Cinq certitudes sur la présidentielle qui vient

mercredi 8 mars 2017.
 

Rarement l’issue d’une élection présidentielle aura été aussi incertaine à deux mois du scrutin. Pourtant, de son résultat à celui des législatives, on peut être sûr de quelques désastres (pour le PS), et de quelques bouleversements (pour tout le monde)…

Le saut dans l’inconnu, et parfois dans l’incongru, que revêt l’élection présidentielle de 2017 est souligné à raison depuis des mois et des mois. Rarement la situation aura paru aussi inédite et mouvante. Mais l’incertitude réelle et la volatilité évidente de cette élection ne doivent pas masquer des réalités qui s’affirment avec force et qui font apparaître les contours d’un paysage politique en complet bouleversement.

1. Marine Le Pen au second tour

En 2002, la qualification du FN pour le second tour fut pour la plupart des observateurs une immense surprise, presque une effraction. En 2017, rien de tel, la présence de Marine Le Pen et même sa première place ne font aucun doute. Son avance dans les sondages, les résultats engrangés par le parti d’extrême droite lors des dernières élections régionales et européennes, la solidité des intentions de vote en sa faveur (74% contre seulement 38% pour Emmanuel Macron)… tous les indicateurs vont dans le même sens. L’interrogation porte donc uniquement sur l’identité de son challenger.

Cette situation est sans doute le bilan le plus terrible de ce quinquennat épouvantable. En 2012, avec 17,9%, la candidate frontiste avait réalisé le meilleur score de l’histoire de l’extrême droite française. Cinq ans plus tard, elle est créditée de près de dix points supplémentaires. On ne saurait mieux résumer le désastre des cinq années Hollande.

2. Une crise de régime

Organisée autour de l’affrontement gauche-droite au second tour, les institutions et les partis de la Ve République craquent de toutes parts. Non seulement l’un des deux principaux protagonistes LR ou PS sera absent, mais il est même tout à fait possible qu’aucun des deux ne soit en lice dans l’hypothèse d’un affrontement Macron-Le Pen. Cette hypothèse est aujourd’hui confortée par l’alliance entre François Bayrou et le leader de En Marche.

Droite parlementaire et gauche de gouvernement, qui trustent 90% de la représentation à l’Assemblée nationale, pourraient donc être exclues du sprint final. Ces deux partis ne survivent, en fait, que par la grâce du mode de scrutin majoritaire lors des élections législatives. Mais avec un total cumulé Fillon-Hamon qui atteint tout juste le tiers des intentions de vote, une telle situation ne peut perdurer. Bien plus que l’expression d’une crise politique larvée, c’est bien une crise de régime qui se dessine.

3. Le PS en mort clinique

Le Parti socialiste, tel qu’il s’est construit au congrès d’Épinay en 1971, a vécu puis agonisé. Il est désormais en état de mort clinique. Certes, parmi les nombreux docteurs à son chevet, nul ne semble prêt à le débrancher et on ne trouvera aucun médecin légiste pour signer l’acte de décès – enfin, pas encore, pas avant l’élection présidentielle.

L’hémorragie militante a conduit ce parti bien en deçà des 100.000 militants quand l’objectif annoncé en 2014 était d’atteindre les 500.000 cartes pour la présidentielle. Le poids des défaites électorales de ces cinq dernières années a fait fondre le nombre des élus, passés de 60.000 à une vingtaine de milliers. La perte de positions dans les municipalités, départements ou régions a non seulement réduit les capacités d’encadrement du Parti socialiste, il lui a aussi enlevé les moyens de distribuer postes et prébendes. Enfin la base sociale de ce parti apparaît aujourd’hui très réduite, confinée aux couches urbaines qui ne paient pas la crise et qui peuvent encore s’en remettre à un projet sans autres ambitions que de préserver l’existant.

La situation est telle que, pour la première fois, le président sortant a dû renoncer à se représenter. Pire, le candidat retenu par la primaire socialiste apparaît au plus grand nombre comme un opposant à la ligne gouvernementale. Bref, c’est une bérézina. Pris en tenaille par les candidatures d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon, la fonction du vote Hamon apparaît évanescente. L’heure des règlements de compte et des repositionnements de grande ampleur ne saurait tarder.

4. Des législatives provisoires ?

Dans ces conditions, l’issue des élections législatives peut constituer un nouveau moment d’innovation dans une séquence électorale déjà peu banale. Depuis l’inversion du calendrier électoral voulue par Lionel Jospin, les élections législatives ne sont que le troisième tour de l’élection présidentielle, et consistent à donner au président fraîchement élu la majorité dont il a besoin. Hormis l’élection de François Fillon à l’Élysée, une telle hypothèse apparaît hautement improbable dans tous les autres cas de figure : ce sera donc là aussi un saut dans l’inconnu. Le scrutin majoritaire uninominal favorisera les grosses machines électorales et peut donner une assemblée déconnectée du scrutin présidentiel et sans rapport avec la réalité des rapports de forces entre grands courants politiques.

Macron ne pourrait avoir de majorité qu’en agrégeant les élus de En Marche, d’une fraction du PS et d’une partie de la droite. Ce serait plus compliqué encore pour Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon ou Marine Le Pen – pour envisager toutes les hypothèses.

Surtout, là encore, à l’exception de François Fillon, tous les autres candidats sont porteurs d’une réforme institutionnelle introduisant une proportionnelle totale ou partielle. Cette proportionnelle interviendra-t-elle à l’issue du quinquennat en 2022 ou bien en cours de mandat ? C’est toute la question. Dans tous les cas, elle devrait grandement accélérer une réorganisation d’ensemble du champ politique français.

5. La grande réorganisation

Depuis bien longtemps, les frontières idéologiques ne recouvrent plus la délimitation des partis. À bien des égards, le déroulement des deux primaires est venu confirmer et amplifier cette réalité. À droite, sans même évoquer les positions d’un Jean-Frédéric Poisson, la vision développée par un Alain Juppé apparaît désormais fort éloignée d’un Éric Ciotti ou d’un Laurent Wauquiez. La primaire du Parti socialiste a fait apparaître une fracture de nature équivalente.

La victoire à la présidentielle d’une candidature extérieure aux deux grands partis, PS et LR, qui structurent tout gouvernement, serait une conflagration majeure. Elle ouvrirait une période de repositionnement dans chacune des familles politiques. La mise en place d’une proportionnelle intégrale ou même partielle affaiblira le pouvoir de pression des deux gros appareils qui, à gauche et à droite, s’adjugent une surreprésentation aujourd’hui devenue un déni démocratique. Mieux, à gauche au moins, elle libérera du sempiternel dilemme de la stratégie de second tour : avoir des élus quitte à faire une alliance devenue toujours plus contre-nature avec le PS, ou rester ferme sur ses positions sans aucun espoir d’une représentation institutionnelle.

Si l’issue de l’élection présidentielle est encore hautement incertaine, il ne fait aucun doute que cette dernière marquera un point de rupture. Les formes mêmes que prendraient les différentes réorganisations ne sont pas écrites. Elles dépendent des rapports de forces entre les différentes familles politiques, des initiatives qui seront prises ou non à l’issue de la séquence électorale et de l’ampleur des mobilisations sociales à venir. Une chose est sûre, le paysage politique français en sortira profondément transformé.

Guillaume Liégard. Publié sur le site de Regards.


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