Deuxième tour : Risquer la liberté ou applaudir à l’injustice ?

mercredi 10 mai 2017.
 

Dans les échanges sur les réseaux sociaux, j’entends nettement la peur de la privation de liberté, mais je n’entends pas la colère contre l’injustice. Or, s’abstenir au 2nd tour, pour moi, c’est le choix de ne pas céder un pouce à l’injustice. A contrario, mettre Macron au pouvoir, c’est préserver une part de liberté, mais c’est applaudir à l’injustice sociale. Je ne voterai pas « Pour Macron ».

Lettre à un ami.

Eric,

Merci pour ton beau texte que tu as pris le temps d’écrire et de nous envoyer, et dans lequel tu exprimes ce qui te tient à cœur. En retour, je voudrais prolonger ce que tu dis, en repartant d’abord du début.

« Je préfère choisir mon ennemi plutôt que le non choix », dis-tu. Tu choisis ton ennemi, tout à fait d’accord. C’est Le FN, tout à fait d’accord aussi. Mais, ce faisant, tu choisis de ne pas faire de Macron un ennemi. Ou un ennemi secondaire en quelque sorte (tu ne le précises pas…). En faisant ce choix positif, tu laisses le champ libre à la classe sociale que Macron représente. Celle-ci n’aura aucun scrupule à interpréter ton vote : "Ils nous ont applaudi ! Alors allons-y franco !" Ton choix, tu le veux négatif contre l’une, mais au final il sera positif pour l’autre. Quoi qu’il en soit, ne faisons pas de rhétorique, c’est un choix et je le respecte.

Mais pourquoi opposer à ton choix un « non choix » à ceux qui refusent de voter Macron ?! Soyons équitables ! Reconnaissons que le refus de Macron est aussi pleinement un choix, un choix actif et non pas un choix passif, ou un demi choix, ou un non choix.

Deuxième point. « Le Pen à 45%, ce sont ses idées qui triomphent ». Je suis bien d’accord, mais là, Eric, excuse-moi, c’est déjà fait ! Et depuis un bout de temps. Ses idées ont triomphé peu à peu, et cela a commencé avec l’aide de Mitterrand, puis de Sarkozy et, last but not least, Hollande. On y est. On y est jusqu’au cou, dans les idées de Le Pen ! Il est déjà trop tard. Mais, d’accord avec toi : plus elle s’approchera de la barre des 50%, plus la marée brune va monter. Pour cette raison, allez-y, votez Macron ! Je suis pour. Je l’ai dit dès le début de cette discussion. Moi je m’abstiendrai. Il faut aussi qu’il y ait des abstentions. Au triste point où l’on en est, il faudrait – mais là je rêve – qu’il y ait à la fois un grand phénomène d’abstention et une victoire plutôt nette de Macron. Un tel scénario n’est pas ce qui est « prévu » par les média... On verra.

J’en viens maintenant au fond du sujet. Tu n’assimiles pas seulement l’abstention à un « non choix », tu vas un peu plus loin, après d’autres d’ailleurs : tu le qualifies de posture d’enfant gâté. En gros, chez nous en France, on a de la chance, on ne sait pas, ou plus, ce que c’est que la vraie misère, la guerre, le totalitarisme… Oui, c’est vrai ! Mais toute cette misère qui nous entoure, au loin, et qui a existé aussi en Europe et en France, elle est due à quoi ? Seulement aux régimes autoritaires ? Est-ce que le totalitarisme est né par création spontanée, à partir de la méchanceté de tel ou tel dictateur ? Non. Je crois, en lisant un peu les historiens et les anthropologues, que ces misères qui sont à nos portes, et ces régimes de dictature moderne que l’on a connus, qui sévissent à nouveau un peu partout, ont pour cause principale, non pas la méchanceté naturelle des hommes, mais l’impérialisme capitalisme.

Ici permets-moi une brève parenthèse avant d’en venir à l’essentiel. Beaucuop d’entre nous le savent, mais je rappelle pour les autres la longue succession des méfaits de l’impérialisme capitaliste depuis cinq siècles : l’extermination des peuples indiens d’Amérique, la déportation des Noirs et l’esclavage, l’enfermement et l’exploitation des ouvriers anglais dans les usines, la mort de plusieurs générations d’enfants dans les mines, et puis des guerres, partout sur la planète, et enfin l’extraction exponentielle de toutes les richesses de la terre pour les transformer en marchandises… Tout cela n’est pas hors sujet, par rapport au débat d’aujourd’hui. Cela va continuer jusqu’au bout si rien n’arrête cette machine de mort. Cet impérialisme, ce n’est pas un phénomène naturel, c’est l’arme de cette classes sociale qu’il faut bien appeler par son nom : la haute bourgeoisie. Je ne veux pas diaboliser les « riches ». C’est un fait sociologique et historique. Il est indéniable. Cette classe a un comportement, des codes, une culture, qui sont entretenus consciencieusement depuis des générations. Elle a la capacité de modeler les institutions (démocratiques !) à son seul usage et pour son intérêt exclusif. Et, comme y insiste la sociologue Monique Pinçon-Charot, cette classe de la haute bourgeoisie forme des prédateurs qui n’ont d’autres soucis que d’asservir le reste de l’humanité et du monde animal pour faire toujours plus d’argent.

J’en viens pour finir au point principal, qui est à mon avis le noyau de la discussion.

Dans le vote « Contre Le Pen », j’ai entendu un cri général : « J’ai peur de ne plus être libre. J’ai peur de me faire tabasser un jour par des flics ou des individus cagoulés. J’ai peur que mes amis (blacks, beurs, homos…) soient expulsés, et tabassés eux aussi ». Cette émotion contre le fascisme est irréfutable, elle ne laisse pas le choix, je le dis, crois-moi, sans ironie.

Mais je n’ai pas entendu cet autre cri : « Je suis en colère quand les Troïkas débarquent chaque année en Grèce et privatisent tout, licencient, cassent les salaires et les retraites. Je suis en colère quand la colère des salariés licenciés est qualifiée de violence par un gouvernement socialiste. Je suis en colère quand une usine de textile en Inde s’écroule sur des centaines de femmes qui y travaillaient douze heures par jour pour un salaire de cinquante dollars par mois. Je suis en colère quand les bas quartiers où s’entassent des millions de pauvres sont dévastés par des tsunamis et des cyclones, et je suis très en colère quand les milliardaires qui ont provoqué ces catastrophes par leur action prédatrice se construisent des citadelles pour s’en protéger… ». Cette émotion-là, c’est le vote « Contre Macron. Donner sa voix à Macron, pour moi, c’est donner sa voix à l’arrogance des milliardaires et les applaudir pour qu’ils continuent à se comporter en prédateurs.

Dans les échanges sur les réseaux sociaux, j’entends nettement la peur de la privation de liberté, mais je n’entends pas la colère contre l’injustice. Or, ne pas voter, pour moi, c’est le choix de ne pas céder un pouce à l’injustice.

Quand un régime fasciste vous met en prison, vous torture, vous assassine, ce n’est pas de l’injustice, c’est seulement de la force brutale. La force brutale peut porter atteinte à la Liberté, bien sûr, mais la Justice est hors d’atteinte de la brutalité. Un homme enfermé derrière les barreaux peut garder son sentiment de la Justice ; un homme qui sacrifie la justice pour garder sa liberté de circuler redeviendra vite un animal errant dans la forêt.

Ma position, c’est ça : je comprends et partage votre peur quasi absolue de la violence fasciste, mais comprenez ma colère contre la violence néolibérale. Pour moi, la liberté c’est un besoin fondamental pour l’individu, mais ce n’est qu’un besoin. La Justice, elle, ce n’est pas un besoin, c’est un appel, qui monte du fond du ciel intérieur et s’élève vers la lumière. Cet appel ne laisse pas le choix, il traverse l’être verticalement et lui donne sa vraie voix. Ce qui fait parler un être humain, c’est l’appel de la Justice, et non pas l’utilité de la liberté.

Je choisis donc Platon. Et aussi la philosophe Simone Weil… Mettre Macron au pouvoir, c’est préserver une part de liberté, mais c’est laisser étrangler la Justice en applaudissant aux injustices. Je ne voterai pas « Pour Macron ».


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