Vers des fonds de pension à la française

lundi 9 mai 2016.
 

Au motif de financer les entreprises, le projet de loi Sapin 2 vise à faire basculer l’épargne salariale dans le chaudron des marchés financiers. Avec tous les risques à la clé.

En novembre 2015, Emmanuel Macron avançait, fier et décomplexé, l’idée de créer un « fonds de pension à la française ». Un temps, semblait-il, oubliée, l’idée vient de refaire surface, nichée dans le texte de loi du ministre des Finances, dit Sapin 2, présenté mercredi dernier, et dont l’article 37 institue des « fonds de retraite professionnelle supplémentaire ». L’étiquette a changé, l’objectif demeure. Alors que, du fait des réformes successives menées par les gouvernements de droite et socialistes, la garantie de retraite s’effrite, il s’agit de faire monter en puissance, parallèlement au régime par répartition, un système par capitalisation.

Le projet Sapin 2 vise une série de produits d’épargne salariale, en particulier le plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco) et le plan d’épargne entreprise (PEE). Plusieurs millions de salariés sont concernés (de façon inégalitaire, à l’avantage des grandes entreprises et des salariés qui peuvent le plus épargner), pour des rentes individuelles modestes (la somme de ces prestations représente 2,1 % de l’ensemble des retraites versées). Mais le total des sommes épargnées avoisine les 130 milliards d’euros.

Macron promet aux épargnants de meilleurs rendements et feint d’oublier les risques

Une manne, gérée par les assureurs, instituts de prévoyance et mutuelles, jusqu’alors placée pour l’essentiel en obligations, de façon relativement sécurisée donc. Trop, au goût d’Emmanuel Macron, qui veut orienter cette épargne dans l’achat d’actions des entreprises, en particulier des PME « innovantes ». Pour y parvenir, le projet Sapin 2 a créé un nouveau régime pour ces produits financiers, les affranchissant des dernières normes prudentielles (Solvabilité 2, découlant de la crise des subprimes) qui dissuadent d’investir l’épargne dans des placements à risques. Les fonds de pension à la française pourront donc jouer sur les marchés financiers en entrant dans le capital des entreprises.

Macron promet aux épargnants de meilleurs rendements. Il feint d’oublier les risques, pourtant dramatiquement démontrés par l’expérience des fonds anglo-saxons qui, lors des dernières crises financières, ont brûlé les retraites de millions de personnes.Quant à l’intérêt des entreprises… Le « vrai problème des PME », a priori principalement visées, « ce n’est pas, dans l’ensemble, un problème de capital, mais d’accompagnement, et, notamment, d’accès au crédit bancaire », rappelle l’économiste Nasser Mansouri-Guilani. « Et quand elles y ont accès, le coût (les frais financiers – NDLR), en moyenne, pour les PME, est de 1,5 point supérieur à celui payé par les groupes. »

Au lieu de poser la question clé du rôle des banques, le projet Macron-Sapin fait le choix « idéologique » d’« élargir la place des marchés financiers dans le financement de l’économie, y compris les PME ». à la clé, les conséquences prévisibles des rendements financiers exigés, en termes d’emplois, de salaires, de conditions de travail. « L’intervention des fonds de pension sur le capital de ces entreprises va faire d’elles des instruments financiers en quelque sorte. Même si certains fonds ont une logique de long terme, ce n’est pas ça qui va résoudre leurs problèmes », souligne l’économiste. La question de l’usage de l’épargne salariale existante n’en est pas moins posée. Plutôt qu’abonder des marchés financiers dont la dangerosité n’est plus à démontrer, elle pourrait être « orientée vers le financement de projets à long terme ». Les pistes ne manquent pas, à l’exemple des collectivités territoriales, étranglées par l’austérité, et dont les investissements, pourtant essentiels pour l’activité, en particulier des PME, viennent de chuter de 10 %.

Yves Housson, L’Humanité


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