Au moins 15% de notre déficit extérieur résulte de la fraude fiscale des entreprises

mercredi 1er juillet 2015.
 

Voici une étude publiée par la Banque de France qui va faire parler d’elle. L’un de ses économistes, Vincent Vicard, a voulu mesurer précisément la façon dont les entreprises françaises manipulent les prix de transfert, les prix auxquels les mêmes filiales d’une multinationale se vendent des biens et des services, afin de minimiser leurs impôts. Et ses résultats sont fort intéressants !

Les multinationales utilisent de nombreuses techniques pour échapper à l’impôt. L’une d’elle consiste à fixer opportunément les prix des biens que s’échangent les filiales d’une même multinationale, de telle sorte à ce que celles situées dans les paradis fiscaux achètent peu cher et revendent très cher, afin d’y concentrer les profits qui seront peu taxés.

Une étude étroite mais détaillée

L’analyse de Vincent Vicard se concentre sur cette seule technique – elle ne cherche pas à mesurer la manipulation des prix de transfert sur la propriété intellectuelle, l’utilisation de stratégies d’endettement ad hoc, etc. – et représente donc une estimation très à minima des conséquences de l’optimisation fiscale agressive des grandes entreprises installées en France.

L’étude couvre les prix de près de 10 000 produits échangés

Si le champ d’investigation de l’étude est étroit, elle a l’originalité d’entrer dans le détail : l’économiste a estimé les prix de près de 10 000 produits exportés et importés par les entreprises françaises à destination et en provenance de 32 pays de l’OCDE.

Un premier indice

Lorsque les entreprises jouent des prix de transfert pour localiser artificiellement leurs profits là où ils seront moins taxés, on peut en lire le résultat dans la balance des paiements : le rendement des filiales situées dans les pays à faible fiscalité s’en trouve gonflé, ce qui contribue à accroître les revenus des investissements à l’étranger.

Le rendement gonflé de nos créances sur l’étranger

Ainsi, les comptes extérieurs de la France affichent-ils une particularité : alors que nous avons plus de dettes que de créances sur l’étranger, les flux de revenus que nous recevons de nos créances sont supérieurs aux flux de revenus que nous devons verser pour payer nos dettes. En moyenne, sur la période 2001-2010, nos créances nous rapportent un rendement de 4,7 % et nos dettes nous coûtent du 2,9 %. L’économiste de la Banque de France montre alors que, comme par hasard, les pays où l’on note un rendement bien supérieur sont justement ceux qui offrent des taux d’imposition plus faibles…

Les conséquences de l’optimisation

Se penchant plus précisément sur les manipulations de prix de transfert qui permettent de localiser les profits dans les pays adéquats, Vincent Vicard met en évidence trois résultats intéressants pour l’année 2014 :

- L’utilisation de cette technique permet une réduction de l’imposition de près de 12 % ;

- La manipulation consistant à artificiellement sous-estimer les prix des exportations et à surestimer les prix des importations, les données de nos comptes extérieurs font apparaître un déficit factice équivalent à 14,5 % de notre déficit commercial, un niveau très significatif ;

- Au cours des années 2000, ces pratiques n’ont cessé de croître.

Ces données soulignent combien les informations fournies aujourd’hui par les balances des paiements ne rendent plus compte précisément de la place des pays dans la mondialisation. Les stratégies d’optimisation fiscale agressive des entreprises conduisent à présenter une fausse géographie des échanges extérieurs, de biens et de capitaux, aux effets importants : près de 15 % de notre déficit extérieur est artificiel ! Un résultat qui, encore une fois, ne tient compte que d’une seule technique d’optimisation et mériterait donc d’être affiné par des études complémentaires. Il en va de la mesure exacte de notre compétitivité et de l’appréciation de notre stratégie d’insertion dans la mondialisation.

Christian Chavagneux


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