L’expérience de l’Unité populaire, de l’élection d’Allende au putsch de Pinochet (septembre 1970 – septembre 1973)

vendredi 11 décembre 2015.
 

« Le peuple du Chili a conquis le pouvoir politique sans se servir des armes. Il avance sur le chemin de la libération sociale sans avoir dû combattre un régime despotique ou une dictature, en luttant simplement contre les limitations d’une démocratie libérale. Notre peuple souhaite, à bon droit, parcourir l’étape de la transition vers le socialisme sans se servir d’un système de gouvernement autoritaire (…) Aujourd’hui, le Chili est le premier pays du monde appelé à construire le second modèle de transition vers la société socialiste »

Salvador Allende, discours au parlement, mai 1971

Résumé de l’expérience

Nationalisation des grands monopoles étrangers et nationaux

Poursuite de la réforme agraire (mais avec création de conseils paysans)

Relance de la production par relance de la consommation et augmentation du pouvoir d’achat : satisfaire les besoins sociaux + assurer les profits de la bourgeoisie moyenne.

L’objectif politique est bien de diviser la bourgeoisie et le patronat (entre petits et gros, entre bourgeoisie nationale et milieux liés aux multinationales étrangères).

Cette stratégie va se heurter à plusieurs obstacles

- La dynamique sociale va aller bien au-delà du programme de départ

- Le patronat ne va pas se diviser et les différents secteurs de la bourgeoisie vont progressivement s’unifier

A) L’élection d’Allende 4 septembre 1970 Allende : 36,3% (39.000 voix d’avance)

Premiers « complots »

La droite chilienne et le gouvernement américain vont, tout bonnement, essayer d’empêcher l’investiture d’Allende…

Manoeuvres impliquant la CIA, ITT, la droite et l’extrême droite chilienne, des secteurs de l’armée chilienne, les milieux patronaux chiliens, les grandes banques américaines et européennes

Trois axes :

- provoquer le chaos économique : crédit, arrêter les importations, en particulier le cuivre, etc…

- intervention de l’armée (coup d’Etat déjà en préparation…)

- manoeuvre parlementaire : faire élire Alessandri qui démissionnera pour repasser le pouvoir à Frei (le sortant)

La manoeuvre de trop : enlèvement puis l’assassinat du général Schneider (22 octobre) …

Du coup, la Démocratie chrétienne va laisser faire, le Congrès investit Allende (24 octobre) qui devient Président le 4 novembre.

Les premières mesures

Pouvoir d’achat / contrôle des prix / JAP

. Immédiatement (début 1971), réajustement des salaires. Face à uen inflation de 35% en 1970, les réajustements sont compris entre 35% pour le ssalaires les plus élevés et 66% pour les plus bas. Le gouvernement tente de contrôler l’inflation, notamment par le blocage des prix (d’un certain nombre de prix). Avec un relatif succès, pour les 6 premiers mois de 1971 : 12% d’inflation (contre 29% pour les 6 premiers mois de 1970…Hausse du PA ouvrier : # 20%.

. Relance de la consommation (accélérée par une politique de crédit pas cher pour l’industrie moyenne. Mais quelques problèmes d’approvisionnement… qui vont être considérablement aggravés de façon tout à fait consciente….

. Diminution du chômage. + 200.000 emplois Mais la bourgeoisie chilienne, moyenne comme grande, ne joue pas le jeu : grève de l’investissement

Spéculation sur les denrées et les produits courants

Juillet 1971 : « rencontre nationale des maîtresses de maison » en présence de Vuskovic qui appelle les « maîtresses de maison » à s’organiser pour contrôler le ravitaillement et les prix.

Création des JAP – Juntas de abastecimentios y precios - : collectifs populaires de contrôle du ravitaillement et des prix. Initiative du gouvernement, dynamique populaire. Les JAP se développeront surtout au cours de l’année 1972, quand les problèmes de ravitaillement vont s’aggraver.

Les débuts de la réforme agraire

Cadre législatif inchangé : celui du gouvernement précédent (réforme agraire juillet 1967). Moderniser l’agriculture : en finir avec le système des latifundia. Redistribuer les terres. Pour le propriétaire, droit de réserve jusqu’à 80 hectares « irrigués de base » maximum. Evaluation des équivalences par la justice. Outils et bêtes non expropriables.

Ce cadre va être débordé par les mobilisations paysannes dans deux directions :

. L’extension des expropriations et redistributions (à partir de 40ha, aussi les bêtes et les outils, etc…). Ce mouvement débouche sur des occupations. Pas complètement nouveau, mais accélération considérable : 16 en 1968, 121 en 69, 368 en 1970 et… 658 pour les 6 premiers mois de 1971…

. le développement des conseils paysans

A l’origine, une structure para étatique qui doit seconder les fonctionnaires chargés d’organiser la réforme agraire. Décret janvier 71 : conseil national paysan (+ déclinaisons provinciales et communales). Vertical : les attributions et la composition sont décidées par en haut. Doivent représenter les organisations et associations existantes – syndicats, coopératives, associations de fermiers, etc. – qui désignent leurs représentants…

C’était sans compter avec les mouvements paysans radicaux (notamment MCR). Dans la province de Cautin, un conseil se constitue : paysans mapuches + fermiers (influence MIR + PS) avec élection des représentants. Conflit avec le conseil provincial « officiel ». Un troisième conseil surgit, impulsé par la CUT (et le PC). Finalement, un conseil de 15 représentants, élus par les paysans….

L’exemple est suivi dans d’autres communes… La question : les conseils doivent-ils être composés de délégués élus par la base ou désignés au titre de leur organisation ?

Négociations au ministère (le MIR est représenté). Finalement : reconnaissance des conseils déjà constitués, nouveau système (15 élus + 2 par organisation). Parfois des conflits : ainsi, toujours dans la région de Cautin, en mars 71, le premier congrès provincial paysan qui regroupe 220 délégués des conseils paysans locaux décide de censurer le conseil provincial qui est dissous et replacé par un nouveau, avec 1 représentant par conseil local. Le mouvement se développe. Un an plus tard, en avril 1972 : 110 conseils « selon le décret », 45 conseils élargis (double représentation), 22 comités « de base » (élection directe).

En termes de résultats de la réforme agraire :

En 1970, les expropriations (qui ont commencé en 1965) représentent 18% des terres cultivables et 12% des terres irriguées. En août 1972, 50% des terres cultivables et 48% des terres irriguées.

Evidemment, les gros propriétaires ne se laissent pas faire ; il y a des affrontements armés. En Octobre 71, Moises Huentelaf paysan mapuche militant du MIR est assassiné. Hommage M. Enriquez Critique les hésitations du gouvernement sur le terrain paysan : « Le gouvernement n’a pas mobilisé les masses.

Ainsi, le gouvernement de l’Unité populaire a porté atteinte aux intérêts de la clase dominante. Mais il est devenu de plus en plus faible en n’incorporant pas les masses au processus et en ne frappant pas l’appareil d’Etat et ses institutions (…) La première tâche sera la dissolution du Parlement : en finir avec la majorité démocrate-chrétienne et nationale qui, du Parlement, agit contre les travailleurs ; le remplacer par une Assemblée du Peuple où seront représentés les ouvriers, les paysans, les pobladores, les étudiants et les soldats ».

La nationalisation du cuivre

En fait, les premières nationalisations importantes sont celles des banques, en décembre 70. Seize banques commerciales privées, chiliennes et étrangères passent sous contrôle de l’Etat : fin 1970, 90% du crédit. 70 entreprises industrielles sont expropriées, réquisitionnées ou placées sous le régime de « l’intervention ». La nationalisation la plus symbolique : le cuivre

Un processus en trois étapes

. 6 juillet 1971 : nationalisation de la commercialisation des exportations de cuivre

. 11 juillet 1971 : nationalisation des (grandes) mines de cuivre. Vote unanime du Parlement

. 28 septembre 1971 : évaluation des « bénéfices excessifs » des compagnies américaines nationalisées (depuis 1955…). Ils sont supérieurs – de 775 millions de $ - aux indemnités prévues…

L’Etat contrôle alors 85% des exportations et 45% des importations. Pour le gouvernement (axe Allende –PC), le programme de nationalisation est achevé et l’APS – Area de Propiedad Social, le secteur nationalisé – est défini…

Ce n’est pas l’avis, on le verra, de nombreux travailleurs des entreprises privées.

Ce n’est pas non plus l’avis… du Parti socialiste qui se livre à une critique de gauche du gouvernement. Octobre 1971 : « Pour l’élargissement de l’APS, sur la base d’une lutte de masse contre l’économiscisme et la NEP avant l’hégémonie du prolétariat ». Développe les limites du cadre juridique et des rachats… « extension de l’APS (…) lutte politique franche entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, mettant en jeu les relations de propriété, source du pouvoir de la bourgeoisie » Premières confrontations politiques

Après les élections municipales (mai 71)

51% pour l’Unité populaire. Première occasion manquée ?

Pour Allende, confirmation de la validité de son approche électorale, légaliste. Saisit l’occasion pour mettre en avant la « voie chilienne vers le socialisme ». Discours au Parlement : « Le peuple du Chili a conquis le pouvoir politique sans se servir des armes. Il avance sur le chemin de la libération sociale sans avoir dû combattre un régime despotique ou une dictature, en luttant simplement contre les limitations d’une démocratie libérale. Notre peuple souhaite, à bon droit, parcourir l’étape de la transition vers le socialisme sans se Servir d’un système de gouvernement autoritaire (…) Aujourd’hui, le Chili est le premier pays du monde appelé à construire le second modèle de transition vers la société socialiste »

Les premières critiques viennent… du Parti socialiste. Il faut immédiatement exploiter le résultat des élections municipales (volonté majoritaire) pour « détruire la base économique et institutionnelle de l’impérialisme dans notre pays ». Concrètement, le PS réclame l’accélération des nationalisations, la dissolution du Parlement et des instances judiciaires, la démocratisation du pouvoir militaire - là, le PS reste très vague, suggère des actions des militants socialistes en direction des militaires… Puis, le PS conclut en rappelant ses résolutions de congrès : « la conquête définitive du pouvoir, la destruction de l’appareil d’Etat bourgeois, la socialisation de moyens de production, passe inévitablement par un engagement armé entre classes, par l’écrasement de la sédition réactionnaire et bourgeoise ».

Tensions avec le MIR et au sein de l’UP

Juin 1971 : assassinat de Pérez-Zujovic (VOP). Offensive politique de la DC contre le MIR et contre l’Unité populaire. Reconstitution de l’unité de la droite. La droite de l’UP met en cause le MIR qui réplique en mettant en cause les hésitations de l’UP, notamment en matière d’extension de l’APS : « Certains secteurs ou individus de l’UP ont cru que c’était le moment d’ouvrir la polémique au sein de la gauche et d’exiger du MIR qu’il se définisse ou qu’il médite (…) Ce n’est pas le MIR qui doit se définir ; c’est le PC qui doit se définir non à l’égard des « prises de terres arbitraires » mais à l’égard des prises des grandes industries et des fundos, à savoir si elles sont une forme légitime ou non de lutte des travailleurs »

L’offensive de la droite

Au niveau parlementaire, la démocratie chrétienne lance un processus de réforme constitutionnelle (Hamilton – Fuentealba) : il s’agit de définir dans un sens strict et restrictif l’APS. La droite a la majorité… mais pas les 2/3 permettant de modifier la constitution. Sortir de « l’impasse constitutionnelle » va être le prétexte de la droite de l’UP pour relancer « la négociation avec la démocratie chrétienne »… qui n’a aucune intention de parvenir à un accord mais cherche seulement à affaiblir l’UP. Au niveau de la confrontation sociale, fin 1971, la bourgeoisie organise les « manifestations des casseroles » : femmes des beaux quartiers, DC, parti national, milices fascistes « Patrie et Liberté ». Mise en accusation du Ministre de l’Intérieur (pour la répression de la manifestation et pour le GAP). Revendication des travailleurs du cuivre (50% vs 22%). Epreuve de force est différée…

Le Manifeste de Linares

Province agricole avec forte polarisation entre paysans et latifundistes. Paysans moyens. Forte pression base paysanne radicale sur l’UP. Résultat, en décembre 1971 : manifeste signé par tous les partis de l’UP, le MIR et le conseil provincial paysan. Le PC désavoue. Ce document considère que « la loi de réforme agraire actuelle ne correspond pas aux véritables intérêts des paysans » et, en conséquence, lance des mots d’ordre de lutte : 1) élimination immédiate du latifundio, 2) l’expropriation des fundos « à portes fermées » 3)baisser de 80 à 40 hectares la limite d’expropriation des domaines 4) pas d’indemnisation (les paysans ont déjà payé) 5) élection des conseils paysans et extension de leurs prérogatives etc… Janvier 1972 : autocritique de l’UP (El Arrayan)

Vers l’affrontement (octobre 1972)

Première étape : la crise de mars 1972

Pression internationale (dette chilienne), révélations sur les complots ITT / CIA, relance de la réforme constitutionnelle (février). Du coup, un ministre – membre du PIR (parti de la gauche radicale, scission de droite du Parti radical) – engage des négociations avec la DC. Il est désavoué et le PIR quitte l’UP.

Un nouveau complot militaire est démasqué

La riposte d’Allende : un militaire au Ministère des Mines. Ce qui ne va nullement désarmer la droite. La polarisation politique s’exprime à travers une « compétition » de manifestations de masse :

- 11 avril manifestation de toute la droite (DC, PN, orgas patronales, Patrie et Liberté) : 200.000

- 18 avril, au même endroit, UP rassemble 400.000 manifestants. Allende annonce la mise sous séquestre des biens d’ITT

Accélération sur le terrain de la réforme agraire.

Développement des JAP, dénoncées par la droite comme des organisations illégales.

Relance des occupations d’entreprises (à l’initiative, notamment, du MIR) : montée en puissance de la revendication d’être intégré à l’APS. Au final, le nombre d’entreprises « sous contrôle » - c’est-à-dire nationalisées ou « sous intervention » - est très supérieur à celui prévu par le programme de l’UP. Et le mouvement continue. MIR pas isolé : non seulement secteurs radicaux de la classe ouvrière mais aussi des secteurs du PS : le Ministre de l’économie, Pedro Vuskovic impulse le mouvement et assume l’occupation de l’usine « Ceresita ». Appartient à un groupe allemand, en pleine renégociation de la dette… La nationalisation est suspendue. La droite UP (soutiens PS d’Allende + PC) attaquent Vuskovic.

L’Assemblée du Peuple (Concepcion)

Mai 1972, à la suite d’une manifestation (sans PC) constitution du groupe des Cinq (PR, PS, MAPU, IC, MIR) qui appellent à une Assemblée du Peuple. Négociations infructueuses avec le PC. La droite dénonce un acte de sédition. Discussions laborieuses sur l’organisation (qui parle ? les syndicats ? les partis ?, etc..). Finalement, table ronde avec 2 tours de parole pour les partis. Ca ne se passe pas comme prévu : après le MIR, « la parole au peuple, la parole au peuple ! ». 36 interventions, etc… Mais quel est l’objectif ? Un centre d’agitation et de mobilisation… ou un pouvoir alternatif ?

Conclave de Lo Curro : essai de redéfinir l’orientation de l’UP

La ligne « Allende + PC » - consolider pour avancer - triomphe. Le ministère de l’économie est retiré à Vuskovic. Interview d’Orlando Millas qui met les points sur les i : « il faut regretter que l’indiscipline et le volontarisme qui, en matière agraire, ont conduit à la transgression du programme de base du gouvernement de l’UP aient éloigné de nous de grandes masses paysannes et les agriculteurs moyens ; on observe la même chose dans l’industrie et le commerce (…) le programme de base du gouvernement précise que le secteur de la propriété sociale regroupera uniquement certaines activités (…) les occupations de petites et moyennes industries sur le mot d’ordre de leur étatisation ont été d’une aide immense dans la défense des intérêts de certains grands monopoles (…) il ne faut pas étonner que, de nouveau au cours de notre expérience actuelle, certains cercles bourgeois animés de préjugés anti-communistes fournissent un appui logistique au MIR » Les négociations avec la DC reprennent et le PC s’en félicite.

Entre 800.000 et 1 million de manifestants pour l’Unité populaire (septembre 1972). La crise d’octobre :

C’est l’épreuve de force, qui prend d’abord la forme d’une grève patronale, d’une grève de la bourgeoisie : il s’agit de paralyser l’économie et l’ensemble des activités économiques et sociales, de frapper les couches populaires en les privant, par exemple, de nourriture et de soins médicaux. 11 octobre : grève illimitée des transporteurs routiers. Appel immédiatement suivi par les commerçants, les médecins, les architectes, les avocats, les employés de banques, les propriétaires de transports en commun. Des patrons décrètent le lock-out et arrêtent la production.

Double riposte :

- le gouvernement réquisitionne certaines activités

- mais, surtout, l’essentiel de la riposte vient de la mobilisation populaire dans les quartiers et les entreprises

Dès le 15 octobre, des collectifs de travailleurs occupent certaines entreprises, reprennent la production et se dotent de nouvelles formes d’organisation : les cordons industriels.

AG regroupant les délégués des entreprises d’une même zone industrielle. Puis ils s’élargissent à d’autres organisations de représentation populaire : juntes de voisins, JAP, Centres des Mères, Volontaires de santé etc… Pour assurer le maintien des activités de production, le ravitaillement, le système de santé, les cordons industriels se coordonnent au niveau supérieur (localité ou regroupement de localités) : commandos (commandements) communaux.

Exemple spectaculaire : la santé. Grève des médecins et des infirmières qualifiées. L’activité va reprendre à plein régime avec quelques médecins et infirmières non grévistes, les aides soignants et des étudiants en médecine… Dans les entreprises, le pouvoir populaire se développe...même dans celles qui n’ont pas vocation à faire partie de l’APS. Problème à venir lors du retour du patron…

Cette expérience va considérablement radicaliser et modifier les mentalités Exemple : interview d’une habitante du campement « Nueva Habana » « Nous connaissons maintenant la force du patron, mais nous savons que nous sommes forts. Maintenant, nous ne luttons pas seulement pour que les riches augmentent nos salaires. Nous savons que nos droits s’étendent depuis le droit d’occuper son usine à celui de la lui prendre, et jusqu’à celui de la faire produire et de la diriger nous-même. C’est là qu’est notre force. Souviens-toi d’Octobre ! »

La grève patronale s’achève le 6 novembre. Mais, le 30 octobre, Allende a annoncé un nouveau gouvernement qui comprend plusieurs généraux et les principaux dirigeants de la CUT. Telle est la réponse du gouvernement à la mobilisation populaire qui a fait échouer la grève patronale…

La marche au coup d’Etat

Elections législatives et « Tancazo »

Roberto Thieme, dirigeant de Patrie et Liberté : « Au Chili, le système démocratique libéral va disparaître définitivement (…) C’est pour cette raison que nous avons maintenant un gouvernement marxiste (…) Nous ne trouverons pas une solution grâce aux méthodes traditionnelles des partis politiques. Nous trouverons une solution grâce aux forces armées, aux hommes de travail ».

Elections législatives (mars 1973) : 44% UP (+10%), doublement du nombre d’élus. Et, surtout, la droite n’a pas les 2/3 lui permettant de modifier la Constitution…

Infléchissement à gauche du discours du PC. Louis Corvolan : « Jamais nous n’avons considéré que la voie de la révolution chilienne était une voie exclusivement électorale. C’est un chemin d’affrontement de classe constant et de lutte aiguë (…) Nous devons donc profiter, comme nous le faisons de l’appareil d’Etat et développer parallèlement, simultanément tous les types d’organisations populaires » Mais, il marque aussi la limite : « Nous concevons les cordons industriels comme partie intégrante de la CUT, comme organisations de base de la CUT, et non comme des organisations parallèles et divisionnistes du mouvement syndical »

Le 21 juin, 700.000 manifestants à l’appel de la CUT. Inflexion Allende vers le « pouvoir populaire ». Le 27 juin, agression de l’extrême droite contre le Général Prats.

Le 29 juin, c’est le « Tancazo » : siège de la Moneda par un régiment de blindés putschistes.

Prats prend la tête des troupes fidèles et obtient la reddition des putschistes. Parallèlement, mobilisation populaire dans le cadre des cordons industriels et des commandos communaux. Les travailleurs réclament des armes. Certains commandos communaux envisagent de se lier avec les soldats. Le MIR intensifie un travail au sein de l’armée. Interviewé par Chile Hoy, le secrétaire général (socialiste) de la CUT :

« Le gouvernement est entravé par les lois, ligoté par l’institutionnalité, par le Congrès, par le Contrôle général de la République et toute cette toile d’araignée oppressante de la légalité bourgeoise. Nous autres, les travailleurs, nous n’avons aucune raison de nous sentir placés dans la même situation ». A une autre question, il répond : « Une unité militaire, dans un secteur géographique donné, devrait, je pense, désigner des délégués au commando communal ».

Ce lendemain de coup d’Etat manqué est la dernière occasion perdue.

Juillet – août : la droite prépare l’affrontement

D’abord, l’armée va mettre en oeuvre la loi sur le contrôle des armes, par des perquisitions violentes - de vraies provocations – dans les usines, les quartiers populaires, les sièges des partis de gauche. A l’inverse, les milices d’extrême droite ne sont pas inquiétées… Fin juillet, vague d’attentats terroristes et début d’une nouvelle grève des transporteurs.

Début Août, à Valparaiso et Concepcion, des centaines de marins et de sous-officiers anti-putschistes sont arrêtés par les services de sécurité de la Marine et torturés.

Le gouvernement tente de relancer la « négociation avec la démocratie chrétienne » autour de la législation sur l’APS.

Déclaration Edgardo Enriquez : « La contre-offensive doit commencer tout de suite, sans attendre la permission de ceux qui sont prêts à capituler, mais directement à partir des forces qui sont décidées à résister, en partant d’initiatives autonomes, même si elles sont prises en marge ou contre la volonté de certains (…) Ce sont les ouvriers des usines des cordones industriales, ce sont les syndicats, c’est la Centrale Unique des Travailleurs et les comandos communales qui doivent décider du sort des trois cents et quelques entreprises occupées par les travailleurs ». Le MIR évoque également « la préparation d’une grande grève générale », un « bond en avant dans l’organisation des commandos communaux » qui « exige du gouvernement le renvoi des officiers putschistes ».

Le 9 Août, Allende forme un nouveau gouvernement : une nouvelle fois, la réponse aux menées de la droite et au coup d’état (raté)… c’est l’entrée des militaires au gouvernement. Mais cette fois, une nouvelle étape est franchie : il s’agit des chefs des trois armes (armée de terre, aviation, marine) et du chef des carabiniers. Manifestation hostile – aux militaires – devant la Moneda. Mais, sans vraiment mettre en cause Allende…. C’est la mise en oeuvre d’un projet de gouvernement CUT – militaires qui existait avant même le Tancazo, projet défendu essentiellement par Allende et le PC.

Déclaration du Président communiste de la CUT : « Les Forces Armées sont toujours, en fait, très proches des travailleurs et je dirais qu’elles ont une grande estime pour les travailleurs, et apprécient notre fonction peut-être mieux que ne le fait aucun autre secteur, parce que leur fonction propre qui est de défendre le pays est inséparable de ce que font les travailleurs pour l’économie (…) Une économie forte, une classe ouvrière capable d’impulser l’économie dans le sens ascendant, c’est là une sécurité et une garantie pour l’efficacité du rôle des forces armées. Il y a une identification d’intérêts patriotiques entre eux et nous. »

A partir de ce moment – la formation du gouvernement - on a une accélération continue de l’offensive de la contre-révolution.

17 Août : démission du gouvernement du chef d’état-major de l’aviation. Opération militaire héliportée contre le mouvement paysan et mapuche de la région de Temuco (MIR + PS)

20 Août : manifestation de femmes d’officiers pour la démission du général Prats.

21 Août : assemblée des généraux demande la démission de Prats, du gouvernement et de l’armée

23 Août : la Chambre des députés déclare le gouvernement illégal

24 Août : Prats démissionne du gouvernement et de son poste de commandant en chef de l’armée de terre. Il est remplacé par Augusto Pinochet.

Fin Août : la justice militaire navale lance des inculpations contre les secrétaires généraux du MIR, du MAPU… et du PS. Pour avoir appelé les militaires à se rebeller. Ce qui se traduit par une demande de levée de l’immunité parlementaire pour les deux derniers… et un mandat d’arrêt pour Miguel Enriquez…

De fait, le MIR qui considère maintenant le coup d’Etat comme imminent a effectivement entamé un travail au sein de l’armée. Il est persuadé que, pourvu que la gauche soit à la hauteur, l’armée peut se diviser. Sa dernière déclaration publique, fin Août, se conclut par un appel à la désobéissance face au putsch qui s’annonce : « Lancer un appel aux soldats, aux soldats du contingent, aux sous-officiers aviateurs et carabiniers, pour qu’ils désobéissent aux officiers du putsch et luttent aux côtés du peuple.

La classe ouvrière, les travailleurs, étudiants, paysans, officiers honnêtes, sous-officiers, soldats du contingent, marins, aviateurs, carabiniers, doivent créer leur armée : l’armée du Peuple et affronter l’armée professionnelle de la bourgeoisie commençant ainsi une guerre révolutionnaire »

4 septembre : 800.000 manifestants pro-Allende qui indique qu’il ne se retirera que si le peuple le lui demande. Les manifestants réclament des armes.

5 septembre : nouvelle marche des casseroles

10 septembre : les travailleurs de l’usine Sumar, épaulé par le cordon industriel de la zone résistent les armes à la main à une perquisition de l’armée qui se retire. 11 septembre :

- Bombardement de la Moneda et suicide d’Allende

- Réunion des directions du MIR, du PS et du PC dans l’usine Indumet (cordon industriel San Joaquin). Nouvelles dissensions entre d’un côté le PC et de l’autre le MIR et le PS. Affrontement avec l’armée. Un des rares exemples….

- au soir du 11 septembre, l’armée contrôle le pays. Pour l’essentiel, elle ne s’est pas divisée. Pour l’essentiel, car il y a eu des actes de résistance : massacre des cadets de l’école de sous-officiers à Concepcion, 3000 carabiniers fusillés, …

La résistance populaire est restée sporadique. La répression, elle, sera exemplaire : chasse aux militants de gauche, internés dans les stades. 50.000 morts dans les premiers mois de la dictature.


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