Révo cycle 3

samedi 27 juillet 2013.
 

PRS FORMATION Cycle sur la Révolution française Textes et documents de la séance n°3 1 La portée universelle de la Révolution française 2 « La cause du peuple français est celle de toute l’Europe, ou plutôt celle du monde entier » Thomas PAINE Extraits de Rights of Man, 1791 « La cause du peuple français est celle de toute l’Europe, ou plutôt celle du monde entier ; mais les gouvernements de tous les pays ne lui sont aucunement favorables. Il est à propos de ne jamais perdre de vue cette distinction. Il ne faut point confondre les peuples avec leurs gouvernements, et particulièrement le peuple anglais avec son gouvernement. [...] Quant à la nation anglaise, au contraire, elle a des dispositions très favorables à la Révolution française et au progrès de la liberté dans l’univers entier ; et ces dispositions deviendront plus générales en Angleterre, à mesure que les intrigues et les artifices de son gouvernement se découvriront et que les principes de la Révolution française seront mieux entendus. Il faut que les Français sachent que la plupart des papiers-nouvelles anglais sont directement à la solde du gouvernement, ou si indirectement liés avec lui qu’ils sont toujours à ses ordres ; et que ces papiers-nouvelles défigurent et attaquent constamment la Révolution de France afin de tromper la nation ; mais comme il est impossible d’empêcher constamment les opérations de la vérité, les faussetés que contiennent journellement ces papiers ne produisent plus les effets désirés. » « La Révolution française manifeste une prise de position si universelle et si désintéressée, qu’elle prouve à elle seule la tendance morale de l’humanité. » Emmanuel KANT Extrait du Conflit des facultés, 1798 « Même si le but visé par cet événement n’était pas encore aujourd’hui atteint, quand bien même la révolution ou la réforme de la constitution d’un peuple aurait finalement échoué, ou bien si, passé un certain laps de temps, tout retombait dans l’ornière précédente (comme le prédisent maintenant certains politiques), cette prophétie philosophique n’en perd pourtant rien de sa force. Car cet événement est trop important, trop mêlé aux intérêts de l’humanité, et d’une influence trop vaste sur toutes les parties du monde pour ne pas devoir être remis en mémoire aux peuples à l’occasion de certaines circonstances favorables et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de ce genre. » 3 « C’est la France qui a donné au monde ses grandes révolutions. » Eric J. HOBSBAWN, historien britannique (marxiste) Extrait de l’Ere des révolutions 1789-1848 « La Grande-Bretagne a fourni le modèle des chemins de fer et des usines, l’explosif économique qui a fait éclater les structures économiques et sociales traditionnelles du monde non européen ; mais c’est la France qui a donné au monde ses grandes révolutions et qui en a fabriqué les idées, au point qu’un drapeau tricolore d’une couleur ou d’une autre, est devenu l’emblème d’à peu près toutes les nations nouvelles et que la politique européenne (et même mondiale) entre 1789 et 1917, fut largement une lutte pour et contre les principes de 1789, ou contre ceux, plus incendiaires encore, de 1793. C’est la France qui a fourni le vocabulaire et les solutions de la politique libérale et radicale démocrate, dans presque tout l’univers ; la France qui a fourni le premier grand exemple, le concept même et le vocabulaire du nationalisme ; la France qui a fourni les codes civils, le modèle d’une organisation scientifique et technique, le système métrique adopté par la plupart des pays. C’est par l’influence française que l’idéologie du monde moderne a pénétré les civilisations anciennes qui, jusque-là, avaient résisté aux idées européennes. Et tout ceci fut l’oeuvre de la Révolution française ». 4 « Dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français. »

François MITTERRAND

Extraits du Discours d’ouverture du Congrès mondial du Bicentenaire, Sorbonne, 6 juillet 1989

« Sur le moment, vous le savez, en Europe et en Amérique, on commenta avec passion ce renversement tumultueux d’un ordre séculaire. D’Angleterre, Burke prit sa plume hostile, Thomas Paine lui répondit et, outre Rhin, Fichte à son tour se mobilisa pour rectifier les jugements du public sur la Révolution française en affirmant le droit de l’humanité au changement.

Chacun connaît les réactions de Goethe au soir de Valmy et ces anecdotes qui sont peut-être légende mais disent le vrai sur un état d’esprit. Kant interrompant sa promenade quotidienne à Koenigsberg à l’annonce de la prise de la Bastille ; Hegel tout jeune homme, plantant un arbre de la liberté dans la cour du collège de Tübingen en compagnie, dit-on, de ses amis les poètes Hölderlin et Schelling. Si ceux-là et bien d’autres encore réagirent si vivement à l’événement, c’est que la Révolution française était partie prenante d’une onde sensible dans l’Europe entière.

En témoignèrent les révolutions genevoise, batave, brabançonne. La République de Mayence, le soulèvement irlandais. Et la Pologne. Bien des militants de ces tentatives défaites, trouvèrent asile en France. Ils y prirent à nos côtés part à la Révolution qui souvent les fit citoyens français. D’autres, comme Miranda, y forgèrent des convictions qu’ils mirent ensuite au service de la libération de l’Amérique latine. Bref, dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français. Je puis dire sans risque de me tromper que ce mouvement, avec le temps, ne fait que se confirmer et s’étendre.

Les acteurs du début de la Révolution, dès la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, avaient conscience de la portée universelle de leurs proclamations. Carnot, dans le langage de l’époque, y voyait l’honneur de la France, « ce grand magasin où les peuples qui veulent recouvrer leurs droits, viendront se pourvoir des moyens d’exterminer les tyrans ».

D’une certaine manière, ce pronostic s’est vérifié, y compris contre les prétentions dominatrices de l’Occident. Quel meilleur exemple en donner que ces déclarations de responsables du mouvement nationaliste algérien qui, à trois époques différentes, éprouvèrent le besoin pour conforter la légitimité de leur lutte d’évoquer les idéaux de 1789 ?

Je pourrais multiplier les citations. La Révolution française servit à beaucoup de référence dans la lutte contre certains comportements de la France elle-même et il ne faut pas voir dans cette contradiction une condamnation mais au contraire une justification. »

5 « Terminer la Révolution » : tradition contre-révolutionnaire et lectures libérales de la Révolution française 6 Edmund BURKE Extrait des « Réflexions sur la révolution de France », 1790 [...] Il sera gravé dans l’histoire que dans la matinée du 6 octobre 1789, le Roi et la Reine de France, après un jour de confusion, d’alarme, d’épouvante et de meurtres, sous la garantie d’une sécurité qui leur avait été promise, s’étaient retirés dans leurs appartements pour accorder à 14 nature quelques heures de repos, et à leur profonde douleur un répit de quelques instans ; que la voix de la Sentinelle qui était à la porte de la Reine interrompit en sursaut son sommeil ; qu’il lui cria de se sauver ; que c’était la dernière preuve de fidélité qu’il pût lui donner... ; qu’on arrivait à lui, qu’il allait périr, et qu’à l’instant il fut massacré ; qu’une bande de scélérats et d’assassins tout couverts de son sang se précipitèrent dans la chambre de la Reine et que ne trouvant plus cette illustre infortunée qui venait d’échapper à leurs coups en fuyant par des dégagemens qui leur étaient inconnus pour chercher un asile auprès d’un époux et d’un Roi dont la vie n’était guère plus assurée, avaient percé son lit de cent coups de poignard ; que ce Roi, pour ne rien dire de plus de lui, que cette Reine, que leurs jeunes enfans (qui d’un seul coup pouvaient devenir la gloire et l’espérance d’un Peuple nombreux et généreux) furent forcés d’abandonner le sanctuaire qui les retenait dans le palais du monde le plus splendide, et de fuir un séjour inondé de sang, souillé de meurtres et jonché des membres de tous les corps qu’on avait mutilés ; que de là, ils furent conduits dans la Capitale de leur Royaume ; que dans le carnage confus et sans motifs des gentilshommes qui composaient la garde du Roi, on en avait choisi deux pour être décapités au milieu de la cour de ce palais, avec toute la pompe d’une exécution juridique ; que leurs têtes portées sur des piques servirent de guides ; qu’elles ouvrirent, qu’elles dirigèrent la marche ; que le Roi et sa famille la terminaient en captifs ; qu’on traînait lentement Leurs Majestés au milieu des hurlemens horribles, des cris perçants, des danses frénétiques, des propos infâmes, et de toutes les horreurs inexprimables des furies de l’enfer, sous la forme des femmes les plus viles ; qu’après avoir été forcées de goûter ainsi goutte à goutte une amertume plus cruelle que la mort, à endurer un semblable supplice pendant un trajet de douze milles, qui a duré plus de six heures, elles ont été confiées à la garde de ces mêmes soldats qui les avaient amenées au milieu d’un tel triomphe et confinées dans une des anciennes Maisons royales de Paris, que l’on a convertie aujourd’hui en bastille pour les Rois. [...] Dans ce nouvel ordre de choses, un Roi n’est qu’un homme comme un autre, et une Reine qu’une femme ; une femme n’est qu’un animal, et encore n’est-il pas du premier ordre. On va traiter de romanesques et d’extravagants tous les hommages que l’on rendait au beau sexe en général, en tant que tel et sans distinction d’objets. Le régicide, le parricide, le sacrilège ne seront plus que des fictions superstitieuses propres à corrompre la jurisprudence en lui faisant perdre sa simplicité. Le meurtre d’un Roi, d’une Reine, d’un évêque, ou d’un père ne seront que des homicides simples ; et si par événement on en commettait qui pussent tourner au profit du peuple d’une manière quelconque, de tels homicides doivent être très pardonnables, et l’on ne devrait jamais, à cet égard, faire de recherches trop sévères. D’après le système de cette philosophie barbare, qui n’a pu naître que dans des coeurs glacés et des esprits avilis, système aussi dénué de sagesse que de toute espèce de goût et d’élégance, les lois n’auront plus d’autres gardiens que la terreur qui leur est propre, et elles n’existeront que pour exercer les spéculations de ceux qui auront à les consulter pour leur ven-geance, ou à les éluder pour leurs intérêts. On ne verra dans les bosquets de leurs académies, et dans les lointains de tous leurs points de vue que des potences. La chose publique est désormais dépouillée de toutes ses ressources pour engager l’affection. D’après les principes de cette philosophie mécanique, aucunes de nos institutions ne peuvent jamais être per-sonnifiées, si je puis m’exprimer ainsi, de manière à faire naître en nous l’amour, la vénération, l’admiration ou l’attachement. 7 Louis-Ambroise DE BONALD Extrait de l’Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social, ou Du pouvoir, du ministre et du sujet dans la société, 1800. « Un homme qui n’a écrit et parlé que dans des circonstances remarquables, demandait en 1789 : qu’est-ce que le tiers ? expression qui désignait alors en France la personne du sujet. je demande aujourd’hui : qu’est-ce que le pouvoir et le ministère, appelés alors en France et encore aujourd’hui dans d’autres états royauté et noblesse ? et comme la question proposée par cet écrivain annonçait qu’une révolution allait commencer, la question que je traite annonce qu’une révolution va finir ; car le sujet commence toute révolution, et le pouvoir la termine [...]. » Charles MAURRAS Extraits des Réflexions sur la Révolution de 1789, publié en 1948 Si j’étais assez énnemi de mon pays pour être républicain, ce n’est pas au 14 juillet que je voudrais fêter l’anniversaire de notre plus mémorable tentative de suicide. L’esprit de la Révolution n’a donné sa mesure que le jour de la mort du roi, et, quand on jette un coup d’oeil sur la liste des régicides, quand on se rend compte de leurs votes antérieurs, on voit que pour les plus illustres, le crime du 21 janvier courronnait un long édifice de crimes. [...] En détruisant l’organisation religieuse, territorial et professionnelle, les traditions de la race, les acquisitions de l’histoire, ils ont saccagé tout l’avoir national. [...] C’est dès le 23 juin 1789 que la vieille France a commencé de périr, quand elle s’est laissé imposer le vote par tête au lieu du seul vote normal, celui qui se faisait par groupes d’intérêt et par coprs d’Etat. [...] Identifiée au génie des ruines, la Révolution sera mise hors la loi de l’histoire. [...] La Révolution a partour échoué. Qui nous parle de tradition révolutionnaire ? Profondément, il n’y en a pas. Pierre CHAUNU, professeur à l’université Paris IV, membre de l’Institut et de l’Académie des sciences morales et politiques, 1986 « Nous n’avons jamais eu l’ordre écrit de Hitler concernant le génocide juif, mais nous possédons ceux de Barère et de Carnot relatifs à la Vendée. D’ailleurs, à chaque fois que je passe devant le lycée Carnot, je crache par terre. » « La Révolution française est un minuscule segment, dangereusement cancéreux,de notre histoire. » 8 « 1789 ouvre une période de dérive de l’histoire. » François FURET Extrait du « Catéchisme révolutionnaire », Revue des annales, 1971 « Le débat à propos de la Révolution, dans son aspect politico théâtral est en réalité une farce ou un combat d’ombres. Sur le plan politique, rien ni personne ne menacent dans la France actuelle, l’oeuvre de la Révolution française. [...] La Révolution française est au pouvoir dans la société et dans les institutions notamment universitaires. [...] Je veux simplement dire par là que tout débat historique à propos de la révolution française ne comporte plus aucun enjeu politique réel. » Citations extraites de Penser la Révolution, 1978 « La Révolution est terminée. » « 1789 ouvre une période de dérive de l’histoire. » Propos publiés dans le Nouvel Observateur, 1986 « Aux beaux jours de la Révolution bolchévique, 1793 préfigurait 1917. Dans cette fin du XXème siècle qui a vu mourir l’utopie communiste, la Terreur est le premier pas vers le Goulag. » Extraits de La Révolution en Débat, 1999 « Elle veut fonder la société, l’homme nouveau, mais sur quoi ? [...] D’où l’obsession même de cette absence de point d’arrêt, si caractéristique de son cours entre 1789 et 1799. On n’en finirait pas d’énumérer les moments et les hommes qui ont eu pour thème ou pour ambition principale cette ambition d’arrêter la Révolution. Mounier, dès juillet 1789, puis Mirabeau, La Fayette, Barnave, les Girondins, Danton, Robespierre, chacun d’ailleurs à leur profit jusqu’à ce que Bonaparte y parvienne pour un temps, mais, justement, seulement pour un temps (et en étendant à tout l’espace européen la dérive révolutionnaire) : sans capacité réellement fondatrice du social. La succession même de ces tentatives dans un temps si extraordinairement court en souligne le caractère étroitement instrumental, et la vanité philosophique. Même la fête de l’Etre suprême (juin 1794), qui est probablement l’effort le plus pathétique fait par la Révolution française pour dépasser l’éphémère et l’immanent, ne parvient pas un instant à apparaître comme autre chose qu’une tentative de manipulation de la part d’un pouvoir provisoire. L’ambition constitutive de la Révolution française, qui est de l’ordre du fondamental, ne cesse d’être le terrain des manoeuvres et des soupçons, snas jamais parvenir à exister indépendamment d’eux, au-dessus d’eux, comme si la Révolution en tant qu’histoire ne pouvait dépasser sa propre contradiction interne, qui est d’être à la fois la politique et le fondement de la politique. 9 [...] Il faut ou bien la finir ou bien la continuer, signe que dans les deux cas elle est toujours ouverte. Pour la finir, le seul point d’arrêt disponible est 1789 [...]. Mais à ceux qui veulent la continuer, la Révolution offre aussi un point de départ, pour peu qu’on accepte de considérer 1793 non plus comme une dictature provisoire de détresse, mais comme une tentative avortée d’aller au-delà de l’individualisme bourgeois, et de refaire une vraie communauté sur le dépassement des principes de 1789. [...] Ainsi ce que la Révolution française fait voir, à son niveau le plus profond, n’est pas tant son échec que la fatalité de son échec. Elle s’est annoncée comme un passage brusque entre deux « régimes », une modalité particulièrement radicale du changement, qui permet de tracer une ligne entre un avant et un après [...]. Mais cet investissement sans limites dans l’action historique a porté les Français de la fin du XVIIIe siècle à ce que Marx a appelé l’‘illusion du politique’, en assignant à leur Révolution la tâche proprement infinie de la régénération de l’homme. [...] En d’autres termes, l’idée révolutionnaire à la française est condamnée à dépérir sous le poids de son histoire réelle [...]. » 10 « Continuer la Révolution » : La Révolution française comme fil rouge de la gauche ? 11 « Il y a encore des Bastilles à prendre. » Pierre-Joseph PROUDHON Toast à la révolution, publié dans Le Peuple, 1848 [...] Ne perdons jamais de vue cet ordre du développement révolutionnaire. Au témoignage de l’histoire, la fraternité, but suprême des révolutions, ne s’impose pas : elle a pour condition la liberté d’abord, l’égalité après. Comme si la Justice nous disait à tous : hommes, soyez libres, citoyens, devenez égaux, et puis frères, embrassez-vous. Mais, citoyens et hommes libres, si nos pères de 89 ont fait beaucoup pour la liberté et l’égalité, s’ils ont ouvert plus profondément la route de la fraternité, ils nous ont laissé encore plus à faire. Il y a encore des Bastilles à prendre. La Justice n`à pas dit, en 89, son dernier mot, et qui sait quand elle le dira ? Ne sommes-nous pas témoins, nous, génération de 1848, d’une contre révolution pire que celle des plus mauvais jours de l’histoire, d’une misère pareille à celle des temps féodaux, d’une oppression de l’esprit et de la conscience, t d’un abrutissement de toutes les facultés de l’homme, qui dépassent tout ce que l’on a vu aux époques les plus affreuses de la barbarie ? Nous sommes excommuniés du genre humain. Qu’est-ce que la politique, alors que nous manquons de pain, alors qu’on nous ôte jusqu’au travail ? Citoyens, j’en jure par le Christ et par nos pères de 89 ! La Justice a sonné sa quatrième heure ! Et malheur à ceux qui ne l’ont point entendue ! Ainsi, la Révolution, après avoir été tour à tour religieuse, philosophique, politique, est devenue économique. Et comme toutes ses devancières, ce n’est rien de moins qu’une contradiction au passé, une sorte de renversement de l’ordre établi qu’elle nous apporte. Sans ce virement complet de principes et de croyances, il n’y a pas de Révolution, il n’y a que mystification. Aujourd’hui le travail est à la discrétion du capital. Eh bien ! la Révolution vous dit de changer cet ordre. 12 « Nous sommes tes fils, Révolution. » Victor HUGO Extraits de William Shakespeare, 1864. La Révolution, c’est la France sublimée. Il s’est trouvé, un jour, que la France a été dans la fournaise ; les fournaises à de certaines martyres guerrières font pousser des ailes, et de ces flammes cette géante est sortie archange. Aujourd’hui pour toute la terre de France s’appelle Révolution ; et désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie. Je le répète, ne cherchez pas ailleurs le point d’origine et le lieu de naissance de la littérature du dix-neuvième siècle. Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos oeuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poèmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, pour tout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour conclure logiquement et marcher droit, oui, pour consoler, oui, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, la fainéantise en travail, l’oisiveté en utilité, la centralisation en famille, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du nègre, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution ! 13 « La République adopte la date du 14 juillet comme jour de fête nationale. » Débat parlementaire sur le choix du 14 juillet comme date de fête nationale. 8 juin 1880 Antoine Achard, député radical de la Gironde, présente, à la séance du 8 juin 1880, le rapport de la vingtième commission sur la proposition de loi de M. Raspail : « La République adopte la date du 14 juillet comme jour de fête nationale. » : « - Nous avons à vous faire connaître les motifs de sa décision. L’organisation d’une série de fêtes nationales rappelant au peuple des souvenirs qui se lient à l’institution politique existante est une nécessité que tous les gouvernements ont reconnue et mise en pratique. Le rapporteur : « N’est-ce pas un sentiment élevé, impérieux que celui qui pousse les citoyens d’une République aux manifestations collectives, par lesquelles leur esprit se retrempe, se raffermit, où les coeurs fraternisent, où chacun, oubliant la lutte douloureuse pour l’existence, se fond dans un milieu irrésistible de solidarité patriotique... » (Bruits.) Cuneo d’Ornano : « On n’entend rien ! Attendez le silence ! » Le rapporteur : « Les grands, les glorieux anniversaires ne manquent pas dans notre histoire. Celui qui vous est désigné est mémorable à double titre ; il rappelle en effet la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 et la grande Fête de la Fédération célébrée le 14 juillet 1790. [...] Le peuple, du reste, n’a jamais hésité sur la signification de la date du 14 juillet qu’il a toujours célébrée de préférence à toute autre ; sa fête à lui, parce qu’elle était la fête de la Liberté et de la Patrie. C’est donc, en quelque sorte, la consécration légale d’une fête populaire que vous demandent les auteurs de la proposition dont nous venons de vous entretenir. Votre commission d’initiative ne doute pas, Messieurs, que vous la preniez en considération. » (Applaudissements à gauche.) [...] De la Rochefoucauld, duc de Bisaccia, monte à la tribune : « Messieurs, je viens m’opposer énergiquement à la proposition qui vous est faite. Je serai très bref... Je rappellerai, Messieurs, une parole de Monsieur Thiers qui a dit que la République tombe forcément dans l’imbécillité ou dans le sang. (Exclamations au centre et à gauche.) Cette date que vous choisissez pour établir la fête de la paix, cette date que Monsieur le rapporteur a déclarée glorieuse, quelle est-elle en fait ? Quatre-vingts malheureux invalides ont été égorgés par une population en fureur. Voilà la vérité. » (Rumeurs à gauche.) Plusieurs membres à droite : « L’histoire est là pour le prouver ! » De la Rochefoucauld : « Mettez la République sous une telle invocation si vous le voulez, quant à nous, nous nous contenterons de protester et de regarder avec dédain vos fêtes. » [...] 14 « La Révolution française est un bloc. Elle n’est pas finie. Elle dure encore. » Georges CLEMENCEAU Extraits d’intervention à la Chambre des députés, 29 janvier 1881. Assurément, on n’a pas osé faire ouvertement l’apologie de la monarchie contre la République. On ne pouvait pas le faire à la Comédie-Française. On a pris un détour, on s’est caché derrière Danton. Depuis trois jours, tous nos monarchistes revendiquent à l’envi la succession de Danton. (Rires et applaudissements à gauche. Interruptions à droite.) J’admire, quant à moi, combien de dantonistes inattendus ont surgi tout à coup de ce côté (la droite) de la Chambre. (Applaudissements à gauche et au centre.) Toute cette comédie n’eût pas dû revivre ici. Il est temps d’en finir avec toutes ces tartufferies indignes de cette Assemblée. (Interruptions et bruit.) Je dis et je répète puisqu’on m’interrompt, que la pièce est tout entière dirigée contre la Révolution française. Voyez donc qui l’applaudit et dites-moi qui pourrait s’y tromper. Mais voici venir M. Joseph Reinach qui monte à cette tribune entreprendre le grand oeuvre d’éplucher à sa façon la Révolution française. Il épluche en conscience et, sa besogne faite, nous dit sérieusement : Je garde ceci, et je rejette cela ! (Vifs applaudissements à gauche.) M. Joseph Reinach. Mais vous-même vous n’acceptez pas Thermidor ! M. Clemenceau. J’admire tant d’ingénuité. Messieurs, que nous le voulions ou non, que cela nous plaise ou nous choque, la Révolution française est un bloc... (Exclamations à droite. Nouveaux applaudissements à gauche.) M. Montant. - Indivisible ! M. Clemenceau. ... un bloc dont on ne peut rien distraire (réclamations à droite. Applaudissements prolongés à gauche) parce que la vérité historique ne le permet pas. ... Ah ! Vous ne voulez pas du tribunal révolutionnaire ? Vous savez cependant dans quelles circonstances il a été fait. Est-ce que vous ne savez pas où étaient les ancêtres de ces messieurs de la droite ? (Double salve d’applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre. Protestations à droite.) ... Et maintenant, si vous voulez savoir pourquoi, à la suite de cet événement sans importance d’un mauvais drame de la Comédie française, il y a eu tant d’émotion dans Paris, et pourquoi il y a à l’heure présente tant d’émotion dans la Chambre, je vais vous le dire. C’est que cette admirable Révolution par qui nous sommes, n’est pas finie, c’est qu’elle dure encore, c’est que nous en sommes encore les acteurs, c’est que ce sont toujours les mêmes hommes qui se trouvent aux prises avec les mêmes ennemis. Oui, ce que nos aïeux ont voulu, nous le voulons encore. (Applaudissements à gauche.) Nous rencontrons les mêmes résistances. Vous êtes demeurés les mêmes ; nous n’avons pas changé. Il faut donc que la lutte dure jusqu’à ce que la victoire soit définitive. En attendant, je vous le dis bien haut, nous ne laisserons pas salir la Révolution française par quelque spéculation que ce soit, nous ne le tolérerons pas ; et, si le gouvernement n’avait pas fait son devoir, les citoyens auraient fait le leur. (Applaudissements répétés à gauche. L’orateur, en regagnant son banc, est félicité par un grand nombre de ses collègues.) 15 Karl MARX et Friedrich ENGELS Extrait de la La Sainte Famille, 1845 [...] La Révolution française a fait éclore des idées qui mènent au-delà des idées de l’ancien ordre du monde. Le mouvement révolutionnaire, qui prit naissance en 1789 au Cercle social, qui, en cours de route, eut pour représentants principaux Leclerc et Roux, avait fait éclore l’idée communiste que Buonarrotti, l’ami de Babeuf, réintroduisit en France après la révolution de 1830. Cette idée, élaborée avec conséquence, c’est l’idée du nouvel état du monde. [...] Karl MARX Extrait de Commentaires pour un Communiste, 1848 « La République démocratique est la forme d’Etat la plus commode pour le combat libératoire des prolétaires. » Extraits du 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852 Hegel note quelque part que tous les grands événements et personnages historiques surviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : une fois comme grande tragédie et la fois d’après comme misérable farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848-1851 pour la Montagne de 1793-1795, et le connétable de Londres avec les premiers venus d’une douzaine de lieutenants endettés pour le petit caporal avec sa table ronde de maréchaux ! Le 18 Brumaire de l’idiot pour le 18 Brumaire du génie ! [...] Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, ainsi que les partis et les masses de l’ancienne Révolution française, accomplirent sous le costume romain et avec des phrases romaines la tâche de leur temps : l’émancipation et la création de la société bourgeoise moderne. Les uns anéantirent le sol féodal et fauchèrent les têtes féodales qui y avaient poussé. L’autre Napoléon créa à l’intérieur de la France les conditions qui permirent désormais de développer la libre concurrence, d’exploiter la propriété foncière parcellaire, d’utiliser les forces productives industrielles de la nation, libérées de toute entrave ; et au-delà des frontières françaises, il balaya partout les institutions féodales, compte tenu du besoin de procurer à la société bourgeoise en France un milieu correspondant, approprié à l’époque sur le continent européen. [...] La révolution sociale du XIXème siècle ne peut puiser sa poésie dans le temps passé, mais seulement dans l’avenir. Elle ne peut commencer avec elle-même avant de s’être dépouillée de toute superstition à l’égard du passé. Les révolutions antérieures eurent besoin des réminiscences empruntées à l’histoire universelle pour s’aveugler elles-mêmes sur leur propre objet. La révolution du XIXème siècle doit laisser les morts enterrer leurs morts, pour atteindre son propre contenu. Dans les premières, la rhétorique dépassa le contenu, dans celle-ci, le contenu dépasse la rhétorique. Les révolutions bourgeoises, comme celles du XVIIIème siècle, s’élancent toujours plus rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, hommes et choses semblent enchâssés dans des diamants de feu, chaque jour l’esprit est en extase ; mais leur vie éphémère, leur point culminant est bientôt atteint, et la société est prise d’un long mal aux che- 16 veux, avant d’apprendre, une fois dessoûlée, à assimiler les résultats de son Sturm und Drang. Les révolutions prolétariennes, au contraire, comme celles du XIXème siècle, se soumettent elles-mêmes à une critique permanente, ne cessent d’interrompre leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà avoir été acquis, pour le recommencer une fois de plus, raillent sans complaisance les velléités, faiblesses et misères de leurs premières tentatives, semblent n’assommer leur adversaire que pour le laisser tirer du sol des forces nouvelles et se redresser encore grandi en face d’elles, ne cessent de reculer devant l’immensité chaotique de leurs propres buts, jusqu’à ce qu’enfin la situation créée rende tour retour en arrière impossible. Jules GUESDES et Paul LAFARGUE Extrait de l’Essai critique sur la Révolution française et le XVIIIème siècle, 1883 [...] Impossible de comprendre comment les fameux Droits de l’homme, depuis près d’un siècle qu’ils ont été proclamés, ont abouti à un nouvel esclavage de l’humanité, homme, femme, enfant, pire que l’ancien. Cette double lutte admise, au contraire, voici rétablie l’unité de la Révolution du XVIIIème siècle, qui, ramenée aux proportions d’une révolution de classe, de la révolution du tiers État, a dû être aussi fatalement conservatrice contre le quatrième État à son aurore que subversive contre la noblesse et le clergé à leur déclin. Et c’est pourquoi cet Essai critique que nous plaçons sous le patronage du vrai vaincu de cette période, le peuple ouvrier, n’eût-il d’autre mérite que de fournir la clé des événements contradictoires en apparence qui ont donné naissance au monde moderne, nous estimerions avoir fait oeuvre plus qu’utile, indispensable. [...] Jules GUESDES 1874 « La République c’est le régime qui a massacré 10 000 ouvriers parisiens en 1848 et une trentaine de milliers en 1871. N’attendez rien de ce régime. » 1878 « La République est aujourd’hui un immense pas en avant. » 1889 « La République est la forme politique nécessaire à l’affranchissement du prolétariat. » (plateforme du Parti Ouvrier Français, POF) 1904 « La République est le terrain idéal de la Révolution. » 17 Jean JAURES Extrait de l’Introduction de l’Histoire socialiste de la Révolution française, 1901 C’est du point de vue socialiste que nous voulons raconter au peuple, aux ouvriers, aux paysans, les événements qui se développent de 1789 à la fin du XIXème siècle. Nous considérons la Révolution française comme un fait immense et d’une admirable fécondité ; mais elle n’est pas, à nos yeux, un fait définitif dont l’histoire n’aurait ensuite qu’à dérouler sans fin les conséquences. La Révolution française a préparé indirectement l’avènement du prolétariat. Elle a réalisé les deux conditions essentielles du socialisme : la démocratie et le capitalisme. [...] Marx ne conteste pas que déjà, dans les ténèbres de la période inconsciente, de hauts esprits se soient élevés à la liberté ; par eux l’humanité se prépare et s’annonce. C’est à nous de recueillir ces premières manifestations de la vie de l’esprit : elles nous permettent de pressentir la grande vie ardente et libre de l’humanité communiste qui, affranchie de tout servage, s’appropriera l’univers par la science, l’action et le rêve. C’est comme le premier frisson qui dans la forêt humaine n’émeut encore que quelques feuilles, mais qui annonce les grands souffles prochains et les vastes ébranlements. [...] Et nous ne dédaignerons pas non plus, malgré notre interprétation économique des grands phénomènes humains, la valeur morale de l’histoire. Certes, nous savons que les beaux mots de liberté et d’humanité ont trop souvent couvert, depuis un siècle, un régime d’exploitation et d’oppression. La Révolution française a proclamé les Droits de l’homme ; mais les classes possédantes ont compris sous ce mot les droits de la bourgeoisie et du capital. Elles ont proclamé que les hommes étaient libres quand les possédants n’avaient sur les non possédants d’autre moyen de domination que la propriété elle-même, mais la propriété c’est la force souveraine qui dispose de toutes les autres. Le fond de la société bourgeoise est donc un monstrueux égoïsme de classe compliqué d’hypocrisie. Mais il y a eu des heures où la Révolution naissante confondait avec l’intérêt de la bourgeoisie révolutionnaire l’intérêt de l’humanité, et un enthousiasme humain vraiment admirable a plus d’une fois empli les coeurs. De même dans les innombrables conflits déchaînés par l’anarchie bourgeoise, dans les luttes des partis et des classes, ont abondé les exemples de fierté, de vaillance et de courage. Nous y saluerons toujours, avec un égal respect, les héros de la volonté, en nous élevant au-dessus des mêlées sanglantes, nous glorifierons à la fois les républicains bourgeois proscrits en 1851 par le coup d’État triomphant et les admirables combattants prolétariens tombés en juin 1848. Mais qui nous en voudra d’être surtout attentifs aux vertus militantes de ce prolétariat accablé qui, depuis un siècle, a si souvent donné sa vie pour un idéal encore obscur ? Ce n’est pas seulement par la force des choses que s’accomplira la révolution sociale ; c’est par la force des hommes, par l’énergie des consciences et des volontés. L’histoire ne dispensera jamais les hommes de la vaillance et de la noblesse individuelles. Et le niveau moral de la société communiste de demain sera marqué par la hauteur morale des consciences individuelles dans la classe militante d’aujourd’hui. Proposer en exemple tous les combattants héroïques, qui depuis un siècle ont eu la passion de l’idée et le sublime mépris de la mort, c’est donc faire oeuvre révolutionnaire. 18 Jean JAURES Extraits du Socialisme et la vie, 1901 [...] Je sais bien que dans la Déclaration des Droits de l’Homme la bourgeoisie révolutionnaire a glissé un sens oligarchique, un esprit de classe. Je sais bien qu’elle a tenté d’y consacrer à jamais la forme bourgeoise de la propriété, et que même dans l’ordre politique elle a commencé par refuser le droit de suffrage à des millions de pauvres, devenus des citoyens passifs. Mais je sais aussi que d’emblée les démocrates se sont servis du droit de l’homme, de tous les hommes, pour demander et conquérir le droit de suffrage pour tous. Je sais que d’emblée les prolétaires se sont appuyés sur les Droits de l’Homme pour soutenir même leurs revendications économiques. Je sais que la classe ouvrière, quoiqu’elle n’eût encore en 1789 qu’une existence rudimentaire, n’a pas tardé à appliquer, à élargir les Droits de l’Homme dans un sens prolétarien. Elle a proclamé, dès 1792, que la propriété de la vie était la première de toutes les propriétés, et que la loi de cette propriété souveraine devait s’imposer à toutes les autres. Or, agrandissez, enhardissez le sens du mot vie. Comprenez-y non seulement la subsistance, mais toute la vie, tout le développement des facultés humaines, et c’est le communisme même que le prolétariat greffe sur la Déclaration des Droits de l’Homme. Ainsi d’emblée le droit humain proclamé par la Révolution avait un sens plus profond et plus vaste que celui que lui donnait la bourgeoisie révolutionnaire. Celle-ci, de son droit encore oligarchique et étriqué, ne suffisait pas à remplir toute l’étendue du droit humain ; le lit du fleuve était plus vaste que le fleuve, et il faudra un flot nouveau, le grand flot prolétarien et humain, pour que l’idée de justice enfin soit remplie. C’est le socialisme seul qui donnera à la Déclaration des Droits de l’Homme tout son sens et qui réalisera tout le droit humain. [...] Marx et Engels, dans le Manifeste communiste, ont marqué magnifiquement le respect de la vie, qui est l’essence même du communisme : « Dans la société bourgeoise, le travail vivant n’est qu’un moyen d’augmenter le travail accumulé dans le capital. Dans la société communiste, le travail accumulé ne sera qu’un moyen d’élargir, d’enrichir, de stimuler la vie des travailleurs. Dans la société bourgeoise, le passé règne sur le présent. Dans la société communiste, le présent règnera sur le passé. » La Déclaration des Droits de l’Homme avait été aussi une affirmation de la vie, un appel à la vie. C’étaient les droits de l’homme vivant que proclamait la Révolution. Elle ne reconnaissait pas à l’humanité passée le droit de l’humanité présente. Elle ne reconnaissait pas aux services passés des rois et des nobles le droit de peser sur l’humanité présente et vivante et d’en arrêter l’essor. Au contraire l’humanité vivante saisissait pour le tourner à son usage tout e que le passé avait légué de forces vives. L’unité française préparée par la royauté devenait, contre la royauté même, l’instrument décisif de révolution. De même les grandes forces de production accumulées par la bourgeoisie deviendront, contre le privilège capitaliste, l’instrument décisif de libération humaine. La vie n’abolit point le passé : elle se le soumet. La Révolution n’est pas une rupture, c’est une conquête. Et quand le prolétariat aura fait cette conquête, quand le communisme aura été institué, tout l’effort humain accumulé pendant des siècles formera comme une nature bienveillante et riche, accueillant dès leur naissance toutes les personnes humaines, et leur assurant l’entier développement. 19 Jean JAURES 1902 Ce qu’il ne faut jamais oublier quand on juge les révpolutionnaires, c’est que le problème qui leur était imposé par la destinée était formidable et sans doute « au-dessus des forces humaines ». Peut-être n’était-il pas possible à une seule génération d’abattre l’Ancien Régime, de créer un droit nouveau, de susciter des profondeurs de l’ignorance, de la pauvreté et de la misère un peuple éclairé et fier, de lutter contre le monde coalisé des tyrans et des esclaves, de tendre et d’exaspérer dans ce combat toutes les passions et toutes les forces et d’assurer en même temps l’évolution du pays enfiévré et surmené vers l’ordre normal de la liberté réglée. Il a fallu un siècle à la France de la Révolution, d’innombrables épreuves, des rechutes de monarchie, des réveils de république, des invasions, des démembrements, des coups d’Etat, des guerres civiles pour arriver enfin à l’organisation de la République, l’établissement de la liberté égale par le suffrage universel. Les grands ouvriers de révolution et de démocratie, qui travaillèrent et combattirent il y a plus d’un siècle, ne nous sont pas comptables d’une oeuvre qui ne pouvait s’accomplir que par plusieurs générations. Les juger comme s’ils devaient clore le drame, comme si l’histoire n’allait pas continuer après eux, c’est un enfantillage tout ensemble et une injustice. Leur oeuvre est nécessairement limitée ; mais elle est grande. Ils ont affirmé l’idée de la démocratie dans toute son ampleur. Ils ont donné au monde le premier exemple d’un grand pays se gouvernant et se sauvant avec la force du peuple tout entier. Ils ont donné à la révolution le magnifique prestige de l’idée et le prestige nécessaire de la victoire ; et ils ont donné à la France et au monde un si prodigieux élan vers la liberté que, malgré la réaction et les éclipses, le droit nouveau a pris définitivement possession de l’histoire. 1902 Comme en 1789, la classe bourgeoise était seule prête par son éducation intellectuelle, encyclopédique, et par la puissance économique de ses intérêts accrus, à pouvoir revendiquer tout le profit et tirer tout le parti de l’ordre nouveau, la Révolution française trop souvent n’a compris la justice et le droit que sous la forme de la société bourgeoise ; elle a cru qu’elle avait assez fait en éliminant l’absolutisme monarchique, le privilège féodal, et elle n’a pas pressenti la prodigieuse croissance de la grande propriété capitaliste qui allait dans le monde nouveau rompre l’équilibre de justice ; elle n’a pas, du moins, à cette première heure et à cette première période, avant l’extrême pensée de la montagne et avant Babeuf, elle n’a pas ressenti qu’une organisation nouvelle de la propriété fondée sur la communauté des moyens de produire, des moyens de travailler, serait la condition nécessaire de la réalisation du droit et de l’égalité politique et sociale. Elle s’est donc trompée en donnant à l’idée de justice proclamée par elle dans ce sens que nous sommes les héritiers de la révolution, non pour la plagier, mais pour la faire vivre en l’élargissant. C’est à nous de développer peu à peu, à la mesure des besoins nouveaux, le contenu positif, la substance sociale que la Révolution avait incorporés à l’idée de justice. Mais, si elle s’est trompée au début, en limitant arbitrairement le contenu prochain de l’idée de justice, ce fut sa grandeur de proclamer cette idée même, ce fut sa grandeur de proclamer que l’homme et le citoyen avaient des droits, que ces droits étaient imprescriptibles, que la durée des privilèges les plus anciens n’était pas un titre contre ces droits ; c’est l’honneur de la Révolution française d’avoir proclamé qu’en tout individu humain, l’humanité avait la même excellence native, la même dignité et les mêmes droits, et lorsqu’elle a proclamé ce symbole de justice, lorsqu’elle a déclaré que les gouvernements, les sociétés devaient être soumis à des règles positives tirées de cette idée du droit humain, la Révolution n’a pas seulement façonné un 20 monde nouveau, elle a créé une nouvelle philosophie de l’histoire : elle a fait du droit, elle a fait de la justice le ressort, l’aboutissant suprême de l’histoire et du mouvement humain ; elle a créé une nouvelle philosophie de l’histoire pour expliquer à la fois par l’idée de justice l’avenir et le passé. Pour l’avenir, tout le mouvement humain doit tendre, selon la pensée de la révolution, à réaliser de plus en plus la liberté et l’égalité, et vous savez que si à l’origine elle a donné à ces mots un sens trop étroit et un contenu trop exclusivement bourgeois, elle-même bientôt, dans la nécessité de la lutte, quand il fallut pour défendre l’ordre révolutionnaire naissant contre l’assaut de toutes les tyrannies du monde coalisées, faire appel à la force des prolétaires, la Révolution ne tarda pas à comprendre dès 1793 que le mouvement, accaparé d’abord par la bourgeoisie, devrait aller au-delà d’elle, et bientôt commencèrent à abonder dans la Révolution bourgeoise même les systèmes d’avenir, qui dépassaient l’horizon de la bourgeoisie ; en sorte que la Révolution commençait à tirer elle-même de sa propre formule, sous les éclairs des grands événements déchaînés, les conséquences lointaines d’une idée du droit que les premières générations révolutionnaires n’avaient pas entrevues d’abord dans toute leur ampleur, et la philosophie du droit humain et de la justice proclamée par la Révolution traçait en quelque sorte les lignes de l’avenir. Jean JAURES 1908 En fait, la Révolution française a abouti. Ce qu’il y avait en elle de plus hardi et de plus généreux a triomphé. Deux traits caractérisent le mouvement politique et social de la France depuis 1789 jusqu’au début du XXe siècle. C’est d’abord l’avènement de la pleine démocratie politique. Tous les compromis monarchiques ont été balayées ; toutes les combinaisons de monarchie traditionnelle et de souveraineté populaire ont été écartées ; toutes les contrefaçons césariennes ont été rejetées. La Constitution mixte de 1791 a sombré dans l’imbécillité et dans la trahison royales. La monarchie restaurée de 1815 s’est perdue par son étroitesse d’esprit. La monarchie censitaire de 1830 a révélé l’incapacité de la bourgeoisie française à gouverner seule, parce qu’elle ne peut se défendre contre les forces subsistantes du passé sans faire appel aux forces de l’avenir. Deux fois la démocratie napoléonienne a été engloutie sans le désastre, et maintenant, sous la forme républicaine, c’est bien le peuple qui gouverne par le suffrage universel. Il dépend de lui de conquérir le pouvoir. Ou plutôt il l’a déjà conquis, puisque aucune force ne peut faire échec à sa volonté légalement exprimée. Mais il ne sait pas l’employer vigoureusement à sa pleine émancipation économique. Les millions de travailleurs, ouvriers ou paysans, ne sont plus théoriquement des citoyens passifs. Ils le sont restés par l’indifférence à l’idée nouvelle que les affranchira. Mais c’est déjà chose immense qu’il suffise d’un progrès d’éducation du prolétariat pour que sa souveraineté formelle devienne une souveraineté substantielle. Aussi bien, dans l’ordre de l’enseignement aussi, le progrès est grand depuis un siècle. Tous les enfants de la nation sont appelés à l’école : le plus grand idéal de Condorcet est réalisé ou en voie de réalisation. Et ce n’est plus l’Eglise, complice des grandes tyrannies sociales, qui domine l’éducation et façonne le peuple. Elle a été réduite à n’être plus qu’une association privée ; et c’est la science, c’est la raison qui animent l’enseignement public. C’est la grande lumière de l’Encyclopédie, mais plus large et plus ardente, qui emplit l’horizon. La pensée socialiste, héritière des audaces extrêmes du XVIIIe siècle, commence à pénétrer les instituteurs de la nation. 21 Pierre KROPOTKINE, théoricien russe de l’anarchisme Extrait de La Grande Révolution, 1909 Deux grands courants préparèrent et firent la Révolution. L’un, le courant d’idées, -le flot d’idées nouvelles sur la réorganisation politique des États, - venait de la bourgeoisie. L’autre, celui de l’action, venait des masses populaires, des paysans et des prolétaires dans les villes, qui voulaient obtenir des améliorations immédiates et tangibles à leurs conditions économiques. Et lorsque ces deux courants se rencontrèrent, dans un but d’abord commun, lorsqu’ils se prêtèrent pendant quelque temps un appui mutuel, alors ce fut la Révolution. Une révolution, c’est infiniment plus qu’une série d’insurrections dans des campagnes et dans les villes. C’est plus qu’une simple lutte de partis, si sanglante soit-elle, plus qu’une bataille dans les rues, et beaucoup plus qu’un simple changement de gouvernement, comme la France en fit en 1830 et 1848. Une révolution, c’est le renversement rapide, en peu d’années, d’institutions qui avaient mis des siècles à s’enraciner dans le sol et qui semblaient si stables, si immuables, que les réformateurs les plus fougueux osaient à peine les attaquer dans leurs écrits. C’est la chute, l’émiettement en un petit nombre d’années, de tout ce qui faisait jusqu’alors l’essence de la vie sociale, religieuse, politique et économique d’une nation, le renversement des idées acquises et des notions courantes sur les relations si compliquées entre toutes les unités du troupeau humain. C’est enfin l’éclosion de conceptions nouvelles, égalitaires sur les rapports entre citoyens, - conceptions qui bientôt deviennent des réalités et alors commencent à rayonner sur les nations voisines, bouleversent le monde et donnent au siècle suivant son mot d’ordre, ses problèmes, sa science, ses lignes de développement économique, politique et moral. Pour arriver à un résultat de cette importance, pour qu’un mouvement prenne les proportions d’une Révolution, comme cela arriva en 1648 en Angleterre et en 1789-1793 en France, il ne suffit pas qu’un mouvement des idées se produise dans les classes instruites, - quelle qu’en soit la profondeur ; et il ne suffit pas non plus que des émeutes se produisent au sein du peuple, quels qu’en soient le nombre et l’extension. Il faut que l’action révolutionnaire, venant du peuple, coïncide avec le mouvement de la pensée révolutionnaire, venant des classes instruites. Il faut l’union des deux. [...] L’histoire parlementaire de la Révolution, ses guerres, sa politique et sa diplomatie ont été étudiées et racontées dans tous les détails. Mais l’histoire populaire de la Révolution française reste encore à faire. Le rôle du peuple des campagnes et des villes dans ce mouvement n’a jamais été raconté ni étudié dans son entier. Des deux courants qui firent la Révolution, celui de la pensée est connu, mais l’autre courant, l’action populaire, n’a même pas été ébauché. À nous, descendants de ceux que les contemporains appelaient les « anarchistes », d’étudier ce courant populaire, d’en relever, au moins, les traits essentiels. 22 LENINE Extraits d’un article publié dans La Pravda, 7 juillet 1917. Les historiens de la bourgeoisie voient dans le jacobinisme une déchéance. Les historiens du prolétariat voient dans le jacobinisme l’un des points culminants les plus élevés atteints par une classe opprimée dans la lutte pour son émancipation. Les jacobins ont donné à la France les meilleurs exemples de révolution démocratique et de riposte à la coalition des monarques contre la république. Il ne pouvait être question pour eux de remporter une victoire complète, surtout parce que la France du XVIIIème siècle était entourée sur le continent de pays trop arriérés et parce qu’en France même les bases matérielles du socialisme, les banques, les syndicats capitalistes, l’industrie mécanique, les chemins de fer faisaient défaut. Le « jacobinisme » en Europe ou à la frontière de l’Europe et de l’Asie, au XXème siècle, serait la domination de la classe révolutionnaire, du prolétariat, qui, épaulé par la paysannerie pauvre et mettant à profit les conditions matérielles existantes favorables pour marcher au socialisme, pourrait non seulement apporter tout ce que les jacobins du XVIIIème siècle apportèrent de grand, d’indestructible, d’inoubliable, mais amener aussi dans le monde entier la victoire durable des travailleurs. Le propre de la bourgeoisie est d’exécrer le jacobinisme. Le propre de la petite bourgeoisie est de le craindre. Les ouvriers et les travailleurs conscients croient au passage du pouvoir à la classe révolutionnaire, opprimée, car c’est là le fond du jacobinisme, la seule issue à la crise, la seule façon d’en finir avec le marasme et la guerre. 23 « Notre internationalisme continue la grande tradition révolutionnaire. » Léon BLUM Editorial du Populaire, 14 juillet 1935 VIVE LA RÉVOLUTION ! Peuple de France ! tu manifesteras aujourd’hui ta haine du fascisme et de la guerre, ta volonté de défendre les libertés démocratiques et d’assurer la paix. Peuple de Paris ! c’est place de la Bastille, l’endroit même où la grande Révolution remporta sa première victoire, que tu viendras renouveler le serment du 12 février LE FASCISME NE PASSERA PAS ! Dans quelques heures, l’énorme cortège va s’ébranler. Il va déferler jusqu’à la nuit le long du vieux faubourg jacobin et socialiste, d’où descendaient les sections de sans-culottes, où s’élèveraient, un demi-siècle . " plus tard, les barricades de juin. Il ne défilera pas comme une armée, il se déploiera comme un peuple. Par la masse, par la majesté, il incarnera un peuple entier et la joie tranquille de sa victoire. Jour de victoire ! Jour de fête !... Mais à l’allégresse commune, qu’on me permette de mêler une pensée grave. La force populaire, en France, a triomphé de la menace fasciste. D’autre pays l’ont vue succomber, parce qu’elle ne trouvait pas l’appui d’une tradition puissante, parce que les libertés démocratiques ne s’enracinaient pas profondément, comme chez nous dans le terreau fait d’un siècle et demi d’efforts et de sacrifices. Pensons aux vaincus et aux martyrs, à ceux qui sont tombés dans la bataille inégale, à ceux qui souffrent dans les geôles, dans les camps de concentration, dans les îles meurtrières, à ceux qui souffrent et luttent sur le sol natal, à ceux qui, tout près de nous, sur notre terre libre, mangent le pain cruel de l’exil. Pensons à nos frères d’Allemagne, d’Italie, de Pologne, de tous les pays qu’a souillés la tache noire de la dictature, aux combattants de Vienne et des Asturies. Associons-les à notre serment civique. En même temps que nous jurerons d’être libres, jurons de leur rendre la liberté. Que la cérémonie historique d’aujourd’hui soit donc à la fois nationale et internationale ! Quand le peuple de Paris jetait à bas la Bastille, il entendait affranchir à la fois tous les hommes, briser à la fois toutes les tyrannies. C’est pour l’humanité entière qu’il édictait le droit nouveau. Notre internationalisme continue, à son tour, la grande tradition révolutionnaire. Il veut s’étendre sur le monde, porter partout les Droits de l’Homme, du Citoyen et du Travailleur, mais pacifiquement - comme l’entendait Robespierre - et non pas à la pointe des baïonnettes. C’est ainsi que, pour nous, comme pour les hommes de 93, patriotisme et internationalisme se confondent. Vive la Nation et vive la Révolution ! 24 « La France reste attachée aux souvenirs et aux traditions de la Révolution française. » Léon BLUM Discours sur la politique internationale de la France, 17 septembre 1936. « Dans le trouble actuel de l’opinion européenne et à la veille de l’Assemblée de Genève, le gouvernement de la République Française croit opportun de rappeler, en termes simples et nets, sur quelle doctrine constante est fondée son action politique. Dans son immense majorité, la France reste attachée, avec une passion réfléchie, aux souvenirs et aux traditions de la Révolution française. La France croit à la liberté politique. Elle croit à l’égalité civique. Elle croit à la fraternité humaine. Elle professe que tous les citoyens naissent libres et égaux en droits. Parmi les droits fondamentaux de l’individu, elle place au premier rang la liberté de pensée et de conscience. Elle considère que l’action de l’État a pour objet essentiel d’introduire de plus en plus profondément l’application de ces principes dans les institutions légales, dans les rapports sociaux, dans les relations internationales. C’est en ce sens que l’État français est un État démocratique et que la nation française croit à la démocratie. Cette doctrine est-elle infirmée par ce qu’on appelle aujourd’hui le réalisme, c’est-à-dire par la considération utilitaire des faits ? Non certes. L’expérience n’a pas déçu la croyance de la nation française. Les principes posés par la Révolution de 1789 se sont étendus sur le monde entier. Ils ont changé la face morale de l’univers. Ils ont lentement éliminé les luttes de races et de religions qui ensanglantaient l’Europe depuis des siècles et qu’on a pu croire abolies à jamais. Ils ont transporté sur le plan de la pensée pure ou sur le terrain de l’action constructive la querelle éternelle des doctrines. Ils ont suscité une expansion inouïe de la science et de la culture, tout en limitant les misères engendrées par l’industrialisation. Ceux qui les condamnent en profitent souvent eux-mêmes à leur insu. [...] » 25 « Nous sommes, nous communistes de France, les héritiers authentiques des Jacobins de 1792 » Maurice THOREZ Extraits de discours prononcé à Choisy le Roi, 27 juin 1936 [...] Les fondateurs de la doctrine communiste, Marx et Engels, furent parmi les plus grands admirateurs de la Révolution française. [...] Engels ne connaissait qu’un seul exemple de chant révolutionnaire demeuré vivace, agissant sur les foules comme au premier jour, les exaltant d’une révolution à l’autre, pour leur lutte libératrice. Ce chant, c’est La Marseillaise. La Marseillaise a jailli des entrailles de la France révolutionnaire de 1792, de la France des Jacobins et des Girondins, dressée contre les rois et les féodaux. Elle est l’expression ardente et passionnée de la volonté révolutionnaire du peuple, de son élan et de son héroïsme. Elle est la Révolution. De là l’influence durable et universelle de La Marseillaise. La Marseillaise a exprimé et exprimera toujours, comme L’Internationale, la grande cause de l’émancipation humaine. Toujours et partout - dans les masses populaires. Amour du pays, haine des tyrans, goût de la Liberté, enthousiasme révolutionnaire, fraternité des peuples, ce sont là des sentiments qui entraînent toujours une société fondée sur l’exploitation et l’oppression du plus grand nombre par une minorité parasite ; elle a retenti et elle retentira comme un appel à la lutte révolutionnaire. La Marseillaise, proscrite sous l’Empire, proscrite sous la Restauration, a triomphé de nouveau, avec le drapeau tricolore, sur les barricades de juillet 1830, durant les Trois Glorieuses. Elle fut chantée par les insurgés de 1848. Elle fut clamée à la face des Versaillais par les Communards de 1871. Lorsque la Marseillaise fut proclamée hymne national, les députés réactionnaires, royalistes et bonapartistes, s’exclamèrent furieusement « Avec ce chant-là, on a fait la Commune ; avec lui, on refera une Commune nouvelle. [...] La victoire du Front populaire, à laquelle le Parti communiste s’honore d’avoir tant contribué, signifie, comme en 1792, la levée du peuple de France pour le pain, la liberté et la paix. Comme en 1792, les mêmes forces de réaction, privilégiés féodaux hier, privilégiés capitalistes aujourd’hui, tentent de barrer la route au progrès social, au bonheur des hommes. Comme en 1792, les tyrans étrangers trouvent des complices dans ceux qui « déchirent le sein de leur mère ». Ceux qui continuent sur notre sol la tradition exécrable de Coblentz voulaient au surplus ravir La Marseillaise au peuple qui l’a inspirée et propagée. Ils n’y parviendront pas. Les travailleurs, à l’appel du Parti communiste, ont réappris La Marseillaise, ils lui ont restitué sa signification et sa flamme révolutionnaire. N’est-il pas significatif que notre Parti communiste - et lui seul - ait eu l’initiative de ces grandioses manifestations populaires à l’occasion du centenaire de la mort de Rouget de Lisle. C’est que nous sommes, nous communistes de France, les héritiers authentiques des Jacobins de 1792. C’est que nous sommes, nous communistes de France, porteurs de l’héritage sacré de la Révolution comme des espérances les plus chères de notre peuple. Romain Rolland a écrit en 1901, dans la préface de son drame Le 14 juillet, ces lignes admirables : « Rallumer l’héroïsme et la foi de la nation aux flammes de l’épopée républicaine, afin que l’oeuvre interrompue en 1794 soit reprise et achevée par un peuple plus mûr et plus conscient de ses destinées. Tel est notre idéal... » Aux accents mêlés de La Marseillaise et de L’Internationale, sous les plis réconciliés du drapeau tricolore et du drapeau rouge, ensemble nous serons une France Libre, forte et heureuse. 26 François MITTERRAND Extraits du Discours du Jeu de Paume, Versailles, salle du jeu de paume, 20 juin 1989 [...] Assurément, avec la Révolution, bien des inégalités ne furent pas vaincues. L’abolition de l’esclavage ne fut acquise qu’un demi-siècle plus tard. La résistance armée à l’Europe coalisée prit après la victoire le visage de la conquête. La persécution religieuse ignora la liberté de conscience qui venait d’être proclamée. Rien ne vint corriger la discrimination dont les femmes étaient victimes. Et on vit par la suite à quel point la cruelle condition ouvrière de la révolution industrielle devait nier, ruiner en fait, la liberté et l’égalité érigées en principe par la révolution politique. Mais la Révolution a fait la République. Celle-ci ne peut sans se renier oublier ce qu’elle est, d’où elle vient, la pensée dont elle procède, l’idéal qu’elle assume, le mouvement qu’elle incarne. Car la République n’est pas une forme vide, elle contient un ensemble d’institutions et de règles, de droits et de devoirs qu’on appelle la démocratie. [...] Quelle leçon tirer, s’il en est une, de ce tourbillon d’événements, sinon que rien n’est achevé, que rien ne s’achève jamais. Que le combat change de forme mais pas de sens. Que de nouveaux orages surgissent du plus clair horizon, d’autres dominations se substituent à celles que l’on avait détruites, qu’apparaissent d’incessantes ruptures entre l’idéal et le réel. Qu’on en débatte vivement, tant mieux ; c’est un signe de vitalité de notre démocratie. La preuve que la révolution n’est pas un objet inerte, que les questions posées n’ont rien perdu de leur modernité. Mais s’il y a débat, et il y a débat - et sur quel ton, comme si à distance les adversai-res de la Révolution avaient repris espoir, - occupons la place qui nous revient, celle d’héritiers fidèles et fiers, déployons le drapeau et donnons à la République l’élan auquel aspire notre peuple. 27


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