L’éducation physique et sportive a-t-elle la place qu’elle mérite dans notre système éducatif  ?

mercredi 7 septembre 2016.
 

Après les succès tricolores aux jeux Olympiques de Rio, les points de vue de Benoît Hubert, secrétaire général du Syndicat national de l’éducation physique (Snep)-FSU, Pierre Villepreux, ancien international de rugby et entraîneur, Patrick Clastres, directeur du Centre d’études olympiques et de la globalisation du sport (Issul) et Fabrice Auger, Maître de conférences à l’université Toulouse-III

Le ministère en pleine contradiction

par Benoît Hubert Secrétaire général du Syndicat national de l’éducation physique (Snep)-FSU

Après les JO et à l’heure de la rentrée scolaire, force est de constater que la réforme du collège fragilise considérablement la culture sportive et son pendant scolaire, l’éducation physique et sportive (EPS).

Le beau parcours de nos sportifs et sportives lors des derniers JO de Rio pourrait laisser à penser que le sport se porte bien en France mais, derrière cette image d’Épinal, la réalité est bien sombre. Pour s’en tenir uniquement aux aspects scolaires de la culture physique, sportive et artistique, les nouveaux programmes en EPS ne font plus de l’apprentissage dans les sports et les activités physiques artistiques le centre de gravité de l’enseignement à dispenser aux élèves. C’est en contradiction avec le nouveau socle commun issu de la loi de refondation Peillon, qui marque la volonté de faire entrer les élèves en culture comme moyen essentiel de lutte contre l’échec scolaire et de démocratisation.

Dans la société, l’accès à ces pratiques est très inégalitaire, notamment pour les jeunes des classes populaires et les filles. L’école doit offrir les conditions à tous et toutes de se développer en se cultivant dans différents domaines. Le champ sportif en est un majeur. Pour nous, et a contrario des orientations du ministère, seuls des apprentissages concrets et exigeants dans des activités physiques sportives et artistiques (Apsa) permettent de viser des grands objectifs comme la santé, la citoyenneté…

Il aurait fallu que les nouveaux programmes précisent concrètement ce qu’il faut apprendre de spécifique. Au lieu de cela, l’EPS est devenue une discipline floue, dans laquelle tout se vaut et qui n’annonce plus que des généralités. Cela n’aidera pas les élèves, dont beaucoup délaissent l’activité physique à l’adolescence, à bien identifier ce qu’ils doivent apprendre. La définition de ce qu’il y a à apprendre étant renvoyée au local (les équipes d’établissement), nous allons observer rapidement un renforcement des inégalités sur l’ensemble du territoire.

Allant jusqu’au bout de cette logique contestée par les enseignants d’EPS, le ministère a supprimé toute évaluation des acquis et des progrès des élèves dans les Apsa pour l’examen du brevet des collèges. L’EPS n’est plus évaluée sur ses contenus et ne fait que participer avec l’ensemble des autres disciplines à la validation des domaines du socle commun.

Cette réforme des contenus et de l’évaluation, contre l’avis des enseignants, qui s’étaient exprimés dans un sens bien différent lors de la consultation sur les programmes, renvoie l’image que, finalement, tout ce qui est appris dans les activités lors des séances d’EPS ne présente que peu d’intérêt. Aucune autre discipline n’est traitée ainsi dans la réforme des programmes  !

Pour nous, l’EPS, très souvent plébiscitée par les élèves, est une voie originale de réussite qui a permis à nombre d’entre eux de raccrocher au système scolaire, d’y réussir. La minorer au moment où on dit vouloir lutter contre les inégalités, ouvrir tous les possibles pour la réussite de tous les élèves n’a aucun sens. Le sport à l’école (EPS et sport scolaire) est un maillon essentiel du système sportif français. La communication et les injonctions pour mettre l’EPS sous le signe de l’olympisme dans le cadre de la candidature de Paris pour les JO de 2024, et créer ainsi l’engouement des jeunes, ne prendront sens que s’il y a une revalorisation forte de cet enseignement en termes de contenus ancrés sur la culture des Apsa. Vouloir promouvoir le développement de la santé avec 3 heures hebdomadaires en collège et 2 heures en lycée manque là aussi d’ambition et de cohérence, lorsqu’on sait qu’une heure de pratique par jour est recommandée  !

Le Snep-FSU est porteur de propositions, sur les contenus, sur le DNB (diplôme national du brevet), sur les horaires… Mais la ministre refuse de le recevoir pour l’entendre  ! Il n’en développe pas moins une campagne qui débouchera sur un grand colloque, « EPS et réussite pour tous », les 17 et 18 novembre à Villejuif.

Il est urgent de reprendre le travail de conception des contenus de l’EPS, augmenter les horaires de la discipline et mettre en cohérence les grandes intentions affichées et les mesures.

Cette discipline transmet des valeurs incontournables

par Pierre Villepreux, ancien international de rugby et entraîneur

Si la formation du sportif, dans le cadre d’une activité compétitive, c’est bien la recherche de la meilleure performance, on se place ipso facto, pour atteindre les résultats visés, dans le contexte très particulier d’un choix librement consenti pour une pratique sportive unique et spécifique qui implique des contraintes connues et acceptées. Dans ce cadre, la performance s’inscrit dans la continuité de la formation réalisée conjointement par la famille, l’école, le club puis, au plus haut niveau, dans les structures d’excellence gérées par les institutions fédérales. Celles-ci vont amener les plus jeunes, à des âges différents selon les sports, à se confronter à des exigences en termes de volume d’entraînement et forcément à des choix de vie tout aussi exigeants, précis, voire exclusifs.

De nos jours, dans ce contexte, l’EPS dispensée à l’école est-elle à même de répondre aux objectifs qui caractérisent le haut niveau de pratique  ? Ma réponse est non. D’une part, le nombre d’heures hebdomadaires accordé à l’EPS (4 heures en 6e, puis 3 heures en 5e, 4e, 3e en collège et 2 heures en lycée) ne le permet pas. D’autre part, les programmes d’enseignement ne visent pas à faire accéder les élèves à des performances sportives. Il s’agit bien plus de viser à développer des compétences traduites en termes de connaissances, capacités, attitudes autorisant, dans une continuité éducative, à développer entre autres la socialisation, l’apprentissage de la citoyenneté et le rapport avec la santé. De plus, la formation dispensée en Staps (formation des futurs enseignants d’EPS) ne développe pas cette culture de la performance, d’où des contenus plutôt édulcorés dans le cadre de cette transmission. La mission de l’école et de l’enseignement de l’EPS n’en reste pas moins pour autant importante puisqu’elle contribue à faire émerger et vivre les valeurs que le sport de haut niveau est censé préserver.

Cependant, comme la diversité des pratiques enseignées à l’école ne permet pas la spécialisation, il existe des structures rattachées  : les sections sportives qui permettent aux élèves, avec 3 heures hebdomadaires en plus de l’EPS, d’élever leur niveau de pratique dans un sport, de détecter leur potentialité et, tout en même temps, de les perfectionner  ; les pôles espoirs ou France pour accompagner les élèves à haut potentiel dans leur discipline. Ces structures éducation nationale-ministère des Sports-fédérations favorisent le double projet scolaire et sportif à raison d’un volume d’entraînement adéquat pour l’accès au plus haut niveau.

Aujourd’hui, dans certains sports, un sportif peut devenir professionnel en passant par des structures (centres de formation) déconnectées du système éducatif traditionnel.

Même si l’EPS n’est plus le tremplin pour l’accession au plus haut niveau, l’esprit éducatif qui y est recherché se doit d’être préservé quel que soit le parcours choisi. Ce serait une erreur de penser que la production de performance exclut la dimension éducative. Le risque d’une désocialisation progressive est fort, lorsque ce parcours n’est pas, « éducativement parlant », guidé par le précieux soutien à la fois de l’encadrement et de l’environnement. Au fur et à mesure de l’élévation du niveau de performance, l’encadrement doit continuer à faire émerger, renforcer, stabiliser les valeurs utiles sans négliger d’éradiquer les « contre-valeurs » qui ne manqueront pas d’agresser chaque sportif. Quand la réussite surgit, ce sont bien les valeurs positives attachées au sport de haut niveau que les médias et le public magnifient. Considérer ces valeurs comme un facteur favorisant la performance est essentiel si l’on veut qu’elles deviennent des bases d’enrichissement et de stabilisation des conduites et comportements.

Dans cette optique, l’EPS, même si l’on peut regretter le volume très insuffisant de pratique à l’école, doit garder sa place dans la transmission de ces vertus qui sont aussi incontournables dans la haute performance.

L’EPS, ça sert d’abord à s’estimer

par Patrick Clastres, directeur du Centre d’études olympiques et de la globalisation du sport (Issul) et Fabrice Auger, Maître de conférences à l’université Toulouse-III

Depuis qu’elle existe comme institution, l’école a toujours eu ses détracteurs, de gauche comme de droite d’ailleurs. Le sport aussi. Alors, que dire d’une discipline scolaire comme l’éducation physique et sportive (EPS)  ? Et plus encore des associations sportives (AS) sises dans les établissements scolaires  ? Il faut l’accepter, et le comprendre, l’EPS, c’est à la fois plus et moins que le sport en club.

Les défenseurs de l’éducation familiale considèrent que les activités sportives, comme artistiques, relèvent de la sphère privée  : n’ont-ils pas le temps et l’argent pour mettre leurs enfants en club, voire de pratiquer avec eux des sports de distinction et de séparation sociale  ? À leur côté, les gestionnaires zélés de l’argent public démontrent par A + B que l’EPS et l’AS constituent une dépense inutile. Tous ceux-là s’accordent avec les pédagogues du recentrage de l’école sur les savoirs scolaires définis comme fondamentaux au XIXe siècle.

Et puis il y a tous ceux qui ne s’entendent ni sur les activités physiques et sportives (APS) à enseigner ni sur les finalités de la discipline. Il est vrai que la guerre des méthodes en EPS remonte aux années 1880 quand les gymnastes républicains et patriotes s’affrontaient avec les premiers promoteurs des sports, jugés élitistes et anglophiles, et avec les partisans des jeux éducatifs dénoncés comme non utilitaires. En nos temps de repli identitaire et xénophobe, on finirait bien par trouver des militants des sports de combat et de la gymnastique rythmique et sportive pour préparer les garçons à la guerre, et les filles à la maternité, comme autrefois (c’était après la défaite de 1870 contre la Prusse) on vantait la gymnastique redresseuse des corps et moralisatrice. Finalement pas très éloignés de ces apôtres du saut périlleux arrière historique, on trouve ceux qui ont la nostalgie des années Maurice Herzog, le haut-commissaire aux Sports de Charles de Gaulle. C’était le temps où la France promouvait de faux amateurs comme Jean-Claude Killy afin de porter haut les couleurs de la France éternelle, où les professeurs d’EPS collaboraient, ou étaient sommés de collaborer, à la fabrique de la « pyramide sportive ». La team Grande-Bretagne ne vient-elle pas de démontrer à Rio qu’on peut sacrifier le sport à l’école et être la deuxième nation du monde sur le podium olympique  ?

Alors que faire  ? D’abord, faire confiance aux enfants, qui aiment jouer à grandir avec leur corps. Faire aussi confiance à leurs enseignants d’EPS, qui sont d’authentiques professionnels de la pédagogie du mouvement. Ensuite, communiquer sur ce que l’EPS fait déjà pour l’école et pour la société. Voici une discipline mal acceptée depuis son intrusion dans le système éducatif et qui, en retour, n’a jamais cessé de s’interroger sur elle-même et d’innover. Quelle autre discipline scolaire est allée aussi loin dans la réflexion sur la nécessaire variété des activités et situations d’apprentissage  ? Aux « vieux et bons sports de base » comme la gymnastique, l’athlétisme et la natation, et aux traditionnels « sports co » se sont ajoutés nombre de sports plus récents comme l’ultimate ou l’escalade indoor, ainsi que les activités corporelles dansées et acrobatiques. Quelle autre discipline scolaire apprend autant à jouer avec les règles du jeu, y compris à les subvertir  ? À mieux connaître les limites de son corps, à améliorer sa santé tout en apprivoisant l’effort  ? À pratiquer en actes la mixité filles-garçons  ? À évaluer tout autant les progrès réalisés par l’élève que la seule performance finale  ? Quant à l’AS, elle ne peut que devenir un laboratoire de l’innovation sportive, ou disparaître. Les enfants doivent pouvoir y pratiquer les nouveaux sports que n’offrent pas encore les clubs, y découvrir les avancées de la recherche sur le corps en mouvement, y questionner les notions de performance et de plaisir.

On en est arrivé à tout demander à l’école, et à tout lui reprocher. À tout demander à l’EPS (socialiser, moraliser, soigner…), et à tout lui reprocher. Il y a eu des outrances (de l’endoctrinement politique au didactisme), et il y en aura encore, qui ont fait et feront perdre de vue l’essentiel.

L’EPS aide les enfants à bien grandir avec leur corps, c’est-à-dire à en apprécier les dynamiques et les potentialités, à prendre plaisir dans le dépassement de soi, à se confronter aux autres et à collaborer avec eux, à s’accepter tel qu’on est corporellement, à développer l’estime de soi. C’est ce que font déjà nos enfants en cours d’EPS de l’école primaire au lycée. Encore faut-il que les parents, les enseignants des autres disciplines, les chefs d’établissement, les politiques et les journalistes descendent dans les cours d’EPS pour le voir et l’apprécier. Encore faut-il que les enseignants d’EPS conservent la flamme pour transmettre, à travers les cultures sportives, le plaisir de devenir soi-même.

L’EPS selon le ministère de l’éducation nationale

L’EPS est une discipline qui s’adresse à tous les élèves, quelles que soient leurs ressources. Elle permet de développer les conduites motrices (...) et la construction de méthodes pour apprendre. Elle constitue un vecteur d’éducation efficace au même titre que les autres disciplines. Elle est obligatoire du CP à la terminale et pour tous les cursus d’étude  ; elle est, pour certains élèves, le seul lieu et le seul moment d’activité physique. L’EPS a pour finalité de former un citoyen cultivé, lucide, autonome physiquement et socialement éduqué.


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