Faut-il soutenir la candidature de Junker (droite conservatrice) à la présidence de la Commission européenne ?

lundi 30 juin 2014.
 

1) Présidence de la Commission européenne : ma position (lettre de Jean-Luc Mélenchon aux eurodéputés GUE)

http://www.lepartidegauche.fr/actua...

2) Faut-il soutenir Jean-Claude Junker ? (Pierre Khalfa, Ensemble)

Pour quelqu’un (réellement) de gauche, Jean-Claude Juncker n’est pas un responsable politique très estimable. Premier ministre inamovible du Luxembourg de 1995 à 2013, cumulant la plupart du temps cette fonction avec celles de ministre des Finances et ministre du Travail, il a protégé férocement le statut de paradis fiscal de son pays. Il a été le président de l’Eurogroupe, qui réunit mensuellement les ministres des Finances de la zone euro, quasiment sans interruption depuis sa création en 2005 jusqu’au début de l’année 2013. Ce parcours a été brutalement interrompu en juillet 2013 lorsqu’il a été révélé que M. Juncker avait couvert les services de renseignements ayant fiché illégalement des centaines de milliers de citoyens luxembourgeois pour des raisons politiques. Membre du Parti populaire européen (PPE), la droite conservatrice, il a été un artisan sans état d’âme des politiques mises en œuvre depuis des années à l’échelle européenne. C’est un partisan farouche de l’orthodoxie budgétaire et il a soutenu les politiques d’austérité menées par la Troïka.

M. Junker a été désigné par le PPE pour être son candidat à la présidence de la Commission européenne. Car le traité de Lisbonne modifie le mode de désignation du président de la Commission en donnant un rôle clef au Parlement européen. Les chefs d’État et de gouvernement proposeront au Parlement européen un candidat à la présidence de la Commission, « en tenant compte des élections au Parlement européen ». Le candidat devra ensuite être approuvé par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent (soit 376 députés sur 751).

Lors de la campagne électorale, les candidats désignés par les différents partis européens - parmi lesquels Alexis Tsipras pour le Parti de la gauche européenne - se sont engagés à soutenir, pour la présidence de la Commission, le ou la candidat-e du parti arrivé en tête. Le PPE étant arrivé en tête, M. Junker devrait donc remplacer M. Barroso à la Commission. Las, les gouvernements ne l’entendent pas ainsi, voulant garder la main sur la désignation du candidat. En effet, un candidat issu d’un vote majoritaire du Parlement européen pourrait avoir des velléités d’indépendance par rapport aux gouvernements. Non que M. Junker puisse être tenté par cela, son passé plaidant pour sa docilité, mais on ne sait jamais. Ainsi, d’autres noms ont été avancés, celui de Michel Barnier ou de Christine Lagarde. Cependant M. Junker reste le candidat officiel du PPE et les parlementaires européens commencent à gronder, menaçant de voter contre tout autre candidat proposé par les gouvernements.

Angela Merkel, réticente, a bien dû se résigner à soutenir le vainqueur des élections. Mais c’est du Royaume-Uni qu’est venue la charge anti-Junker la plus violente. Le premier ministre David Cameron fait tout pour éviter qu’il ne devienne président de la Commission et les journaux anglais se sont déchainés contre lui. Aux yeux des conservateurs britanniques, M. Junker serait trop européen. Pour eux, l’Europe doit simplement être une zone de libre-échange - le Royaume-Uni avait créé l’Association européenne de libre échange en 1960 pour tenter de faire pièce à la Communauté économique européenne suite au traité de Rome -, et ne doit surtout pas avoir le moindre projet politique, ni la moindre politique commune. Ce pays a obtenu, avec la procédure de l’opt-out, de s’exonérer du respect de la Charte des droits fondamentaux, dont pourtant le contenu et la portée sont pour le moins peu contraignantes, ainsi que de la directive sur le temps de travail fixant à 48 heures par semaine le temps de travail maximum.

Quoi qu’il en soit, sonné par le résultat du parti antieuropéen et xénophobe UKIP (United Kingdom Independence Party) qui a terminé en tête des élections européennes avec 27,5 % des voix, M. Cameron essaie donc de faire monter les enchères, ce d’autant plus qu’il s’est engagé à faire un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne.

Les chefs d’État et de gouvernement doivent se réunir les 26 et 27 juin 2014 pour proposer un nom qui sera soumis ensuite au Parlement européen. Au-delà de qui sera le président de la Commission - Junker ou un autre conservateur, cela ne changera pas grand chose sur le fond des politiques menées -, l’enjeu est de savoir si cela va être l’occasion de changer son mode de désignation. Jusqu’à présent, le président de la Commission était désigné à l’issue de tractations obscures entre les différents gouvernements. Les parlementaires européens tentent d’imposer que ce dernier soit issu de la majorité politique du Parlement. Cette nouvelle procédure serait une avancée démocratique, certes modeste, mais réelle. Au-delà du cas Junker, c’est cette procédure qu’il faut soutenir comme l’a expliqué Alexis Tsipras. Ce serait un coin enfoncé dans une conception de l’Europe qui donne tout pouvoir aux gouvernements, ceux-ci décidant à Bruxelles entre eux, et sans aucun débat démocratique, des politiques qu’ils mènent dans leurs pays.

Pierre Khalfa – juin 2014

3) Sauver le soldat Juncker ? Certainement pas ! (Guillaume Liégard, Ensemble)

Les élections européennes achevées, un nouveau président de la Commission européenne doit être désigné pour remplacer Manuel Barroso. Les chefs d’Etat et de gouvernement proposeront un nom à l’issu d’une réunion les 26 et 27 juin qui sera ensuite soumis pour ratification (ou non) au Parlement européen. Le Parti Populaire Européen (PPE) qui dispose du groupe parlementaire le plus important avait désigné comme candidat Jean-Claude Juncker. Mais le choix de l’ex-premier ministre luxembourgeois est loin d’être assuré, et d’autres noms pourrait émerger. Le traité de Lisbonne, le permet, celui-ci indique en effet que le choix doit se faire « en tenant compte des élections au Parlement européen », ce qui est bien vague.

Entre Juncker, Michel Barnier ou Christine Lagarde éventuellement un ou une autre, la gauche radicale a-t-elle un candidat ? Cela n’a rien d’évident. Dans une lettre aux parlementaires de son groupe (GUE/NGL), Jean-Luc Mélenchon a récusé tout soutien au candidat du PPE : « Notre groupe ne doit être engagé d’aucune manière dans cette logique institutionnelle conduisant à soutenir directement ou indirectement un candidat de droite à la présidence de la Commission ».

Pourtant Alexis Tsipras dans le cours de la campagne des européennes, puis Pierre Khalfa dans une récente tribune nous enjoignent de soutenir la candidature de Jean Claude Juncker pour des motifs démocratiques. Ce dernier conclut ainsi son propos : « Ce serait un coin enfoncé dans une conception de l’Europe qui donne tout pouvoir aux gouvernements, ceux-ci décidant à Bruxelles entre eux, et sans aucun débat démocratique, des politiques qu’ils mènent dans leurs pays. »

L’argument paraît bien faible, d’abord pour des raisons d’opportunités. Par millions les européens viennent d’exprimer leur immense défiance vis à vis de la Communauté européenne. Par une abstention massive, par un vote dévoyé au profit de formations populistes et racistes voire ouvertement fascistes et dans une moindre mesure en apportant leurs suffrages à des partis de la gauche radicale, les peuples européens ont exprimé que tout simplement ils n’en peuvent plus. Et la bonne idée, les élections tout juste achevées, seraient d’aller soutenir un des principaux protagonistes des politiques libérales en Europe ? Ce serait absolument incompréhensible.

La défense d’une telle position au nom d’un rééquilibrage entre gouvernements et Parlement européen au profit de ce dernier paraît bien étrange. D’abord parce que l’éventuelle distorsion entre ces deux structures reste pour le moins à démontrer. Les deux principaux groupes, PPE et PSE, ont fait en sorte que tous les traités soit toujours avalisés par le Parlement. Certes le traité de Lisbonne a ouvert la voie d’un choix du président de la Commission qui pourrait passer par les électeurs eux-mêmes. Mais ce traité est surtout celui qui a permis d’instaurer l’essentiel du Traité Constitutionnel Européen malgré le refus de plusieurs pays dont la France en 2005 par référendum. Nous ne reconnaissons pas ce traité.

Enfin, plus ennuyeux, on perçoit mal avec une telle approche ce que serait la « désobéissance » aux traités si jamais la gauche radicale l’emportait dans un pays. Car soit les gouvernements décident soit on anticipe que le cadre fédéral est achevé et que débats et décisions devraient se faire dans le cadre du Parlement européen. Mais si tel est le cas, il n’y a plus d’espace pour une désobéissance et une confrontation menée par un ou plusieurs pays et il faut attendre d’être majoritaire en Europe. C’est attendre Godot.

Au sein de la gauche radicale, il existe un débat sur le degré d’affrontement avec la Commission européenne. Sur l’Europe, sur l’Euro des voix s’élèvent pour dire qu’un clash serait inévitable voire souhaitable. C’est aller un peu vite en besogne, et des marges de manœuvres existent surtout s’il s’agit d’un pays au poids démographique et économique conséquent. On ne peut donc présager l’issue d’une éventuelle négociation. Mais à l’inverse, le clash est-il exclu à priori ? C’est semble t-il la position de Pierre Khalfa. Lorsque Cédric Durand pose la question « Si la gauche radicale est en position de gouverner dans tel ou tel pays, va-t-elle négocier les conditions d’application de son programme avec Barroso, Draghi, Merkel ou leurs successeurs ? » [1]. La réponse de Pierre Khalfa est la suivante : « Il faudra évidemment porter la division parmi nos adversaires, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, passer des alliances tactiques, avancer certes hardiment, mais, sous peine de catastrophe, tenir compte des rapports de force, savoir hiérarchiser les objectifs et distinguer ce qui est le plus important à un moment donné pour pouvoir faire des pas en avant ». Une telle approche désarme en réalité la gauche radicale. Appliqué à un pays comme la Grèce, on voit mal ce que les rapports de force existants permettraient d’apporter si d’emblée et quoiqu’il arrive on annonce qu’on restera dans le cadre de l’Europe.

En appelant à voter pour Juncker, Alexis Tsipras pense sans doute créer un précédent dans l’optique des législatives grecs de 2016 où Syriza pourrait arriver en tête sans avoir de majorité. Le signal envoyé serait pourtant de la plus extrême confusion, rangeant le groupe GUE/NGL parmi les tenants d’une construction européenne décriée.

Ce serait une faute politique.

Guillaume Liégard


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message