Passer de la révolution conservatrice à la révolution éco-socialiste

vendredi 25 décembre 2015.
 

La gauche radicale semble paralysée face à la crise du capitalisme et à la montée de l’extrême droite. Pourtant, nous ne pouvons pas être surpris, cette crise vient de loin et nous l’avons les uns et les autres anticipée depuis longtemps.

L’impasse économique que représente le nouvel ordre libéral est la conséquence d’un certain nombre de contradictions de l’accumulation du capital, qui de plus est confronté aux limites écologiques de la planète. Cette impasse économique mondiale produit le chômage et contribue à une instabilité politique et géopolitique croissante. Ce contexte de crise et de guerre nourrit la montée du racisme et plus particulièrement l’islamophobie. Face à cette crise systémique, les classes dominantes choisissent une fuite en avant ultralibérale, en la faisant accepter par une stratégie de choc : profiter des crises pour détruire les acquis sociaux afin d’augmenter la profitabilité du capital. Les sociaux libéraux de tous les pays ont pour l’instant accepté cet agenda (mais des ruptures en leur sein sont possibles : die Linke, PG, Labour Party). Le désespoir croissant des classes populaires, les renoncements de la gauche conjugués au racisme, font monter les extrêmes droites dans toute l’Europe. Nous sommes donc engagés dans une course de vitesse avec l’extrême droite. Le problème ne réside pas tant dans l’analyse de la situation, mais dans notre incapacité à trouver des solutions et à les mettre en application.

Pour renverser la situation, nous devons :

Donner un horizon réaliste qui diffère à la fois du repli nationaliste de l’extrême droite et de la soumission aux exigences du capital prôné par la gauche libérale et la droite.

Proposer une stratégie d’ensemble qui nous permette de reconquérir l’hégémonie politique et de prendre le pouvoir aux 1% qui captent toutes les richesses.

Nous n’avons pas tous les éléments pour mettre en œuvre cette stratégie. C’est normal, celle-ci peut se décliner de différentes façons selon les pays ou les régions. De plus, nous devons y travailler collectivement et seul un intellectuel collectif pourra réagir aux différents évènements. Par contre, la séquence entre la chute du mur de Berlin et la défaite de Tsipras a été riche en luttes et en événements politiques et géopolitiques. Nous devons donc essayer d’en tirer quelques leçons simples et claires pour nous guider. Nous devons rapidement refonder une gauche sociale et écologiste en lançant des initiatives « par en haut », mais surtout en proposant une architecture « par en bas » permettant aux milliers de militants syndicaux, associatifs et politiques de se mettre en mouvement. Je donne ici quelques propositions permettant d’avancer en ce sens.

Poursuivre l’unification de notre camp politique

L’unité peut se faire par les luttes (le CPE), les pratiques alternatives (Alternatiba), ou dans les urnes (NON de 2005, FDG en 2012). La presse (Politis, Médiapart, bastamag) peut jouer un rôle majeur en ce sens. Nous avons réussi partiellement à faire émerger cette hégémonie à certains moments. L’histoire récente n’est donc pas que pavée d’échecs.

Par contre, nous avons échoué depuis 2012 à faire émerger à l’échelle nationale un rassemblement cohérent. Les chantiers de l’espoir ont pourtant été un moment où nous avons avancé sur ce qui nous rassemble. Nous devons dépasser la logique de confrontation entre cartels où les logiques de partis et les ambitions personnelles nous empêchent d’avancer et de trancher démocratiquement certains débats comme les relations avec le PS. Pire cela nuit à notre unité. Sur de nombreuses questions, nous observons que les militants de base de différents partis sont d’accord, alors même que leurs dirigeants n’arrivent pas à s’entendre.

Proposition 1 : Fonder dans chaque quartier des associations de la gauche et des écologistes. Ces associations sont composées d’adhérents cotisants et préfigurent des comités de base d’un nouveau mouvement. Cette fondation doit être incité par un appel de partis politiques et de personnalités

Proposition 2 : Les deux premiers objectifs de ces associations seront de participer à l’élaboration d’un programme de transition commun et de lancer une primaire de l’autre gauche pour avoir un candidat commun en 2017.

Proposition 3 : De ce programme d’urgence, il sera nécessaire de cibler quelques mesures phares et cesser de nous noyer dans une communication complexe et intellectuelle : taxe sur les profits, hausse des salaires, réduction du temps de travail, réquisition des entreprises en faillites, transports locaux gratuits, sécu à 100%, vote des étrangers…

L’horizon éco-socialiste

Ecrire un programme d’urgence ne suffit pas, il faut proposer un horizon et le rendre audible et crédible. Une des forces du FN est la simplicité de ses objectifs. Nous devons apprendre à définir simplement nos valeurs et notre projet. Nous sommes pour l’émancipation des hommes et des femmes, c’est-à-dire pour le droit à chacun et chacune à vivre dignement. Cela se traduit par le droit à un logement, à l’éducation et à la culture, à une alimentation de qualité, à la santé et à exercer un travail dans de bonnes conditions. Cette émancipation ne peut pas se faire au détriment de la planète. Nous devons donc passer de la société de consommation, à une société de la sobriété, du partage et du commun. Enfin, comme les choix concrets sont toujours multiples, la démocratie dans la cité, mais aussi dans l’entreprise est la seule méthode pour décider collectivement nos orientations.

Notre projet peut se résumer en trois mots : Justice sociale, Ecologie, Démocratie. Ce projet est incompatible avec l’appropriation privée des ressources naturelles (eau, énergie fossile, minerais), des grands moyens de production (électricité, bâtiments) et de communication (transport, internet et téléphone). Pour le reste, salariés et citoyens doivent pouvoir décider ensemble comment gérer ces productions : planification locale, marché, autres formes d’échanges…

Proposition 4 : Editer un texte court sur notre projet à long terme, objectif différent des programmes d’urgence (l’humain d’abord) que nous rédigeons lors d’élections et créer une université virtuelle des alternatives.

Unifier les luttes

Nous avons aussi échoué à lancer un mouvement social d’ensemble, malgré des collectifs unitaires comme le collectif AAA (anti-Austérité). Or sans mouvement social, nous manquons de carburant et à froid toute nouvelle force risque de dépérir. Les raisons de l’atonie du mouvement social sont multiples et il n’est pas facile d’y remédier. Par contre, tout n’a pas été essayé pour le dynamiser. Il est loin d’être mort, car les luttes locales existent.

Proposition 5 : Développer des collectifs locaux contre l’austérité avec comme objectif la préparation d’une grande journée de grève interprofessionnelle et reconductible en 2016, pour le retrait des lois Macron et pour des augmentations de salaire.

En effet, les deux questions majeures capables de faire massivement descendre les citoyens dans la rue sont le chômage et les salaires. Or aucun mouvement n’a été lancé sur ces sujets. Nous sommes en permanence sur des mouvements défensifs. Ce n‘est pas la bonne façon de procéder.

Nous avons aussi échoué à défendre ceux qui subissent le racisme et la déferlante islamophobe. Il est fini le temps où le combat antiraciste était organisé par les blancs. Acceptons que ceux qui subissent les discriminations décident des revendications et organisent leurs propres luttes.

Proposition 6 : Solidarité avec les collectifs qui luttent contre les contrôles au faciès, contre les violences policières ou pour l’abrogation des lois islamophobes.

Rénovation de nos pratiques

Nos échecs viennent aussi de nos pratiques politiques. Les citoyens ne croient plus en la politique, car la façon dont nous la pratiquons manque trop souvent d’éthique et de démocratie. Comme toute structure collective pérenne, un parti politique est le lieu de captations de pouvoir, de luttes intestines, de renoncement, voir pire de pratiques illégales. Il est illusoire de croire que nous pourrons complètement en être exempts. Mais, il existe quelques règles simples sur lesquelles nous pouvons nous accorder et appliquer.

Proposition 7 : Parité homme-femme dans toutes les structures de direction et dans tous les candidats éligibles. Strict non-cumul de mandats (député, maire, conseiller régional). Contrôle des élus par les instances décisionnaires du parti ou du collectif qui l’a désigné. Renouvellement des directions (pas plus de deux mandats successifs).

Il nous faut aussi retrouver le chemin de la démocratie. Trop souvent, des directions ou des élus prennent des décisions contraires à leur base. Il faut revenir au vote dans les différentes instances et ne pas hésiter à organiser des consultations larges, après avoir organisé des débats contradictoires. Nous avons besoin de directions. Mais les directions ne sont pas là pour décider à la place des autres. Elles sont là pour proposer des orientations, potentiellement multiples. C’est aux militants de trancher entre ces propositions. Par ailleurs, il nous faut accepter une autonomie de collectifs locaux et en même temps une centralisation et une homogénéisation nationale pour quelques questions clés.

Quelle stratégie pour le pouvoir ?

Si nous appliquons cette méthode, nous regagnerons du terrain, mais nous avons pris beaucoup de retard et nous devons traiter spécifiquement le cas du FN. Pour l’instant, le FN est dans une dynamique qui lui permet d’apparaître comme l’alternative. Combattre les idées xénophobes et nationalistes est la meilleure façon de le combattre sur le long terme. Mais nous devons élaborer une stratégie pour éviter qu’il prenne le pouvoir central ou pour survivre à son passage...Le FN se nourrit de l’isolement politique et des médias de masse.

Proposition 8 : Promouvoir la création des associations de base constituant la nouvelle force dans les campagnes et les zones déshéritées. Populariser les travaux qui décortiquent le programme du FN. Trouver une ou deux revendications populaires (ex. les salaires) et les mettre en permanence en avant pour mettre le FN en porte à faux.

L’autre point clé c’est de trouver la base sociale permettant de devenir majoritaire. Pour l’instant, la gauche radicale n’a jamais su profiter de la droitisation du PS et de la désaffection des classes populaires vis-à-vis de ce parti. La ligne Valls-Hollande vise à tuer la vraie gauche et prône une logique d’affrontement entre un parti du système contre un parti antisystème (qui serait le FN, mais qui pourrait à terme être nous). Les régionales viennent de démontrer que malheureusement cette stratégie est payante, met en difficulté la droite et nous paralysent. Toute velléité pour ré-aviver une gauche plurielle est donc une impasse, mais tout repli sur le pré-carré de l’extrême gauche ne mènera probablement à rien non plus. Il faut donc proposer une nouvelle force qui vise à prendre la place hégémonique du PS comme l’a fait Podemos et Syriza.

Nous devons donc continuer à nous adresser à l’ensemble de la gauche, mais nous avons fait fausse route en croyant que cela suffisait. Il existe une base sociale du PS acquise au libéralisme qui ne bougera pas. Il faut donc surtout s’adresser à ceux qui se sont détournés de la politique : les classes populaires (d’où l’importance d’une revendication unifiée sur les salaires) et les populations issues de l’immigration post coloniales (d’où l’importance de revendications sur le droit de vote des immigrés aux élections locales et sur les discriminations). Il n’y a pas de propositions miracles pour parvenir à inverser la tendance et sortir de ce guêpier. Mais l’hégémonie des pro-systèmes est flottante depuis la crise de 2008. Et même le populisme de l’extrême droite est liquide et il n’a pas de vraies solutions pour les salaires et le chômage. Nous devons le mettre en difficulté là dessus.

Réussir au pouvoir

Si nous unifions notre camp et gagnons des élections générales, nous aurons le pouvoir de changer de direction. Néanmoins, il n’y a rien d’automatique à ce que nous y arrivions. Les échecs récents de Syriza ou du chavisme doivent nous éclairer. Les classes dominantes ne nous laisseront pas faire. Plusieurs dangers existent, le premier est interne et politique, le second externe et géopolitique, le troisième est économique. L’état est le lieu de sédimentation de la lutte des classes. Sa structure et son personnel ne sont donc pas neutres. Pour cette raison, on ne peut pas simplement prendre le pouvoir central sans s’attaquer au pouvoir des classes dominantes au sein de l’état. Or nous avons besoin d’un état pour organiser la transition économique.

Proposition 9 : Faire émerger un corps de hauts fonctionnaires compétents alternatif, notamment à partir du travail des syndicats

Les autres états ne nous laisseront pas faire. Nous l’avons vu avec la Grèce. Nous devons donc nous assurer de notre souveraineté financière, énergétique et alimentaire. Enfin, l’économie est actuellement organisée par les investissements des plus riches. Il faudra remplacer l’ancien système par un nouveau. La transition est toujours critique. Toutes les révolutions nous l’ont montré. Il faut donc s’y préparer méthodiquement et le faire savoir. Sinon comment convaincre les citoyens que nous ferons mieux que Tsipras.

Proposition 10 : Préparer un plan pour tendre rapidement vers une souveraine alimentaire et énergétique (nationalisation et unification de tous les groupes de l’énergie). Recréer un service public bancaire. Anticiper une sortie possible de l’euro. Tisser des liens avec des gouvernements et partis à l’étranger.

Au plus vite, des forces et des personnalités à gauche du PS devraient se mettre d’accord pour lancer une nouvelle force sur l’ensemble du pays. Parallèlement, à la base nous devrions lancer partout où nous habitons des associations souveraines, mais coordonnées entre elles. Nous devrions nourrir le mouvement social pour aller vers un mouvement d’ensemble sur les salaires et préparer 2017. La première chose que devront trancher les associations c’est la ligne de conduite à avoir vis-à-vis du gouvernement Valls et du PS, la seconde c’est de définir notre programme et le populariser. Aller chiche !

Hendrik Davi, Ensemble et FDG Marseille Centre


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