8 octobre 1997 Début du procès Papon

dimanche 9 octobre 2022.
 

En 1997 après seize ans de procédure, l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde est jugé lors d’un procès fleuve devant les assises de Bordeaux.

« “Nom  : Papon. Prénom  : Maurice. Profession  : retraité.” Accompagné par un policier, l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, inculpé de crime contre l’humanité, vient de pénétrer derrière la cloison vitrée qui le sépare du public.  » Élisabeth Fleury, envoyée spéciale de notre journal au procès, avec Bernard Frederick et plus épisodiquement Jacques Moran, écrit les premières lignes d’un drame judiciaire qui va durer six mois. Élisabeth Fleury poursuivait  : «  À peine un rapide coup d’œil sur la salle, bondée, et le voilà assis, une bouteille d’eau à portée de main. L’homme âgé de quatre-vingt-sept ans n’a rien d’un vieillard sénile. On le sent attentif, l’œil rivé sur la nuque de son défenseur (...). Il est 14 h 5, ce mercredi 8 octobre 1997  : le premier et le dernier procès d’un haut fonctionnaire français sous Vichy vient de commencer. Celui d’un homme qui, d’un trait de plume, a permis l’arrestation et la déportation de 1 560 juifs de Bordeaux entre 1942 et 1944.  » La plupart d’entre eux seront exterminés dès leur arrivée.

L’acte d’accusation comprend 169 pages, avec les noms des parties civiles, descendants des victimes et des associations. Cela fait seize ans qu’ils attendent ce jour, seize ans d’une bataille judiciaire aux multiples rebondissements entre complaisances et silences. Au point qu’après la constitution d’un jury d’honneur, à l’initiative de Maurice Papon lui-même – il bénéficie de multiples appuis dans l’appareil d’État –, quatre cents pièces du dossier représentant cinq années d’instruction seront annulées et les seules personnes inculpées pour dénonciation calomnieuse seront les familles des victimes  ! Qu’il comparaisse est déjà une victoire

Car Maurice Papon n’est pas n’importe qui. Né en 1910, en Seine-et-Marne, fils d’un notable et élu local, il sera dès 1931 membre d’un cabinet ministériel. Rien d’étonnant à ce qu’on le retrouve donc secrétaire général de la préfecture. C’est un fonctionnaire de Vichy, mais, dès le 23 août 1944, alors que Paris vient d’être libérée, il est nommé préfet des Landes. Il n’est pas le seul à être recyclé. On estime commodément que ces fonctionnaires ont assuré la continuité de l’État. Ils sont aussi très utiles pour faire contrepoids à l’influence des communistes au sortir de la Résistance.

Pour Papon, c’est la suite de sa carrière qui va être – comment dire – prestigieuse… Préfet régional à Constantine dès les débuts de la guerre d’Algérie, il est préfet de police de Paris de 1958 à 1967. Les débuts du procès, destinés à dresser le portrait de l’accusé, rappelleront sa responsabilité dans la répression de la manifestation des Algériens du 17 octobre 1961 et de celle de Charonne en février 1962. Député du Cher en 1968, il est nommé, par Raymond Barre, ministre du Budget en 1978 et le restera jusqu’en 1981. C’est cette même année que sont découverts des documents touchant au «  service des questions juives  ». Ils attirent l’attention sur la responsabilité de Maurice Papon dans la déportation des juifs bordelais en dix convois ferroviaires vers Drancy, avant les camps de la mort.

Il faut en lire la liste dans l’acte d’accusation. Dans celui du 26 août 1942, il y a 81 enfants. Les plus âgés ont seize ans, les plus jeunes s’appellent Maurice Griff et Anné Leizerecwicz. Ils ont trois ans. L’avocat Daniel Boulanger, puis Serge Klarsfeld et Michel Slitinsky, fils d’un des déportés, vont mener un combat acharné pour l’inculpation de Papon. Qu’il comparaisse est déjà une victoire, mais l’accusé va jouer sur tous les tableaux. Dès les premiers jours, il obtient sa libération au motif de son état de santé. On le verra déjeuner dans un restaurant haut de gamme, en appréciant de grands vins. Car l’homme n’en rabat pas sur ce qu’il est ou prétend être. Un haut fonctionnaire, un homme au parcours irréprochable, serviteur de l’État. Tantôt toutefois, il ne se souvient pas  ; tantôt il n’a fait que transmettre un document, ignorait la destination des déportés, en aurait même sauvé quelques-uns et résisté à sa manière – ce qui ne sera jamais établi. Il biaise, brouilles les cartes, renvoie la balle à ses supérieurs au sommet de l’État ou à ses subordonnés. Jour après jour, la presse suit ce procès hors normes. L’Humanité enrichit les comptes rendus de séances de dizaines de témoignages, entretiens, reportages. Il s’agit du procès d’un homme, mais aussi d’une classe dirigeante qui, de lâchetés en compromissions et en proximités idéologiques, va collaborer consciemment à la bonne marche de la machine nazie. Le 2 avril 1998, Maurice Papon est condamné à dix ans de réclusion criminelle pour «  complicité de crime contre l’humanité  ». Laissé libre car il se pourvoit en cassation, il s’enfuit en Suisse mais est arrêté. Il ne fera que trois ans à Fresnes, en raison de son état de santé. Il meurt en 2007 et est enterré avec sa Légion d’honneur.

Maurice Ulrich, L’Humanité


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