La semaine glauque de la Ve République : ce gouvernement est légal mais il n’est plus légitime

jeudi 2 octobre 2014.
 

C’était la semaine glauque de la Ve République ! Une caricature de la monarchie présidentielle s’est jouée dans la solennelle salle des conférences à l’Elysée ! C’est pourquoi l’évènement me semble de plus longue portée que l’instant lamentable où il eut lieu. Car l’envers misérable du décor se vit bien vite. Ce décalage entre les apparences et la réalité contient si bien l’épisode actuel de la vie du pays. Il y a eu moitié moins de monde pour écouter le président de la République que la fois précédente, en dépit de la mise en scène impériale de la prise de parole présidentielle. Une salle ou pas un journaliste de la presse étrangère n’a été autorisé à intervenir ! Une salle où un premier rang étrangement composé « d’anciens journalistes de TF1 » et de « journalistes indépendants » s’agite pour avoir la parole jusqu’à l’obtenir. Deux indices montrant que la composition et la tenue de la salle n’ont pas été maîtrisés. « Le premier rang, c’est du sérieux ! » déclare même le président goguenard, tournant à la blague l’étrangeté de cet instant qu’il avait lui-même provoqué en faisant donner le micro aux agités ! Quant aux questions posées, la plupart en restèrent aux aspects les plus superficiels de l’agitation médiatique du moment.

François Hollande occupa l’espace et le temps en répétant les bavardages creux qui sentent si fort l’homme sans prise sur rien. À cet instant, son pouvoir ne tenait plus qu’au lieu et à la fonction. Il n’a d’ailleurs strictement rien annoncé ni pour le présent ni pour le futur. La veille même, son Premier ministre s’était réservé le bon morceau : annoncer l’abolition de l’impôt sur le revenu pour la première tranche. Toute l’importance du moment se concentra donc sur l’acte le plus monarchique de son intervention : nous apprendre que la France entre en guerre en Irak. Un jour plus tard, les frappes commençaient. Le Parlement n’eut à en connaître qu’une semaine plus tard. Et il ne fut pas autorisé à voter. C’était donc, ce jour-là, une annonce consternante à tous égards. Mais elle tenait ici le rôle essentiel : nous rappeler le pouvoir considérable de cet homme qui paraissait pourtant si insignifiant tandis qu’il parlait. Personne n’ayant eu l’impertinence de lui demander ce qu’il pensait de l’amenuisement progressif de sa majorité parlementaire. Ni du fait que le Premier ministre ait perdu la confiance de trente députés de plus de son propre parti en quatre mois. Il n’eut donc à s’expliquer ni à se justifier de rien. Pas même quand on lui soumit le texte de son livre où il annonçait qu’il lui faudrait s’en aller si les élections lui donnaient tort à mi-mandat. Il lui fut permis de ramener tout cela au vote de l’Assemblée sur la confiance. Et ce fut même l’occasion d’annoncer qu’en cas de refus de la confiance par les députés socialistes il aurait dissous l’Assemblée. Bref, le contraire de ce qu’il venait de dire. Mais l’avertissement pour le débat budgétaire a été donné. L’allure et le ton monarchique passèrent tout tranquillement. Mais dans le vide.

Toute cette comédie est venue comme une illustration de ce que nous pouvions dire de plus cruel à propos des institutions de la Ve République. Il est frappant que cette comédie ait eu lieu la semaine ou naissait dans la presse du pays une discussion sur la nature du régime et sur sa responsabilité dans le caractère devenu évanescent de sa vie politique. Les jours suivants tombèrent les sondages qui créent cette ambiance si particulière désormais. On apprit ainsi qu’une majorité écrasante « des Français » pensait ceci ou cela de ce que le président de la République avait dit, de l’impression qu’il avait donnée, et ainsi de suite. Étrange pertinence de cette « majorité de Français » quand on veut bien se souvenir qu’il n’y eut qu’un million quatre cent mille téléspectateurs pour regarder le chef de l’État sur leur téléviseur… En fait la situation est pire que la décrivent les sondages. La vérité est que la parole des gouvernants, même la plus éminente, n’a plus aucune portée sur le pays. Tout ce qui en vient semblent former une vaine agitation sans objet réel sinon une permanente manifestation d’impuissance. La suite du spectacle l’a confirmé.

Au-delà de tout ce que l’on peut penser du personnage, de son programme ou de ce que l’on voudra à son sujet, le retour de Nicolas Sarkozy, une fois mis de côté le suspense médiatique préfabriqué, reste un événement totalement incongru. Pourquoi revient-il, que fait-il au juste ? Si on se pose ces questions vu depuis la vie ordinaire des gens du commun, le retour de Nicolas Sarkozy semble recommencer une pièce déjà jouée. Une pièce dont l’inutilité fait désormais partie de la mémoire commune des Français. Car on a déjà essayé Sarkozy, on l’a échangé pour Hollande, et tout cela n’a servi à rien. Aucun problème n’a été réglé et d’abord pas celui du chômage qui crucifie la population. Je ne suis pas en train d’énoncer une opinion personnelle. Je décris le tableau tel qu’il est perçu par ceux qui me parlent quand je les pousse à me donner leur avis sur un sujet qui par ailleurs ne les intéresse pas spontanément ! Mais ce dont on peut être certain, c’est que ce retour, c’est un peu la scène de l’arrivée des vautours autour d’une bête qui agonise. Il n’y a aucun risque à prendre. Il suffit d’attendre sur la bonne branche et de s’approcher le plus possible pour accéder le plus vite possible à la charogne le moment venu.

« N’importe qui battra François Hollande », dit François Fillon, à juste titre. Dès lors, la compétition à droite gagnera en intensité. Comptons sur Hollande pour l’exacerber. Mais tout le champ politique suivra le déplacement du centre de gravité que la présence et le programme de Nicolas Sarkozy vont provoquer. Et on verra les éditoriaux se polariser : « vers le centre ou vers l’extrême-droite » ? Tout cela sur fond d’une certaine urgence. Car l’agonie accélère. Le Premier ministre a demandé un vote de confiance et il n’a pas obtenu la majorité absolue des députés du pays. Mais il reste à son poste. Le président de la République a convoqué la presse pour tracer ses perspectives : cela n’intéressait personne et le jugement final fut écrasant contre lui. Mais il reste en place. Et ainsi de suite. Seuls des esprits superficiels peuvent croire que les « lois de la physique politique » peuvent être bravées indéfiniment. Mais l’expérience de l’Histoire nous apprend que cela n’est pas possible.

De quelque façon qu’on prenne le problème, tout ceci tient en une phrase : ce gouvernement est légal mais il n’est plus légitime. À partir du vote de confiance en réalité refusée, cette équipe n’a plus aucune possibilité de rebond, plus aucun avenir à moins d’appeler par ce nom une agonie sans fin. Cela signifie que cet attelage est à la merci du moindre chaos du chemin. Dans la sphère politique, les conditions sont réunies pour qu’un événement fortuit, même mineur, jette tout le cortège au fossé. La discussion budgétaire est le rendez-vous qui peut précipiter beaucoup de choses. D’autant que le couple Premier ministre-président, traditionnellement instable, est aussi mal en point que leur situation commune devant le pays les y pousse. Mais n’importe quoi d’autre, même bénin peut faire chavirer. Comme nous connaissons la perversité du président, il faut imaginer le pire. Que peut-il espérer de sa politique d’ici la fin de son quinquennat qui le remette en selle ? Rien, cela va de soi. La seule situation qui lui redonne la force de sa position c’est évidemment la dissolution suivie d’une cohabitation avec la droite. Outre le plaisir de diviser la droite en choisissant le Premier ministre, il lui serait alors loisible d’attendre au chaud que les autres fassent le sale boulot, tout en jouant des poisons et dentelles de la cohabitation et de la paralysie de son parti tétanisé par la situation.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message