres qui donnèrent naissance dans la suite de cet Appel au mouvement Ras-le-Front. A l’époque, personne ne faisait le délicat pour désigner le FN et ses dirigeants comme "fasciste". Pour les gens de gauche, c’était une quasi évidence. On mesure le chemin parcouru, n’est-ce pas ? Mais surtout son témoignage fut édifiant car Michel Soudais était présent au Congrès de Tours des 15 et 16 janvier 2011 où Mme Le Pen est devenue la nouvelle Présidente du FN. Il rappelle que les délégués FN présents dans la salle scandaient à tue-tête le slogan depuis toujours porté par les organisations fascistes (et initialement forgé par l’antisémite Edouard Drumont) de notre pays « la France aux Français », avant que Marine Le Pen n’entame son discours final. Détail amusant, par la suite, dans sa plaidoirie, Wallerand de Saint Just contestera que ce slogan soit un slogan du FN… Pas de chances pour lui, la vidéo du même journaliste Michel Soudais (que l’on peu voir plus haut) atteste du contraire. Un des grands apports du témoignage du journaliste Soudais est qu’il contextalisa également les propos de Jean-Luc. Ces derniers ont été dit le 5 mars 2011, à peine deux mois après l’élection de Marine Le Pen comme Présidente du FN. Clairement, on n’était pas du tout dans le coton idéologique actuel où le FN veut imposer à tous sa "dédiabolisation" comme une évidence. Il est possible que certains se fassent duper en 2014, mais en 2011 tous les gens censés à gauche pensaient comme une évidence que le FN avait un lien avec le "fascisme".

Autre moment amusant, le journaliste Soudais rappellera avec précisions que lors de ce Congrès du FN, qui se situe un mois et demi avant les déclarations de Jean-Luc Mélenchon qui le conduiront au Tribunal, on pouvait voir élire parmi les principaux dirigeants du FN des gens qui étaient connus pour être publiquement des fascistes (termes qu’ils assumaient sur leurs page Face book, déclarations, etc..). C’était le cas de MM. Yves Benedetti et Alexandre Gabriac, membre de « l’Oeuvre Française » un groupuscule Pétainiste ouvertement antisémite fasciste, qui seront également élus au Comité Central du FN lors de ce Congrès de Tours. L’histoire est assez connue car en juin 2011, soit 3 longs mois après les déclarations de Jean-Luc Mélenchon sur I télé, et suite à des révélations de la presse et à des photos représentant le dénommé Gabriac devant un drapeau Nazi faisant un salut hitlérien, le FN se résoudra à exclure ces gens, car le scandale devenait trop important à assumer. Wallerand de Saint Just restera discret sur cet aspect des choses qu’il connait bien, d’autant que le journaliste Michel Soudais avait avec lui une photo (voir la photo jointe, où l’on reconnait à la tribune du Congrés, MM. De Saint-Just, Ganraic et Mme Arnautu) qui eut pu lui rafraichir la mémoire, et je le remercie d’avoir accepté que je puisse la publier sur ce blog pour la première fois, où l’on voit distinctement Alexandre Gabriac, alors élu FN de la Région Rhône-Alpes, nouvellement élu au Comité Central du FN, assis à la même tribune quasiment côte à côte de M. Wallerand de Saint Just.

Puis vint l’historien Jean Vigreux, universitaire en Bourgogne et spécialiste entre autres de l’invective en politique. Son témoignage aussi fut déterminant et brillant car il décrivit la longue histoire de ce terme dans le vocabulaire politique, son utilisation abusive parfois comme « mot valise » voulant dire beaucoup de choses, parfois contradictoires et souligna que généralement ce terme n’entrainait pas de poursuites judiciaires car il faisait partie du vocabulaire politique polémique. Vigreux expliquera également qu’il y avait un fort débat parmi les historiens pour savoir qu’il y avait un potentiel « fascisme français » ou si c’était impossible par la nature même de la République Française. C’était assez passionnant à écouter et Jean Vigreux pourtant élève du grand historien Serge Bernstein, expliquera que sur ce point, avec d’autres, il n’est pas d’accord avec son « maitre à penser » et qu’il estimait que le terme « fasciste » peut être utilisé pour décrire des expériences politiques hexagonales. Enfin, questionné sur son opinion personnelle comme historien sur la pertinence de ce terme concernant le FN, Jean Vigreux s’accorda à dire qu’il était fondé vu que le FN mêlait « le social et le national » avec des références culturelles très marquées par l’extrême droite française, même si c’était très complexe et très controversé dans la communauté des historiens.

Une fois les témoins entendus, ce fut la plaidoirie du FN, Me Wallerand de Saint Just. Elle fut laborieuse et bien peu convaincante. Pour démontrer « l’injure », et ce qu’il appelle « l’imputation péjorative d’une opinion illicite » il fit appel à des jurisprudences totalement inadaptées au sujet ce qui, à mon avis, fut du plus mauvais effet sur le tribunal. Puis, il s’embarqua dans une pénible démonstration, osant s’appuyer sur l’ouvrage « Le fascisme en action » de Robert Paxton (mais l’a-t-il lu ?) au terme de laquelle traiter quelqu’un de « fasciste », c’est comme dire « nazi », c’est comme dire que l’on souhaite l’extermination d’un peuple, c’est comme dire « antisémite » etc… Tout cela était assez confus, maladroit, allusif et peu documenté. Bien sûr, De Saint-Just fut totalement silencieux sur le "cas Gabriac", fasciste assumé et membre du Comité Central du FN le 5 mars 2011... L’avocat du FN dans ses balbutiements manifesta une grande ignorance en voulant démontrer que le fascisme ne peut être « réduit » qu’aux traits particuliers du nazisme. On découvrait ensuite mi-amusé, mi-indigné, que désormais le FN, comme un nouveau-né sortant de l’œuf, ne revendiquait plus le moindre lien historique ou intellectuel avec des acteurs en présence de la seconde guerre mondiale. Pourtant, le Président d’honneur du FN, M. Jean-Marie Le Pen condamné pour contestation de crimes contre l’humanité, n’hésitait pas il y a peu à vanter des hommes comme Robert Brasillach, rédacteur en chef de « Je suis partout », François Duprat fasciste assumé fondateur du FN et beaucoup d’autres encore. Dans son propos bien peu inspiré, Me de Saint Just crut habile de balayer les remarques de Jean-Luc sur l’identité politique de la majorité politique des fondateurs du FN en 1972 (qui étaient des anciens du PPF de Doriot, de RNP de Déat, etc.. .) en prenant pour prétexte que François Mitterrand lui-mêmeavait été décoré de la Francisque. Jean-Luc Mélenchon ne laissera pas passer l’affront fait à l’honnêteté intellectuelle et rappellera que Mitterrand s’était évadé 3 fois pendant la guerre mondiale, s’était engagé dans le Résistance au risque de sa vie (y compris au moment où pour des raisons tactiques et de protections il reçoit la Francisque), ce qui n’avait rien à voir avec des collabos, des hommes ayant perdus tout honneur, qui lutteront jusqu’au bout pour la victoire des régime nazis sur les forces alliés.

La Procureur de la République prit la parole et nous avons eu le plaisir de constater que pour elle, il n’y a pas « injure » mais que cela reste dans les limites de la liberté d’expression et du débat politique. L’avocat d’I Télé, également mis en cause par Mme Le Pen pour diffuser les images, expliquera bien la jurisprudence en vigueur qui dans le cas présent, c’est-à-dire un homme politique, qui décrit dans un contexte politique un sondage, au sujet d’une femme politique, et qui fait une caractérisation politique, ne pouvait amener selon lui à ce qu’il y ait « injure » dans le cas présent. C’était aussi d’une redoutable efficacité et mettait à mal l’essentiel de la démonstration de l’avocat du FN.

Pour conclure, ce fut la plaidoirie de Me Raquel Garrido en défense de Jean-Luc Mélenchon. Avec brio, elle détruisit les affirmations de l’avocat du FN sur le prétendu bien fondé de dénomination comme « injure » dans le cas présent. Pour elle, l’expression utilisée n’est pas une injure car elle est une caractérisation politique, autrement dit une opinion, ou jugement de valeur, qui se fonde, qui plus est, sur une base factuelle. Elle rappela que par le passé le FN, lorsqu’il porta plainte pour le même qualificatif, attaquait pour « diffamation ». Mais, c’est précisément parce qu’il a systématiquement perdu qu’il cherche désormais à justifier que ce qualificatif politique comme une « injure ». Avec fougue, elle ne toléra pas l’avocat du FN eut mis en doute la qualité des témoins et leurs affirmations sur le Congrès du FN en janvier 2011.

Avec passion, elle brossa à nouveau un tableau de tous les débats contradictoires entre historiens sur l’utilisation de ce terme, selon les périodes, selon les organisations, et elle souligna combien il était impossible pour un Tribunal de condamner ce terme, de « judiciariser » cette controverse, sans quoi c’était le débat scientifique lui-même qui était visé et cela devenait liberticide pour la société. Avec précision, elle pulvérisa les affirmations mensongères de l’avocat du FN pour qui fasciste est synonyme « d’antisémite » et qu’il doit être condamné par le Tribunal de la même façon que si Jean-Luc Mélenchon avait traité Marine Le Pen d’antisémite. A cela, Me Garrido répondit : « Une autre confusion à ne pas commettre concerne la place du racisme et de l’antisémitisme dans le discours fasciste. Si tous les fascismes sont des « nationalismes intégraux », et par là xénophobes, le racisme et l’antisémitisme à prétention scientifique sont plus une spécificité du national-socialisme hitlérien qu’un trait générique du fascisme. L’influence croissante du nazisme sur les autres fascismes à partir de 1933 et l’alliance entre puissances fascistes pendant la Deuxième Guerre mondiale ont finalement conduit, en 1938, à un alignement de l’Italie fasciste sur le racisme et l’antisémitisme d’État allemand. Mais ces traits étaient absents du fascisme italien des années 1919-1922 et même du fascisme régime jusqu’en 1938. » Enfin, avec humour, elle indiqua non sans panache panache à son confrère du FN « Savez-vous que le fait d’interdire l’utilisation du mot fasciste est typiquement fasciste ? », ce qui résumait à mes yeux tous les enjeux fondamentaux de ces échanges.

Pour terminer, Jean-Luc Mélenchon reprit la parole et je n’en garderai qu’une phrase : « Vous ne cesserez jamais à nos yeux d’être des fascistes ». Verdict, le 10 avril.

B) Les enjeux du procès Marine Le Pen contre Jean-Luc Mélenchon, et à propos de l’utilisation du mot « fasciste »

Aujourd’hui, jeudi 6 mars, s’ouvre à 14h au Palais de Justice de Paris à la 17e chambre, le procès qui opposera Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen. Cette dernière a porté plainte pour « injures » le 11 mars 2011 contre mon ami Jean-Luc, qui avait déclaré le 5 mars de la même année, à la caméra d’I télé qui lui demandait de réagir, à l’occasion d’une manifestation, à un sondage concernant l’élection présidentielle qui plaçait Marine Le Pen en tête : « Tout ça est une guignolisation de la politique. Pourquoi voulez-vous que les français soit le seul peuple qui ait envie d’avoir un fasciste à sa tête… ? ». Avouons déjà, qu’avec le recul c’est lui qui avait raison sur au moins au point : ce sondage était ridicule.

L’enjeu de ce procès nous concerne tous, particulièrement les citoyens engagés dans l’action politique, et j’espère que la presse aura à cœur de lui donner de l’importance dans sa restranscription et ses conclusions. J’insiste, il nous concerne tous. D’abord, c’est une étape de plus dans la volonté de « dédiabolisation » engagée dans le FN qui ne veut plus être appelé ni « fasciste », ni même « extrême-droite ». Concernant, ce dernier terme elle a déjà menacé de porter plainte contre ceux qui l’utiliserait, mais sans effet réel pour l’instant. Par malice, je souligne que Mme Le Pen a défendu la totale « liberté d’expression » de M. Dieudonné, mais n’agit pas de même quand il s’agit de ses adversaires politiques.

Mais surtout, dans le cas présent le terme de « fasciste » est ici un qualificatif politique pour décrire un courant de pensée de la vie française. La liberté de débat doit rester entière sur ce sujet. Ce n’est surtout pas à la justice de trancher de quelle façon on doit qualifier tel ou tel parti politique, sans quoi le débat politique verra peser sur lui une menace permanente. On ne peut judiciariser le débat politique, sans quoi c’est un sytème totalitaire qui se met en place. Ce n’est pas tolérable. Que chacun y réfléchisse. A titre d’exemple, lorsque des dirigeants du FN comme M. Bruno Gollnish me traitent régulièrement de « staliniens », je ne porte pas plainte contre eux, car j’estime que cela fait partie de la controverse politique même si je juge ces propos absurdes et marqués par l’ignorance.

Pour l’heure, je ne rentre pas dans le détail de ce que pourrait être la plaidoirie de Me Raquel Garrido, l’avocate de Jean-Luc Mélenchon. J’ai confiance dans sa vivacité d’esprit pour faire éclater l’absence de fondement de la plainte de Mme Le Pen et les enjeux publics, c’est-à-dire pour tous les citoyens de ce pays, que représenteraient une condamnation qui frapperait Jean-Luc. Elle aura face à elle Me Wallerand de Saint-Just, avocat du FN et de la famille Le Pen depuis fort longtemps et également candidat du FN à la Mairie de Paris. Sûr donc, qu’il y aura quelques étincelles demain au Palais. Il est fort regrettable que Marine Le Pen ne daigne pas venir à l’audience, malgré ses plaintes tous azimut. Cette désertion peu élégante annonce sans doute qu’elle a compris que son action en justice à toutes les chances de ne pas tourner à son avantage.

Egalement regrettable que le PS, toujours si disponible pour prendre la pose anti-FN quand cela l’arrange, n’est ici pas apporté le moindre soutien à Jean-Luc Mélenchon. Symptôme de la période, il y a une 15e d’années il eut été évident que toute la gauche se rassemble contre celui qui était attaqué à tort par le FN. Bah. Qu’importe, nous ferons sans eux, une fois de plus.

Enfin, plus généralement, à quelques heures de ce procès, je me permet de republier quelques-unes des pages de l’ouvrage que j’avais publié en janvier 2012 « Le Parti de l’étrangère, Marine Le Pen contre l’Histoire républicaine de la France » (Editions Tribord) car j’y apporte quelques éléments historiques qui me semblent justifier la pertinence de ce qualificatif politique à propos de Mme Marine Le Pen et son parti, longtemps présidé par son père avec lequel elle n’a jamais pris la moindre distance.

Pour ceux qui veulent le lire en intégralité, l’ouvrage est toujours en vente. Voici, ci-dessous, quelques passages du dernier chapitre.

A) A quelle tradition historique le Fn se rattache-t-il ?

C’est un fait. Toutes les idées révolutionnaires nées en 1789 qui ont fondées notre Nation produisent en réaction des idées contre-révolutionnaires. Plus elles furent radicales, plus la riposte fut forte. Il en est ainsi depuis des siècles. Cet affrontement – particulièrement dans les moments de fortes crises et de pourrissement du capitalisme – a toujours sécrété, de façon directe ou indirecte, des formations politiques rassemblant d’abord des petits-bourgeois inquiets pour leur avenir, frappés par le déclassement, ayant du mal à se situer sur l’échiquier politique, mélangeant réminiscences idéologiques et ressentiments psychologiques, mixant un nationalisme raciste extrême à une saisissante et violente démagogie anticapitaliste (du moins en paroles), allant de pair avec une haine du mouvement ouvrier organisé. (…)

Je considère tout de même qu’il n’est pas hors de propos de faire un parallèle entre l’entreprise actuelle de Marine Le Pen et les expériences passées de construction d’un parti fasciste « à la française ». J’ai lâché le gros mot : fasciste. Je m’explique. Si on ne le comprend que comme la reproduction du modèle nazi qui nous aveugle parfois, il n’est pas opérant pour comprendre. Le FN ne souhaite pas ouvrir des camps de concentration pour assassiner des millions de gens et militariser la société en la faisant défiler au pas de l’oie. Mais le fascisme originel, ce n’est pas cela. Dans les années 20 et 30, des millions de personnes ont été séduites par lui, et particulièrement parmi la jeunesse. L’écrivain Robert Brasillach disait qu’il était « la poésie même du XXe siècle, (…) l’amitié entre les jeunesses de toutes les nations réconciliées, (…) le fascisme immense et rouge. Je ne pourrai jamais oublier le rayonnement merveilleux du fascisme universel de ma jeunesse ». Cette idéologie se présentait alors comme moderne, oui, je dis bien moderne. Beaucoup de gens s’y sont reconnus car, estimaient-ils : on a tout essayé, sauf eux. La figure du fascisme était l’apparence d’une force, une énergie, une solution radicale aux problèmes. Le fasciste donnait parfois une conception ethnique de la nation, mais pas toujours, et véhiculait systématiquement un discours xénophobe. Il voulait un État fort et interventionniste, et professait une haine tenace contre le mouvement ouvrier, ses syndicats et ses partis. Il voulait refermer la parenthèse de 1789 et briser la force de la vague d’espoir née avec la Révolution bolchevique de 1917 dont il craignait qu’elle déferle sur la France.

Trop longtemps, nous avons été trompés par le néo-pétainisme et le discours économique ultra libéral de Jean-Marie Le Pen dans les années 80, serrant la main de Ronald Reagan. Pour un fasciste pur, qui déteste le libéralisme, là était l’anomalie plutôt que l’évolution actuelle du Front national sous la conduite de sa fille. Mais le père avait déjà opéré un tournant ces dernières années. Ouvrons les yeux, même si c’est inédit dans l’histoire, le fascisme peut tout à fait être conduit par une jeune femme, culturellement moderne, divorcée de surcroît, défendant l’homosexualité. Les nombreux exemples en Europe de leaders d’extrême droite aux visages inattendus, nous démontrent combien cela est devenubanal. Le fascisme n’est pas nécessairement une nostalgie, même si adhérer au fascisme peut représenter pour certain un acte de pureté retrouvée, le mythe d’une purification politique.

L’exemple du Parti Populaire Français (PPF)

Durant l’entre-deux-guerres, l’élan le plus sérieux vers un fascisme français fut le Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot. Cet homme est l’exemple même de la dérive fasciste. Longtemps espoir du PCF, il en sera exclu en 1934 car il désirait l’alliance de son parti avec la SFIO pour faire face à la menace fasciste qu’il pressentait ! Après cette exclusion, en quelques mois, il change radicalement de bord, essentiellement par haine du communisme. Il n’a pas été seul dans ce cas et tous se regroupèrent, établissant la jonction avec d’autres forces d’extrême droite. De cette synthèse, entre militants issus de la gauche et d’autres de la droite nationaliste, est née le projet fasciste. La haine de la gauche, du marxisme et capitalisme leur servait de ciment. Le PPF est né ainsi, officiellement en juin 1936, d’abord dans une sorte d’anti-antifascisme, hostile à la vague de grèves qui paralysait le pays. Il se voulait national, social et populaire. Il ne se plaçait pas en dehors du cadre légal et parlementaire, il n’était pas l’apôtre du parti unique et ne préparait pas de coup d’État. Surtout, il n’avait pas d’idéologie figée ni de système cohérent. Certains de ses dirigeants disaient d’eux-mêmes : « Un parti comme le nôtre n’est pas un parti comme les autres ; c’est un état d’esprit, une âme, une mystique… ». Ces membres se retrouvaient dans une exaltation d’une nation raciste, une violente haine anti-communiste et une détestation des régimes bourgeois autant que de l’internationalisme. Bric-à-brac idéologique, leur doctrine était floue, variable, impulsive. Ils affirmaient « la solution est dans une collaboration des patrons et des ouvriers, dégagée des influences politiques et soumise à l’arbitrage d’un État inspiré du souci de l’économie nationale et de la justice sociale. » L’un de ses intellectuels, Drieu la Rochelle, dénonçait « un système jacobin dégénéré » et le PPF affirmait : « Oui, nous qu’on traite de fascistes, c’est nous qui sommes les libéraux, contre ces vieux fascistes dégénérés que sont les pitoyables républicains d’aujourd’hui. Nous rendrons à la République ses libertés parce que nous sommes le parti vivant contre la lettre morte » Ce parti réclamait un « État populaire français » aux contours assez vagues.

C’est un homme qui deviendra dirigeant du PPF, Simon Sabiani, qui lança le premier le mot d’ordre « Ni gauche, ni droite, France d’abord ! ». Ce slogan fut aussi repris par Georges Albertini, secrétaire du RNP (Rassemblement national populaire) de Marcel Déat, un dirigeant d’extrême droite issue de la SFIO, engagé dans la collaboration, puis par le FN de Jean-Marie Le Pen qui ne pouvait ignorer la genèse de ce slogan et ceux qui l’avaient clamé avant lui. Cela n’a jamais dérangé personne au FN de s’emparer de mots d’origine fasciste.

Le PPF dénonçait les communistes et les étrangers car, selon eux, « qui que vous soyez… vous dépouilleront, vous égorgeront ! ». Il projetait de mettre en place des « syndicats nationaux » débarrassés de la présence communiste et étrangère. Il célébrait le 1er mai « la fête de Jeanne d’Arc ». Jusqu’en 1938, ce parti n’était pas antisémite.

Le PPF et le « Front de la liberté »

Selon les historiens, le PPF compta près de 130 000 membres en 1937. C’était un parti de masse, violemment opposé à l’œuvre du Front populaire et il proposa le 22 juin 1937, lors d’un meeting au vélodrome d’hiver, la constitution d’un « Front de la liberté » ouvert à toutes les autres formations de droite dures frappées par la dissolution des Ligues prononcée par Roger Salengro, ministre de l’Intérieur de Léon Blum. Toutes ces organisations après leurs dissolutions en 1936 s’étaient regroupées et avaient constitué le Parti social français (PSF), lui aussi bénéficiant d’une audience de masse – plus de 300 000 adhérents – sous la conduite du Colonel François de la Rocque, ancien dirigeant des Croix-de-Feu. Cette formation est également intéressante à observer. Un dirigeant historique du FN, sous les couleurs duquel il sera Conseiller régional et Député européen, Roland Gaucher, aujourd’hui décédé, fin connaisseur de la collaboration à laquelle il participa, avait écrit : « Sur le plan de l’encadrement bourgeois ou petit bourgeois, le Front national, au début de cette année 1997, peut être comparé au PSF dans les années 36-39. Le Pen est certes un meneur d’une autre trempe que le Colonel de La Rocque. ». On peut faire confiance à Gaucher qui vécu personnellement cette période. La comparaison démontre que les ancêtres du FN sont bien dans cette mouvance de l’extrême droite des années 30.

Ce projet de « Front de la Liberté », lançait par le PPF, qui se voulait une charnière entre la droite très conservatrice et l’extrême droite, échoua du fait de la pusillanimité des différents chefs en présence. Mais, il démontre la volonté pour l’extrême droite de la fin des années 30 de prendre le pouvoir par les urnes et de construire des alliances avec d’autres, en respectant la légalité. Heureusement, Doriot était un dirigeant inconséquent, manifestement corrompu, qui amena son parti en pleine déconfiture en 1939. Les années qui suivront seront pour lui celles de la collaboration avec le régime de Pétain. Il terminera sa vie en Allemagne, mitraillé par un avion anglais le 22 février 1945 sous l’uniforme SS, engagé dans la Légion de Volontaires Français (LVF).

Si ces exemples et rappels puisés dans l’histoire gardent une actualité, c’est qu’ils font entendre une musique très proche de celle jouée à présent par Marine Le Pen et son anticapitalisme de façade. Certes, le FN n’est pas le PPF. Ce dernier, encadré par quelques anciens communistes, mais pas seulement, et surtout par des hommes marqués par la bestialité de « la grande boucherie » de la première guerre mondiale, avait un savoir faire militant que le FN n’a pas à l’heure où sont écrites ces lignes. La composition sociale du PPF était essentiellement de classe moyenne et de déclassés, mais son principal dirigeant avait l’allure d’un militant ouvrier. Certains de ces cadresétaient implantés dans des secteurs ouvriers. Ils avaient parfois dirigé des grèves et animé des syndicats. Ils disposaient d’une réelle base populaire. Ils étaient capables d’affronter physiquement le mouvement ouvrier organisé. Là se situe la différence avec aujourd’hui, pour l’instant. Rien à voir avec les petits-bourgeois et les notables actuellement à la tête du FN, ou encore des personnages fantasques comme MM. Engelmann ou Collard. Mais il faut observer quelles dynamiques se sont mises en place. Dans les années 30, des femmes et des hommes, en quelques années, ont eu une trajectoire inattendue.

« S’il faut un jour un parti d’extrême droite… »

Dans son autobiographie, Marine Le Pen a écrit une phrase, passée inaperçue, qui ne cesse de m’interroger. « Je pense que le Front national, s’il faut un jour un parti d’extrême droite, est aujourd’hui un grand parti populaire ». Que veut-elle dire ? Que signifie ce « s’il faut un jour » ? Pour répondre à quelle situation ? Cette phrase curieuse et énigmatique illustre bien que le FN se voit comme une transition vers autre chose. Une étape vers un projet plus grand. Il accepte d’être l’élément moteur d’un futur « parti d’extrême droite » qui, selon les vœux de sa présidente, dirigerait le pays.

Ne jouons pas à nous faire peur. Nous n’en sommes pas là. Le FN voudrait se donner une allure de parti ouvrier et populaire, mais il en est loin. Des sondages affirment abusivement qu’il est « le premier parti ouvrier de France », mais ils oublient de dire que l’abstention est le premier comportement électoral des ouvriers, et que ces derniers, quand ils se déplacent pour le faire,votent encore majoritairement à gauche. Mais rien n’est acquis. Toutes les tentatives d’implantation du FN dans des usines ont rencontré une résistance. Les quelques syndicalistes qui le rejoignent sont des marginaux sans influence de masse, malgré leur médiatisation. Ses manifestations de rue sont quasi confidentielles. Force politique et électorale, est encore un nain comme force sociale. Mais demain ?

Fasciste ? Discutons-en

Peut-on alors faire un parallèle avec le FN de Marine Le Pen et les tentatives de construction d’un parti fasciste ? Est-ce le bon qualificatif ? Discutons-en. Pour ma part, après réflexion je considère qu’il reste le plus opérant. On peut lui préférer « néofasciste », ou « communautaro-fasciste » comme le dit Jacques Généreux particulièrement à propos de l’évolution de la société américaine sous l’impulsion de Georges W. Bush et que l’on pourrait étendre au FN. Pourquoi pas, c’est assez juste. C’est un débat d’intellectuels et d’historiens ayant toute sa pertinence et sa noblesse, il est utile, mais nul d’entre eux ne pourra nier qu’en dernière analyse, dans tous les cas de figure et quel que soit le terme choisi, il s’agit de relier l’acte de naissance du FN avec un courant politique bien précis. Je partage pleinement l’analyse de l’universitaire Larry Portis qui écrit : « Que l’on considère ou non le Front national comme fasciste, sa participation à la préparation d’une transformation des mentalités et des institutions n’est toutefois pas étrangère au fascisme ». De même, si l’historien Pierre Milza, dans son passionnant ouvrage écrit en 1987, constatant que Jean-Marie Le Pen se présentait alors comme un très droitier « Reagan français », conteste que l’on puisse considérer le FN comme un parti fasciste, c’est parce qu’il estime à juste raison que : « le fascisme au contraire dans sa version hexagonale, ne se veut ni de droite ni de gauche. Il est une idéologie de « troisième voie » entre le capitalisme et le collectivisme, entre le libéralisme et le socialisme. » Cela, c’était il y a 25 ans, mais peut-on encore être aussi affirmatif en 2011 avec le Fn conduit par Marine Le Pen ? Ce serait mal comprendre ce qu’elle est en train d’entreprendre. Elle aussi se dit désormais « ni droite, ni gauche » et à la recherche de cette « troisième voie ».

Autre référence, dans un ouvrage écrit en 1998, si l’universitaire Alain Bihr considère que le FN entretient un rapport « ambiguë » à l’égard du fascisme, il constate tout de même que « le FN possède bien, en partie, la base de classe caractéristique des mouvements fascistes dans leur phase de marche au pouvoir : des classes moyennes traditionnelles en révolte, entraînant dans leur sillage des éléments marginalisés (ou craignant de l’être) du prolétariat. » Depuis, cela ne s’est pas démenti. Ce faisant, nous partageons la mise en garde du spécialiste de l’extrême droite, Jean Yves Camus qui écrit : « existe-t-il ou non une continuité avec l’Action Française, les Ligues et l’idéologie de la Révolution nationale ? Il est évident que, si une bonne partie de l’encadrement du FN, comme la plupart des journalistes de la presse pro-frontiste, sont idéologiquement issues de ces filiations, l’électorat n’est pas, lui, réductible à un noyau permanent de fidèles du « fascisme français ». Il a raison, ne mettons pas un signe égal entre les dirigeants du FN et leur électorat. Mais, cela nous interdit-il pour autant d’employer le mot « fasciste » ?

Depuis 15 ans, le Front national a évolué, et pas sûr que tout le monde ait compris en quel sens. Il manque à présent que le FN conduit par Marine Le Pen depuis janvier 2011 soit analysé avec rigueur par des spécialistes et des historiens tels que ce fut le cas par le passé. Dès 1996, le journaliste spécialiste du sujet, Michel Soudais, avait bien compris les conséquences à terme de cette évolution à partir du moment où Jean-Marie Le Pen commençait à utiliser le slogan « ni droite, ni gauche, Français ». Ce dernier soulignait avec pertinence que « si les symptômes de cette transformation d’un mouvement de droite extrême en un parti d’extrême droite ont souvent été signalés à leur heure dans la presse, la logique qui les soutenait n’a que très rarement été évoqué. » Il voyait juste. Marine Le Pen est une étape supplémentaire de ce processus. Elle ne doit pas son élection uniquement du fait qu’elle est la fille de son père. (…)

Oui, fasciste… sinon quel terme ?

Quoi qu’il en soit, si le qualificatif politique de « fasciste » a, comme toute référence historique, des défauts et des faiblesses pour nommer le FN, il est tout de même à mes yeux bien plus rigoureux que les termes fourre-tout de « populiste » ou « national-populiste » qui ont le grand tort de semer la confusion, d’utiliser un adjectif dépréciatif ayant pour racine le mot « peuple » pour parler de l’extrême droite, de ne rien dire finalement de très précis et de mettre sur un même plan des choses qui n’ont strictement rien à voir les unes avec les autres, des Le Pen père et fille à Ségolène Royal, de Bernard Tapie à Nicolas Sarkozy, en passant par Hugo Chavez ou pire Jean-Luc Mélenchon tel que l’on fait certains commentateurs souvent mal intentionnés.

Pour rendre les choses plus claires, on pourra donc utiliser le mot de « fasciste » pour parler du FN à condition que l’on comprenne bien ce qu’est ce courant politique dans l’histoire, en acceptant que comme toute idéologie sa silhouette politique ait évoluée, donc pas seulement en une comparaison hâtive et plaquée maladroitement avec des formations allemande ou italienne des années 30.

Si, il n’y a aucun rapport avec le fascisme, alors pourquoi… ?

Car, si le FN n’avait aujourd’hui aucun rapport avec l’histoire du fascisme, comment serait-il possible que Jean-Marie Le Pen, toujours Président d’honneur du Front national, signe en 2002 la préface de la réédition d’un livre de François Duprat, militant fasciste assumé et négationniste actif, même si il préférait se qualifier de « nationaliste révolutionnaire », membre du Bureau politique du FN jusqu’à sa mort violente en 1978 ? Dans cette préface d’un livre qui raconte l’histoire de l’extrême droite française, Le Pen invite largement à lire et relire Duprat afin que les lecteurs « soient frappés par la similitude de certaines situations récentes et par la persévérance de ceux qui n’ont jamais accepté de subir les lois des ennemis de la France, de la liberté et de la vérité ». Dans son dernier discours de Président du FN, sorte de testament politique, le 16 janvier 2011, Jean-Marie Le Pen terminera son propos en rendant hommage à la mémoire « du professeur Duprat ». Il voulait manifester ainsi sa fidélité à l’engagement de cet homme. Existe-t-il donc quelqu’un ayant assez de toupet pour affirmer qu’en moins d’un an, la fille a totalement rompu ce fil politique, après avoir mis au placard seulement quatre ou cinq personnes ? Si elle voulait vraiment nettoyer son parti de tous les négationnistes, elle commencerait par exclure Jean-Marie Le Pen. Mais elle a toujours répété à la presse avec constance que les idées de son père étaient les mêmes que les siennes. Dont acte.

Si le FN n’a rien à voir avec la tradition fasciste, si Marine Le Pen n’a personnellement « rien à voir avec ces gens-là », comme elle le dit parfois, comment est-il possible qu’elle siégea tranquillement en 2007 au Parlement européen dans un groupe composé de seulement 20 parlementaires, nommé Identité Tradition Souveraineté (ITS), avec notamment deux députés italiens dont l’une se nommait Alessandra Mussolini ? Cette dame était la petite-fille du « Duce », et elle refusait de se rendre sur tous les plateaux de télévision italien où l’on rejetait ce qu’elle appelle « l’héritage mussolinien ». En 2006, elle avait même déclaré, lors d’une émission télévisée : « Meglio fascista che frocio », ce qui signifie « Mieux vaut être fasciste que pédé » ! Cela n’a pas empêché à Marine Le Pen de faire un groupe commun avec elle durant deux ans. Si le FN n’avait aucun rapport avec l’histoire des courants fascistes, comment est-il possible que son logo, la flamme tricolore, soit la reproduction conforme de celle du Mouvement Social Italien (MSI), formation qui se revendiquait comme le parti des « fascistes sociaux » ?

On comprend bien que Marine Le Pen ne veuille plus entendre ce mot pour parler d’elle. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la victoire des Alliés et la découverte de la monstruosité du crime antisémite nazi, il est proprement impossible à assumer pour quiconque brigue les suffrages des électeurs. Pour cette raison, je ne connais aucune formation politique en Europe se présentant aux élections (hormis en Italie, et encore) qui se réclame du fascisme. Mais est-ce à dire que ce courant politique a disparu ? Je ne le crois pas. Mme Le Pen entend saisir les tribunaux sitôt que quiconque utilisera un tel terme la concernant. Mais cela ne doit pas pour autant faire peur et « fasciste » reste une qualification politique, fruit d’un raisonnement, justifiée par une analyse historique, et il serait scandaleux que ce soit la justice qui décide de la façon de nommer l’extrême droite.

Tant de points communs avec le PPF

Nous l’avons vu : avant le FN, au moins un autre parti politique de 1937 à 1938 a eu un vocabulaire très comparable, une vision de l’histoire de France semblable, des rites identiques, des ambitions convergentes. C’était le PPF. On l’a vu, comme Mme Le Pen, ses dirigeants aussi refusaient le terme de fasciste. Pourtant, tous les historiens s’accordent à présent à le considérer comme une tentative de « parti fasciste à la française ». Pourquoi ne pourrait-on pas dire la même chose du projet de Mme Le Pen ? On peut au moins en débattre. Je pointe quelques traits communs. Elle rejette les idées des Lumières, exalte un nationalisme fermé et xénophobe, a horreur du marxisme et déteste le mouvement ouvrier dont elle veut limiter les moyens d’actions, se réclame du « ni droite, ni gauche » et veut bâtir une synthèse entre gens provenant de la gauche et de la droite nationale, recherche une troisième voie économique entre socialisme et libéralisme sous la conduite d’un État fort et centralisé. Finalement, qu’est-ce que le social-nationalisme du FN si ce n’est au mieux un « proto fascisme » ? S’il ne l’est pas réellement aujourd’hui, il est au moins le foyer dans lequel le grand incendie peut se déclencher. Le fascisme, c’est une dynamique qui s’accélère en fonction des événements. Il est logique que la présidente du FN le conteste, c’est la moindre des choses, mais j’insiste, les historiens et les dirigeants politiques ne doivent pas se taire pour autant par peur du procès. Il serait paradoxal que le FN, qui réclame sans cesse une liberté totale d’expression, veuille faire bâillonner par la justice ceux qui portent sur son action un jugement politique. Cela reviendrait à brider la liberté d’expression de tous ceux qui veulent nourrir le débat citoyen indispensable à toute société démocratique.

Et puis, on est en droit de demander à Marine Le Pen, qui recherche des racines partout, quelles sont celles, sur le plan idéologique, de son parti. Devrait-on accepter qu’il soit le seul mouvement politique à n’en avoir aucune ? Il n’aurait aucun passé, aucune histoire, aucun ancêtre ? Qui peut le croire ? C’est pour parer à cette question que le FN s’est fabriqué des filiations avec des dirigeants de la gauche, avec des figures républicaines. Ainsi, il cache son véritable arbre généalogique. Pour brouiller les pistes, Jean-Marie Le Pen disait parfois : « je suis un démocrate de type churchillien », sa fille désormais se dit « gaullienne ». Aucun esprit sérieux ne peut prendre pour argent comptant ces comparaisons. Pour moi, la seule filiation acceptable pour la pensée « mariniste » c’est dans la famille fasciste qu’on la trouve.


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